Trois ans après la naissance du premier journal télévisé rappé africain au Sénégal, le phénomène continue de faire le « buzz » en Afrique de l’Ouest avec le lancement, cette semaine, de la version mauritanienne. Mais quel est le succès réel de ce phénomène qui fait tant parler de lui ?
« Assalamalekoum Mauritanie, le Chi-Taari rappé c’est par ici ». La phrase d’accroche du nouveau JT rappé mauritanien n’est pas sans rappeler celle de son grand frère dakarois. Le JT rappé des sénégalais Xuman et Keyti, lancé en 2013, semble aujourd’hui fort de son succès : plus de deux millions de vues sur leur chaîne Youtube, et près de 13 000 « followers » sur leur compte twitter, dans un pays où le taux de pénétration d’internet dépassait à peine les 50% au second trimestre 2015. Une idée qu’ils ont eu à cœur d’exporter dès 2014 vers les pays voisins grâce à un partenariat avec l’ONG Open society for initiative in West Africa (Osiwa), qui leur a alloué près de 70 000 euros pour l’opération.
Une exportation au succès mitigé
L’année dernière, après une tentative avortée au Niger, la version ivoirienne voyait le jour sous le nom de « Journal Gbayé ». Aujourd’hui, c’est la même formule qui a été adoptée par le rappeur mauritanien Elimane Kane, aka Monza, à l’origine du « Chi-Taari ». La première saison à été lancée à Nouakchott après une formation de trois jours des dix premiers rappeurs participants par les membres du JT rappé de Dakar, venus partager leur savoir faire en la matière.
Pour Monza, ce projet répond à une réelle demande de la jeunesse mauritanienne : »La Mauritanie compte 3,8 millions d’habitants, 70% de jeunes, et plus de 3 000 groupes de rap qui n’ont pas les canaux suffisants pour s’exprimer ». Pourtant, sur le reste du continent, le public n’est pas toujours au rendez-vous. Après une saison entière, la version ivoirienne n’a même pas 3 000 « likes » sur sa chaîne YouTube. Même constat pour Newz Beat, le JT rappé Ougandais né en février 2014, qui ne dépasse pas les 300 likes.
Les membres de l’équipe de Dakar misent maintenant sur les pays anglophones avec une implantation du JT au Nigeria, » un pays locomotive qui a une très forte diaspora ». Selon les rappeurs, L’Osiwa a accepté de financer le projet pour l’année 2016.
Une formule « bankable » ?
Pour ses créateurs, les JT rappés sont des projets citoyens qui n’ont pas vocation à faire de gros bénéfices. Mais les rappeurs misent tout de même sur des contrats avec des télévisions nationales, le meilleur moyen de financer les émissions et d’être vus par le plus grand nombre. Cependant, après trois ans d’existence et un contrat de la même durée avec la chaîne sénégalaise 2STV, le JT rappé sénégalais n’a « toujours pas la rentabilité qu’il faudrait ». Keyti, un de ses créateurs, explique:
Beaucoup d’antennes sont intéressées, mais nous refusent parce que nous avons des propos trop critiques ou trop politiques
Canal Plus Afrique les avait ainsi approchés il y a quelque temps, avant de se rétracter. De son côté, le « Journal Gbayé » d’Abidjan, beaucoup moins virulent, a décroché un contrat avec la RTI2, une chaîne au capital détenu à 100% par l’État ivoirien. Mais le graal des chaînes de télévisions panafricaines est encore loin.
Diversification des formes
Les producteurs se tournent donc vers d’autres modes de survie, en se tenant à flot à coups de subventions ou de partenariats avec des ONG. Le JT rappé sénégalais travaille ainsi depuis 2015 avec la RAES pour la promotion de l’éducation au Sénégal. Cette année pour la saison 3, ils ont multiplié les formations dans les écoles du pays.
Keyti ne semble donc pas inquiet pour l’avenir du JT : » Nous ne serons pas éternels, c’est sûr, on a bien vu ce qui est arrivé aux Guignols en France. Mais les gens nous suivent. Dès qu’il se passe quelque chose d’important dans le pays, les internautes se demandent tout de suite comment on va le traiter ». Autre ingrédient indispensable à la longévité : la diversification des formes. Depuis la saison 3 le JT rappé a des correspondants en région, multiplie les invitations aux artistes à succès et a même lancé… des débats rappés.
pressafrik