C'est probablement parce que les révélations de cette enquête ont le potentiel de bousculer beaucoup de choses que s'empresse de réagir, ce mercredi, le cabinet d'avocats Venture Corporate Services qui a repris le bureau mauricien de Conyers Dill & Pearman. Soulignant que «les journalistes de l'ICIJ reconnaissent que Conyers a toujours exercé son activité conformément à la loi», le cabinet signale «un piratage informatique illégal via un accès à distance», à l'origine de la fuite de ses 200 000 archives confidentielles qui ont permis la réalisation du «Mauritius Leaks».
Elles sont actives dans l'immobilier, l'agriculture, les mines, l'énergie, les télécommunications, les voyages ou la finance. Elles sont basées en Europe ou en Amérique et opèrent à travers le monde, avec une présence relativement importante en Afrique. Ce sont au total plus de 200 entreprises enregistrées à Maurice entre le début des années 1990 et 2017 qui profitent du système fiscal, ultra-souple, de l'île pour payer le moins d'impôts possible sur leurs activités en Afrique -pour optimiser leurs charges fiscales, selon le jargon financier. C'est ce que révèle l'enquête menée par l'ICIJ et publiée hier, mardi 23 juillet. Des multinationales très connues comme CFAO S.A. ou Whirlpool sont concernées.
Sociétés-écrans, l'astuce de certaines multinationales
Basée en effet sur l'exploitation de plus de 200 000 archives confidentielles du bureau mauricien du cabinet d'avocats Conyers Dill & Pearman, l'enquête montre comment cabinets d'avocats, banques, entreprises et institutions ont joué consciemment ou inconsciemment un rôle dans les opérations des multinationales à Maurice. L'enquête détaille à titre d'exemple le cas d'Aircastel, le géant américain qui loue des avions à réaction commerciaux à haute utilité à des compagnies à travers le monde telles que American Airlines ou South African Airways. Sur 24 millions de dollars de bénéfices d'exploitation entre 2011 et 2014, la société-écran d'Aircastel à Maurice n'a payé que 382 600 dollars d'impôts. Et ce, grâce au concours de Conyers Dill & Pearman, KPMG, Ernst & Young et Deutsche Bank entre autres, d'après l'enquête.
Les caisses des Etats privées de recettes
Nombre de ces entreprises profitent notamment des accords signés entre Maurice et quatorze pays africains, dont un à l'ouest du Continent -le Sénégal- et un au nord -la Tunisie. Ainsi, les entreprises sont exemptées de payer doublement le même impôt dans ces pays et à Maurice. L'île proposant donc des taux défiant toute concurrence (3% pour l'IS), la pratique prive donc les autres pays de recettes fiscales. Il a été difficile pour l'ICIJ d'évaluer le manque à gagner de ces pays, mais les sommes se chiffreraient à des centaines de millions de dollars. Et le fait est encore plus marqué quand il s'agit de revenus en capital, car ceux-ci ne sont pas imposés à Maurice. Du coup, dans le cadre de ces conventions, il est possible que la multinationale ne paye finalement ce type d'impôt ni à Maurice, ni dans l'autre pays africain concerné par ses activités.
Une question d'éthique
Techniquement, le recours à Maurice pour les multinationales n'est pas illégal. Mais, selon l'ICIJ, c'est l'aspect éthique de la pratique qui est un problème. Car, au moment où plusieurs pays du Continent ont besoin de limiter leur niveau d'endettement, ils ratent des voies de rentrées d'argent normalement à leur portée.
C'est fort de ce constat que le Rwanda et l'Afrique du Sud ont renégocié leurs conventions fiscales avec Maurice, d'après le rapport. Au Sénégal, la convention avec Maurice a coûté 257 millions de dollars sur 17 ans, selon les autorités qui cherchent désormais à l'annuler. «C'est le traité le plus inégal pour le Sénégal parmi tous les traités que nous avons signés», a déclaré à ICIJ Magueye Boye, inspecteur des impôts et négociateur en chef du traité sur le Sénégal, estimant qu'il s'agit d'un «pipeline énorme en matière d'évasion fiscale».
Cependant, annuler une convention fiscale avec Maurice reste difficile, car un autre dilemme se pose : retenir les multinationales malgré la hausse de leurs charges fiscales (qui reviendraient, en fait, à la norme).
Les Etats africains n'ont pas encore réagi à cette enquête. Mais une organisations à but non lucratif comme Oxfam dénonce un «hold-up fiscal».