La Cour de justice européenne (CJUE) a tranché : l'accord de pêche conclu entre le Maroc et l'UE est valide tant qu'il n'est pas applicable au Sahara, objet d'un litige qui dure plusieurs décennies entre le Royaume et le Polisario soutenu par l'Algérie. Dans l'arrêt rendu ce mardi 27 février, la CJUE a estimé que « l'accord de pêche conclu entre l'UE et le Maroc n'est pas applicable aux eaux adjacentes de la région disputée du Sahara occidental ». Pour la justice européenne, autrement, l'accord « enfreindrait plusieurs règles du droit international notamment le principe d'autodétermination ».
« Dès lors que ni l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc ni le protocole entre l'Union européenne et le Royaume du Maroc fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l'Union européenne et le Royaume du Maroc ne sont applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental, l'examen de la première question préjudicielle n'a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CE) n° 764/2006 du Conseil, du 22 mai 2006, relatif à la conclusion de cet accord, de la décision 2013/785/UE du Conseil, du 16 décembre 2013, relative à la conclusion de ce protocole, et du règlement (UE) n° 1270/2013 du Conseil, du 15 novembre 2013, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre dudit protocole, au regard de l'article 3, paragraphe 5 ».
Dans son arrêt, la Cour a en effet fait relevé que le Maroc ne peut exercer sa souveraineté que « sur les eaux adjacentes de son territoire et relevant de sa mer territoriale ou de sa zone économique exclusive ». Par conséquent, « la Cour juge donc que, compte tenu du fait que le territoire du Sahara occidental ne fait pas partie du territoire du royaume du Maroc, les eaux adjacentes du territoire du Sahara occidental ne relèvent pas de la zone de pêche marocaine visée par l'accord de pêche ».
La Cour n'a donc pas suivi totalement les requêtes de l'avocat général qui s'est, le 10 janvier dernier, rangé sur la demande de la partie plaignante en plaidant pour l'annulation dudit accord.
Négociation en cours pour un nouvel accord
Pour Rabat, ce verdict est une véritable douche froide d'autant que le Royaume bénéficiait de l'appui de la presque majorité des pays membres de l'UE avec qui le Maroc est lié par un accord d'association. A Bruxelles aussi, cela s'annonce de mauvais augure puisqu'il peut ouvrir la voie à l'arrivée d'autres concurrents notamment les pêcheurs chinois ou russes dans les eaux marocaines. C'est d'ailleurs pourquoi et anticipant ce scénario, que les deux parties ont convenues d'entamer les négociations pour un nouvel accord qui prendra la suite de celui actuellement en vigueur et qui arrive à échéance en juillet prochain. La semaine dernière, le Conseil de l'Europe avait donné son aval pour de nouvelles négociations avec le Maroc. Le Royaume et l'UE ont déjà annoncé que quelque soit l'issue de la procédure, cela n'affecterait pas leurs relations alors que par le passé, des décisions du même genre ont provoqué de vives protestations de Rabat.
Rabat et Bruxelles
Après l'annonce du verdict, l'UE et le Maroc ont d'ailleurs tenu à exprimer « leur détermination à poursuivre leur partenariat stratégique, à le préserver et à le renforcer » ainsi qu'à « préserver leur coopération dans le domaine halieutique ».
Dans une déclaration conjointe de la Haute-Représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, Federica Mogherini et le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita, les deux parties affirment avoir pris connaissance de l'arrêt rendu ce jour par la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) au sujet de l'accord de pêche entre le Maroc et l'Union Européenne.
« L'UE et le Maroc sont convenus de poursuivre le renforcement de leur dialogue politique et de préserver la stabilité de leurs relations commerciales. Les deux parties constatent que l'esprit de concertation étroite et sincère qui a présidé au processus de l'adaptation de l'Accord agricole a créé un capital de confiance précieux pour l'approfondissement du partenariat, tout en restant déterminées à préserver leur coopération dans le domaine halieutique. A cet égard, elles expriment leur volonté de négocier les instruments nécessaires relatifs au partenariat halieutique ».
Le Maroc et l'UE ont par ailleurs décidé de renforcer leur partenariat dans les autres domaines d'intérêts communs notamment la politique de migration, de sécurité, de stabilité et de développement régional ainsi que de la recherche scientifique, « questions sur lesquelles les deux parties sont convenues d'intensifier ou d'élargir leurs nombreuses activités de coopération déjà en cours » précise le communiqué. S'agissant du dossier du Sahara, les deux parties ont réitéré leur soutien au processus des Nations Unies tout et ont réaffirmé leur soutien « aux efforts du Secrétaire Général afin de parvenir à une solution politique définitive de la question du Sahara marocain ».
Un vieux contentieux
Autant dire donc que le Maroc et l'UE entendent reléguer l'accord de pêche ainsi que les implications de la décision de la CJUE au second plan afin d'aller de l'avant.
Pour l'heure donc, ce sont les pêcheurs européens notamment espagnols et portugais très actifs dans la zone qui vont payer le prix fort de ce verdict. Ce n'est d'ailleurs pas la première affaire du genre puisqu'à chaque fois qu'un accord est conclu entre le Maroc et l'UE, il ne manque pas d'être contesté auprès des juridictions européennes par des organisations proches du Polisario. C'était le cas avec l'accord agricole l'année dernière avec l'accord agricole dont la procédure judiciaire a été finalement favorable au Maroc.
L'accord de pêche entre le Maroc et l'UE est entré en vigueur le 28 février 2007 et a été par la suite étendu à travers plusieurs protocoles successifs et permet à des navires de l'UE de pêcher dans les eaux Maroc en contrepartie d'une enveloppe financière. Le protocole en cours devrait arriver à échéance le 14 juillet 2018 mais il a été contesté l'année dernière devant un tribunal britannique par la Western Sahara Campaign, une organisation proche du Polisario qui conteste la souveraineté du Maroc sur le Sahara.