Fatoumata Diédhiou ne vit plus. Elle survit, ne manifestant point de l’entrain. Rien chez elle ne montre cet entrain à croquer la vie. Dans ses rêves antérieurs, elle se voyait en train de croquer la vie à pleines dents à un si bel âge. Son enthousiasme s’est érodé depuis qu’on l’a forcée à se marier avec un homme qu’elle n’aimait pas. Elle ne pensait même pas à l’amour. Très tôt arrachée au monde de l’enfance pour celui des adultes. L’innocence de l’enfant très tôt violée.
En cette journée pluvieuse, elle sent toute l’aridité de son corps. Assise à même le sol à la devanture de ce qui tient de concession et que le vent peut balayer à tout instant, Fatoumata Diédhiou se fait tresser par une voisine. Ce n’est point une coquetterie. La joie de vivre ayant déserté ce corps doté d’un certain embonpoint. Il lui faut bien entretenir son abondante chevelure. De temps en temps, elle prend congé de sa tresseuse occasionnelle, également à côté de sa voisine, pour tuer le temps qui s’est arrêté dans ce village. Entre la coiffeuse et ce qui sert de cuisine, un débarras. Elle surveille la sauce qu’elle mijote pour sa progéniture.
Des tâches ménagères, voilà plus de 30 ans que Fatoumata y consacre sa vie, sans une minute de répit. À 45 ans, on lui donnerait bien plus, tellement la vie n’a pas été tendre avec elle. Arrachée de l’enfance à 15 ans, elle subit la loi du mariage forcé. « Trente ans de souffrance » avec son défunt mari qui lui a « vite fait » sept enfants à nourrir.
« Mon mari me battait »
Fatoumata n’a pu retrouver un autre souffle après le décès de son époux. Elle continue à travailler inlassablement pour survivre et faire vivre ses enfants. « Je suis habituée à la souffrance. Ça ne me fait plus rien. Je n’ai pas connu ce côté rose de la vie », murmure la femme au foyer, fuyant même notre regard pour poser ses yeux sur un ailleurs insondable, tout en s’essuyant la sueur sur le front. Sa concession, qui tient à peine debout, est sans clôture. L’espace en banco renseigne sur l’extrême pauvreté de ses occupants. « J’ai été forcée par mes parents. J’avais 15 ans à l’époque », dit-elle pudiquement, tout en retenant des larmes qui peinent à sortir.
Forcée à se marier avec un homme qui avait presque 30 ans de différence d’âge. En plus de l’écart, Fatoumata vivait avec un ivrogne qui la battait régulièrement. Des douleurs tuées et des souffrances cachées. Elle ne pouvait faire autrement. Chaque fois qu’elle quittait la maison conjugale pour aller chercher refuge auprès des siens, c’est presque avec violence qu’on la renvoyait.Lasse de l’indifférence de ses parents, elle se résout alors à vivre silencieusement sa peine. À force de s’enivrer, son mari était devenu une « loque humaine » qu’elle devait entretenir en plus des enfants. Grabataire, l’homme devient une corvée pour l’épouse, des années, cloué au lit et durant lesquelles, Fatoumata a été en permanence à son chevet. C’était la navette entre Goudomp et l’hôpital de Ziguinchor, où le vieil homme était régulièrement interné. « J’ai vécu des moments extrêmement difficiles avant qu’il ne décède », a-t-elle confié.
Le décès de l’époux, plutôt que d’être la fin de la souffrance, n’a pas amélioré son sort. Celui-ci a empiré avec sept enfants qu’elle devait élever et nourrir sans aucun soutien. Un phénomène très courant dans le monde rural, où de jeunes femmes nourrissent toute une famille avec un mari qui ne peut rien faire pour lui-même. Une des conséquences des mariages forcés de jeunes filles avec des hommes au crépuscule de leur vie.La brave dame révèle avoir été abandonnée par les parents de son défunt époux. « Un cousin de mon défunt mari voulait m’épouser, mais il a dû renoncer en voyant le nombre d’enfants que j’entretenais », confie notre interlocutrice. Pour survivre, Fatoumata était entre les rizières et la vente de bois mort, sans compter les petits boulots pour lesquels elle gagnait de maigres sommes d’argent. Aujourd’hui, elle a trouvé un semblant de bonheur avec un pêcheur qui la soutient dans l’éducation des enfants et les charges familiales. « C’est mon destin. J’espère, après la mort, trouver le bonheur », affirme-t-elle, fataliste.
« L’âge de mon père »
À la différence de Fatoumata qui a été forcée à contracter son mariage, Awa Doucouré s’est librement mariée à 18 ans. Une carrière de handballeuse interrompue pour vivre l’amour avec un homme qui avait l’âge de son père. Plutôt qu’un mariage forcé, l’union a été négociée. L’adolescente y trouvait le moyen de fuir la vie qu’elle endurait à Ziguinchor, chez la grande sœur de son père. « Mon époux est né en 1935. Il avait une première femme dont les enfants étaient plus âgés que moi. J’avais accepté ce mariage pour sauver mon frère cadet. Ma tante nous torturait », a expliqué la dame sur sa décision de se marier et de compromettre sa carrière sportive. Cependant, aujourd’hui, elle ne nourrit aucun regret.
Deux ans après leur mariage, son époux prend sa retraite. Awa est ainsi venue s’installer avec son vieil époux à Goudomp en 1996. De ce mariage, le couple a eu deux enfants, avant que le vieux ne tombe malade. Durant cette période, Awa a dû se résoudre à sevrer son bébé pour mieux s’occuper de son mari. Une maladie qui l’a emporté quelques années plus tard, lui laissant deux jeunes enfants. « Je me disais que c’était mon destin. Je le lavais le matin avant d’aller au travail. Je m’occupais de lui comme je l’aurais fait avec mon père. Je lui étais reconnaissante, car il a beaucoup fait pour moi lorsque c’était dur. Il nous avait pris, moi et mon jeune frère, comme ses propres enfants », a-t-elle insisté.Après la mort de l’époux qui avait laissé une école privée en huttes, Awa a pris la relève avant de construire l’école en dur. Malheureusement, l’un des parents de son défunt époux, se déclarant propriétaire, a repris l’établissement. « Après son décès, les parents de mon défunt époux ont commencé à me mener la vie dure. J’ai décroché un boulot à la Cmu. J’ai enduré trop de souffrances, mais j’ai toujours su garder ma dignité », a-t-elle confié.
Seynabou Faty a vécu avec un mari mécanicien. Elle s’est mariée à l’âge de 16 ans, alors que ce dernier avait, à l’époque, 40 ans. Aujourd’hui, Nabou, comme on l’appelle familièrement, a 35 ans, mais on lui aurait donné la cinquantaine. Tant de souffrances vécues sont à l’origine de sa « décrépitude », qui fait voir des rides sur un visage que l’on devine jadis resplendissant de bonheur. La concession qui menace de tomber ne constitue pas une inquiétude pour la pauvre dame. Ce qui la préoccupe, c’est plutôt la nourriture de ses enfants qu’il faut régler au jour le jour. Depuis le décès de son époux qui vivait de débrouilles, l’indigente s’accroche difficilement. Elle se lève tôt le matin pour aller au champ et revenir l’après-midi pour vendre. Une vie sans repos. « On rend grâce à Dieu », dit-elle en signe de consolation, tout en faisant preuve d’une grande pudeur.
La présidente du département de Goudomp des « Bajenu Gox » (marraines de quartier) et vice-présidente de la région de Sédhiou, Khady Diambang, réputée pour son dynamisme, a aussi vécu un mariage précoce. Elle s’est retrouvée dans un ménage à l’âge de 16 ans, alors que son époux en avait 42 ans. Neuf enfants sont nés de ce mariage. Aujourd’hui, la cinquantaine révolue, elle n’a qu’un seul regret. « Je faisais du théâtre et de l’athlétisme. À cette époque, nous n’osions pas défier nos parents. J’ai accepté de vivre avec lui. Mais, il s’occupait bien de nous. » Aujourd’hui, certains de ses enfants ont pris la relève après la retraite de l’époux et la famille s’en sort très bien.
Véritable phénomène de société, les mariages d’enfants continuent de poser problème au Sénégal, plus particulièrement en Casamance, en dépit de toutes les initiatives menées par l’État du Sénégal, ses partenaires et les organisations de la société civile. Il faut dire que malgré les efforts des différents acteurs dans ce domaine, le phénomène des mariages d’enfant demeure plus que jamais présent en Casamance avec, par exemple, les cas de mariage de 29 enfants âgés entre 12 et 17 ans signalés dans la commune de Niagha (département de Goudomp) en 2019 et dont 26 étaient inscrites au Cem de ladite commune.
ABDOU SÈNE, PSYCHOSOCIOLOGUE, SPÉCIALISTE EN PROTECTION DE L’ENFANCE
« Le mariage est conçu comme un dispositif de protection de l’enfant »
Le psychosociologue et spécialiste en protection de l’enfance, Abdou Sène, apporte, dans cet entretien, la lumière sur les mariages précoces et forcés.
Quels sont les facteurs explicatifs du mariage précoce ?
Dans le contexte casamançais, il faut dire que la décision de marier une jeune fille est, la plupart du temps, prise par les parents ou la communauté. En effet, les parents, de manière générale, estiment qu’en mariant leur fille en bas âge, ils l’aident à réaliser sa principale fonction sociétale, celle de femme et de mère (« Tà aru jigéen sëy la »). Aussi, nos recherches dans le domaine révèlent que les normes sociales liées au genre, les croyances culturelles et la situation économique des parents constituent également des facteurs explicatifs du phénomène. De ce point de vue, le mariage d’enfant est conçu comme un dispositif de protection de l’enfant, tant sur le plan social, culturel qu’économique au sein des communautés de la Casamance naturelle.
Quelles en sont les conséquences ?
Force est de constater, en se basant sur l’aspect empirique des choses, qu’un mariage précoce n’offre généralement aucune protection du tout. Au contraire, c’est plutôt le contraire qui se produit. On empêche de nombreuses jeunes filles de se prévaloir de leur enfance, de leurs rêves, de leurs droits fondamentaux et de leur santé.
Sur le plan sanitaire, on exerce une grande pression sur les jeunes mariées pour qu’elles aient des enfants immédiatement après le mariage. Ce qui les fait encourir un risque accru de décès maternel et de complications telles que la fistule obstétricale. Les recherches ont aussi démontré qu’elles sont également plus susceptibles d’avoir des enfants de faible poids, des mort-nés, des accouchements difficiles, d’avoir une hypertension artérielle, de développer le cancer du col de l’utérus plus tard dans leur vie.
Sur le plan économique, la fille est laissée à elle-même avec peu de moyens, sinon aucun, pour subvenir à ses besoins. Ses études scolaires sont interrompues, éliminant une autre source de soutien économique. Il faut dire que le mariage de l’enfant est souvent synonyme d’interruption des études. Ce qui compromet son avenir, par la non réalisation de ses rêves et aspirations professionnelles.
Sur le plan psycho social, avec le mariage, la fille devient adulte avant l’âge et se retrouve isolée, dans la mesure où elle doit habituellement laisser derrière elle sa famille, ses amis et sa communauté et déménager dans la maison de son mari. En outre, la fille doit demander la permission à son mari pour tout besoin ou pour toute action à entreprendre. En raison de sa liberté restreinte de sortir de la maison et de converser avec d’autres personnes, elle devient une victime invisible. Ses problèmes restent méconnus ou ignorés par la communauté.
leSoleil
En cette journée pluvieuse, elle sent toute l’aridité de son corps. Assise à même le sol à la devanture de ce qui tient de concession et que le vent peut balayer à tout instant, Fatoumata Diédhiou se fait tresser par une voisine. Ce n’est point une coquetterie. La joie de vivre ayant déserté ce corps doté d’un certain embonpoint. Il lui faut bien entretenir son abondante chevelure. De temps en temps, elle prend congé de sa tresseuse occasionnelle, également à côté de sa voisine, pour tuer le temps qui s’est arrêté dans ce village. Entre la coiffeuse et ce qui sert de cuisine, un débarras. Elle surveille la sauce qu’elle mijote pour sa progéniture.
Des tâches ménagères, voilà plus de 30 ans que Fatoumata y consacre sa vie, sans une minute de répit. À 45 ans, on lui donnerait bien plus, tellement la vie n’a pas été tendre avec elle. Arrachée de l’enfance à 15 ans, elle subit la loi du mariage forcé. « Trente ans de souffrance » avec son défunt mari qui lui a « vite fait » sept enfants à nourrir.
« Mon mari me battait »
Fatoumata n’a pu retrouver un autre souffle après le décès de son époux. Elle continue à travailler inlassablement pour survivre et faire vivre ses enfants. « Je suis habituée à la souffrance. Ça ne me fait plus rien. Je n’ai pas connu ce côté rose de la vie », murmure la femme au foyer, fuyant même notre regard pour poser ses yeux sur un ailleurs insondable, tout en s’essuyant la sueur sur le front. Sa concession, qui tient à peine debout, est sans clôture. L’espace en banco renseigne sur l’extrême pauvreté de ses occupants. « J’ai été forcée par mes parents. J’avais 15 ans à l’époque », dit-elle pudiquement, tout en retenant des larmes qui peinent à sortir.
Forcée à se marier avec un homme qui avait presque 30 ans de différence d’âge. En plus de l’écart, Fatoumata vivait avec un ivrogne qui la battait régulièrement. Des douleurs tuées et des souffrances cachées. Elle ne pouvait faire autrement. Chaque fois qu’elle quittait la maison conjugale pour aller chercher refuge auprès des siens, c’est presque avec violence qu’on la renvoyait.Lasse de l’indifférence de ses parents, elle se résout alors à vivre silencieusement sa peine. À force de s’enivrer, son mari était devenu une « loque humaine » qu’elle devait entretenir en plus des enfants. Grabataire, l’homme devient une corvée pour l’épouse, des années, cloué au lit et durant lesquelles, Fatoumata a été en permanence à son chevet. C’était la navette entre Goudomp et l’hôpital de Ziguinchor, où le vieil homme était régulièrement interné. « J’ai vécu des moments extrêmement difficiles avant qu’il ne décède », a-t-elle confié.
Le décès de l’époux, plutôt que d’être la fin de la souffrance, n’a pas amélioré son sort. Celui-ci a empiré avec sept enfants qu’elle devait élever et nourrir sans aucun soutien. Un phénomène très courant dans le monde rural, où de jeunes femmes nourrissent toute une famille avec un mari qui ne peut rien faire pour lui-même. Une des conséquences des mariages forcés de jeunes filles avec des hommes au crépuscule de leur vie.La brave dame révèle avoir été abandonnée par les parents de son défunt époux. « Un cousin de mon défunt mari voulait m’épouser, mais il a dû renoncer en voyant le nombre d’enfants que j’entretenais », confie notre interlocutrice. Pour survivre, Fatoumata était entre les rizières et la vente de bois mort, sans compter les petits boulots pour lesquels elle gagnait de maigres sommes d’argent. Aujourd’hui, elle a trouvé un semblant de bonheur avec un pêcheur qui la soutient dans l’éducation des enfants et les charges familiales. « C’est mon destin. J’espère, après la mort, trouver le bonheur », affirme-t-elle, fataliste.
« L’âge de mon père »
À la différence de Fatoumata qui a été forcée à contracter son mariage, Awa Doucouré s’est librement mariée à 18 ans. Une carrière de handballeuse interrompue pour vivre l’amour avec un homme qui avait l’âge de son père. Plutôt qu’un mariage forcé, l’union a été négociée. L’adolescente y trouvait le moyen de fuir la vie qu’elle endurait à Ziguinchor, chez la grande sœur de son père. « Mon époux est né en 1935. Il avait une première femme dont les enfants étaient plus âgés que moi. J’avais accepté ce mariage pour sauver mon frère cadet. Ma tante nous torturait », a expliqué la dame sur sa décision de se marier et de compromettre sa carrière sportive. Cependant, aujourd’hui, elle ne nourrit aucun regret.
Deux ans après leur mariage, son époux prend sa retraite. Awa est ainsi venue s’installer avec son vieil époux à Goudomp en 1996. De ce mariage, le couple a eu deux enfants, avant que le vieux ne tombe malade. Durant cette période, Awa a dû se résoudre à sevrer son bébé pour mieux s’occuper de son mari. Une maladie qui l’a emporté quelques années plus tard, lui laissant deux jeunes enfants. « Je me disais que c’était mon destin. Je le lavais le matin avant d’aller au travail. Je m’occupais de lui comme je l’aurais fait avec mon père. Je lui étais reconnaissante, car il a beaucoup fait pour moi lorsque c’était dur. Il nous avait pris, moi et mon jeune frère, comme ses propres enfants », a-t-elle insisté.Après la mort de l’époux qui avait laissé une école privée en huttes, Awa a pris la relève avant de construire l’école en dur. Malheureusement, l’un des parents de son défunt époux, se déclarant propriétaire, a repris l’établissement. « Après son décès, les parents de mon défunt époux ont commencé à me mener la vie dure. J’ai décroché un boulot à la Cmu. J’ai enduré trop de souffrances, mais j’ai toujours su garder ma dignité », a-t-elle confié.
Seynabou Faty a vécu avec un mari mécanicien. Elle s’est mariée à l’âge de 16 ans, alors que ce dernier avait, à l’époque, 40 ans. Aujourd’hui, Nabou, comme on l’appelle familièrement, a 35 ans, mais on lui aurait donné la cinquantaine. Tant de souffrances vécues sont à l’origine de sa « décrépitude », qui fait voir des rides sur un visage que l’on devine jadis resplendissant de bonheur. La concession qui menace de tomber ne constitue pas une inquiétude pour la pauvre dame. Ce qui la préoccupe, c’est plutôt la nourriture de ses enfants qu’il faut régler au jour le jour. Depuis le décès de son époux qui vivait de débrouilles, l’indigente s’accroche difficilement. Elle se lève tôt le matin pour aller au champ et revenir l’après-midi pour vendre. Une vie sans repos. « On rend grâce à Dieu », dit-elle en signe de consolation, tout en faisant preuve d’une grande pudeur.
La présidente du département de Goudomp des « Bajenu Gox » (marraines de quartier) et vice-présidente de la région de Sédhiou, Khady Diambang, réputée pour son dynamisme, a aussi vécu un mariage précoce. Elle s’est retrouvée dans un ménage à l’âge de 16 ans, alors que son époux en avait 42 ans. Neuf enfants sont nés de ce mariage. Aujourd’hui, la cinquantaine révolue, elle n’a qu’un seul regret. « Je faisais du théâtre et de l’athlétisme. À cette époque, nous n’osions pas défier nos parents. J’ai accepté de vivre avec lui. Mais, il s’occupait bien de nous. » Aujourd’hui, certains de ses enfants ont pris la relève après la retraite de l’époux et la famille s’en sort très bien.
Véritable phénomène de société, les mariages d’enfants continuent de poser problème au Sénégal, plus particulièrement en Casamance, en dépit de toutes les initiatives menées par l’État du Sénégal, ses partenaires et les organisations de la société civile. Il faut dire que malgré les efforts des différents acteurs dans ce domaine, le phénomène des mariages d’enfant demeure plus que jamais présent en Casamance avec, par exemple, les cas de mariage de 29 enfants âgés entre 12 et 17 ans signalés dans la commune de Niagha (département de Goudomp) en 2019 et dont 26 étaient inscrites au Cem de ladite commune.
ABDOU SÈNE, PSYCHOSOCIOLOGUE, SPÉCIALISTE EN PROTECTION DE L’ENFANCE
« Le mariage est conçu comme un dispositif de protection de l’enfant »
Le psychosociologue et spécialiste en protection de l’enfance, Abdou Sène, apporte, dans cet entretien, la lumière sur les mariages précoces et forcés.
Quels sont les facteurs explicatifs du mariage précoce ?
Dans le contexte casamançais, il faut dire que la décision de marier une jeune fille est, la plupart du temps, prise par les parents ou la communauté. En effet, les parents, de manière générale, estiment qu’en mariant leur fille en bas âge, ils l’aident à réaliser sa principale fonction sociétale, celle de femme et de mère (« Tà aru jigéen sëy la »). Aussi, nos recherches dans le domaine révèlent que les normes sociales liées au genre, les croyances culturelles et la situation économique des parents constituent également des facteurs explicatifs du phénomène. De ce point de vue, le mariage d’enfant est conçu comme un dispositif de protection de l’enfant, tant sur le plan social, culturel qu’économique au sein des communautés de la Casamance naturelle.
Quelles en sont les conséquences ?
Force est de constater, en se basant sur l’aspect empirique des choses, qu’un mariage précoce n’offre généralement aucune protection du tout. Au contraire, c’est plutôt le contraire qui se produit. On empêche de nombreuses jeunes filles de se prévaloir de leur enfance, de leurs rêves, de leurs droits fondamentaux et de leur santé.
Sur le plan sanitaire, on exerce une grande pression sur les jeunes mariées pour qu’elles aient des enfants immédiatement après le mariage. Ce qui les fait encourir un risque accru de décès maternel et de complications telles que la fistule obstétricale. Les recherches ont aussi démontré qu’elles sont également plus susceptibles d’avoir des enfants de faible poids, des mort-nés, des accouchements difficiles, d’avoir une hypertension artérielle, de développer le cancer du col de l’utérus plus tard dans leur vie.
Sur le plan économique, la fille est laissée à elle-même avec peu de moyens, sinon aucun, pour subvenir à ses besoins. Ses études scolaires sont interrompues, éliminant une autre source de soutien économique. Il faut dire que le mariage de l’enfant est souvent synonyme d’interruption des études. Ce qui compromet son avenir, par la non réalisation de ses rêves et aspirations professionnelles.
Sur le plan psycho social, avec le mariage, la fille devient adulte avant l’âge et se retrouve isolée, dans la mesure où elle doit habituellement laisser derrière elle sa famille, ses amis et sa communauté et déménager dans la maison de son mari. En outre, la fille doit demander la permission à son mari pour tout besoin ou pour toute action à entreprendre. En raison de sa liberté restreinte de sortir de la maison et de converser avec d’autres personnes, elle devient une victime invisible. Ses problèmes restent méconnus ou ignorés par la communauté.
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