Avec le décès de Me Mbaye-Jacques Diop, c’est un gros chapitre de l’histoire politique du Sénégal qui se referme. Homme politique fortement attaché à son terroir, il a mené une vie de combats, défendant fermement ses convictions et appréciant avec un art jamais démenti les situations politiques pour en tirer le meilleur parti.
C’est une image qui s’est imprimée dans mon cerveau. Une image révélatrice de la personnalité de l’ancien président du Conseil de la République. De sa générosité. De son franc-parler. Dimanche 1er octobre 2006. Le salon de Mbaye-Jacques, à Rufisque, dans le quartier de Mérina en face de la route nationale n°1, brûle de passion. Plusieurs amis de l’ancien maire de Rufisque discutent joyeusement de la politique, de ses bonheurs, de ses grands hommes et de ses voies de traverse. Ils ont répondu à l’appel de leur leader qui s’apprête à présenter ses condoléances à une famille rufisquoise.
Comme toujours, dans les cercles de laudateurs, la discussion finit par s’orienter vers les largesses de Me Me Mbaye-Jacques Diop qui «a offert des maisons, des voitures et d’importantes sommes d’argent à ses amis». «C’est un grand seigneur qui aime prendre soin de ses amis», se réjouit l’un des hommes présents. Un griot à la mine des gens heureux qui ne trouve pas assez de mots pour remercier son généreux bienfaiteur. Et pour cause! Ce dernier lui a offert une rutilante berline allemande. Une Mercedes.
Les hommes de pouvoir, au sourire mécanique, professionnel et passe-partout, aiment les éloges. Mais, devant ce flot de louanges, l’ancien édile de la ville de Mame Coumba Lamba ne cherche pas outre mesure à galantiser avec ses amis. Sur un ton sec, il assène sa vérité avec une déconcertante franchise : «On ne peut pas passer son temps à donner autant d’argent dans un pays comme le Sénégal. Je ne fais plus de la politique, mais, je continue à donner de l’argent comme ce n’est pas possible. Le Premier ministre Macky Sall a raison de dire que Mbaye-Jacques gâte ses gens.»
Mais, l’homme à la Mercedes ne se démonte pas et embraye avec une de ces sentences dont les griots ont le secret : «Dieu répand toujours ses bienfaits sur celui qui aide ses semblables…». La réplique du maître des lieux est cinglante : «Beaucoup de gens se sont retrouvés en prison du fait des flatteurs parce qu’ils se sont laissés griser par les remerciements publics».
Mbaye-Jacques Diop qui «a offert des maisons, des voitures et d’importantes sommes d’argent à ses amis». «C’est un grand seigneur qui aime prendre soin de ses amis», se réjouit l’un des hommes présents. Un griot à la mine des gens heureux qui ne trouve pas assez de mots pour remercier son généreux bienfaiteur. Et pour cause! Ce dernier lui a offert une rutilante berline allemande. Une Mercedes.
Ainsi fut Mbaye-Jacques Diop. Généreux. Urbain. Attaché à ses amis. N’hésitant jamais à «dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste», pour parler comme Péguy. Comme lors de cette fameuse réunion de la Commission de vente des cartes et des conflits présidée par Jean Collin en 1990. Rufisque, divisée en tendances à couteaux-tirés, fait partie de l’ordre du jour. Venu en retard, Mbaye-Jacques s’installe au fond de la salle pour ne pas gêner. Au moment de se prononcer sur le cas de la vieille ville, Jean Collin prend la parole :
«On va donner la parole au Secrétaire général de la coordination. Où est-il ? Il n’est pas là ? Si, je suis là , lui répond une voix au fond de la salle. Ah ! Vous êtes au fond de la salle, comme le font les mauvais élèves". " Je n’ai jamais été un mauvais élève, aujourd’hui encore moins. Nous sommes dans un parti que j’ai contribué à bâtir pendant que beaucoup de gens qui sont dans cette salle, y compris vous, n’étaient pas encore là . Quand vous aurez fini vos sanctions, je rentrerai à Rufisque où je suis né, où j’ai enterré les miens et je continuerai auprès de mes amis le travail qu’ils m’ont confié; ce qui ne saurait être votre cas".
Personne n’a jamais osé s’attaquer publiquement de la sorte à Collin. Vérité et courage! A la sortie de la réunion, un militant de Vélingara, sous le charme, s’avance vers lui tout sourire : «Camarade, j’ai une fille et je vais te la donner en mariage parce que tu es un homme". Jean Collin finira par donner raison à Mbaye-Jacques et à ses partisans.
L’ancien Président du Conseil de la République est une icône de la politique sénégalaise. Une belle élégie chantée dans nos langues enseigne que «la mort peut avoir raison de la chair et du sang, mais, ne saurait venir à bout de l’œuvre d’une personne». Plus d’un demi-siècle de présence dans le landerneau politique de notre pays a fait de lui, jusqu’à sa mort, «l’acteur politique le plus ancien toujours en activité».
Une expérience, un passé que l’homme a toujours exhibé comme un trophée dans ses écrits, dans ses discours et dans ses actes de tous les jours, courant le risque de se faire qualifier de «passéiste» par certains observateurs politiques. Un engagement militant qui l’a vu côtoyer les trois premiers présidents de la République du Sénégal, avec ses instants de bonheur, ses moments de déception et son lot de souffrances et de déchirures.
Jusqu’à son dernier souffle, il s’est toujours posé en sujet en mouvement, refusant de tirer le bilan d’une action politique qui aura traversé de bout en bout l’histoire politique du Sénégal. D’abord avec Senghor qui a été la clef de contact qui a permis le démarrage de sa carrière. Senghor qu’il a d’abord découvert intellectuellement grâce à la lecture de l’ «Anthologie de la poésie nègre et malgache», avant de lui serrer la main, lors d’une rencontre chez son premier mentor Maurice Guèye. Une longue chevauchée politique qui démarre avec le Mouvement des jeunes du BDS par donner raison à Mbaye-Jacques et à ses partisans.
L’ancien Président du Conseil de la République est une icône de la politique sénégalaise. Une belle élégie chantée dans nos langues enseigne que «la mort peut avoir raison de la chair et du sang, mais ne saurait venir à bout de l’œuvre d’une personne». Plus d’un demi siècle de présence dans le landerneau politique de notre pays a fait de lui, jusqu’à sa mort, « l’acteur politique le plus ancien toujours en activité ». Une expérience, un passé que l’homme a toujours exhibé comme un trophée dans ses écrits, dans ses discours et dans ses actes de tous les jours, courant le risque de se faire qualifier de « passéiste » par certains observateurs politiques.
Un engagement militant qui l’a vu côtoyer les trois premiers présidents de la République du Sénégal, avec ses instants de bonheur, ses moments de déception et son lot de souffrances et de déchirures. Jusqu’à son dernier souffle, il s’est toujours posé en sujet en mouvement, refusant de tirer le bilan d’une action politique qui aura traversé de bout en bout l’histoire politique du Sénégal.
D’abord avec Senghor qui a été la clef de contact qui a permis le démarrage de sa carrière. Senghor qu’il a d’abord découvert intellectuellement grâce à la lecture de l’ «Anthologie de la poésie nègre et malgache», avant de lui serrer la main lors d’une rencontre chez son premier mentor Maurice Guèye. Une longue chevauchée politique qui démarre avec le Mouvement des jeunes du BDS (MJBDS) à l’orée de l’indépendance du Sénégal pour se poursuivre jusqu’à son accession à la tête du Conseil de la République pour les Affaires économiques et sociales (CRAES).
Paradoxe socialiste
Dans son ancienne famille socialiste, l’ex-édile de Rufisque a passé quarante-six longues années à se frayer son chemin, sans trouver sa vraie place. Il a été le principal théoricien de la mutation qui a favorisé l’émergence d’un Premier secrétaire au sein du PS entérinée lors du 13ème congrès du 30 mars 1996, le fameux «congrès sans débat».
La première conséquence de cette mutation, sera le renouvellement de l’organe dirigeant du PS, le Bureau politique, avec le départ, notamment, de Djibo Kâ, farouche contempteur de la Refondation, André Sonko, Lamine Diack, Cheikh Hamidou Kâne Mathiara, Abdoul Aziz Ndaw, Abdoulaye Diaw Chimère, Arame Diène et… Mbaye-Jacques Diop. Ils sont remplacés par une nouvelle génération d’hommes politiques qui a la particularité d’avoir commencé la politique sous l’ère Diouf.
A la veille de son départ du parti créé par Senghor entre les deux tours de la présidentielle de 2000, Mbaye-Jacques Diop passait pourtant pour l’un des membres les mieux servis de la baronnie socialiste : maire de Rufisque depuis 1984, député depuis 1993, etc. Il n’a jamais bénéficié, paradoxalement, du moindre poste nominatif. « Je n’ai jamais été nommé à quoi que ce soit au sein du PS ou dans l’appareil d’Etat. J’ai toujours été élu », aimait-il à répéter. Une anomalie corrigée par Wade avec la création du CRAES.
Le choix et le moment de sa démission du PS ont, cependant, alimenté la controverse. Mbaye-Jacques Diop a-t-il inauguré l’ère de la transhumance en quittant le navire socialiste en pleine tempête ? Est-il parti du PS par goût du lucre ou est-ce un coup de semonce d’un déçu de l’ordre tanoro-dioufiste ? Le professeur Assane Seck, préfacier de mon livre sur Mbaye-Jacques Diop, y a tenu à « vider le cas de la bile » qu’il n’arrivait pas à résorber.
Il écrit qu’ « il faut, en effet, qu’il sache que son départ du PS, s’il n’a pas été la principale cause de la défaite du parti, y a grandement contribué, par une brutale désorientation de militants, sans précédent dans l’histoire du Parti socialiste sénégalais. Plus que la perte de milliers de militants de militants et d’électeurs de Rufisque, ce qui a profondément ému l’opinion nationale dans ce départ brutal se situait, nom comme semble le faire croire le frère Mbaye-Jacques, dans la forme, mais dans la signification profonde. »
Un « intelligent politique »
De fait, le défunt Maire honoraire de Rufisque était un «intelligent politique». Il savait apprécier les situations successives, jauger la détermination des adversaires et mesurer les ressources qu’ils sont susceptibles d’utiliser comprendre la nécessité de «savoir terminer» un conflit lorsque la probabilité d’échec augmente. Cette finesse dans l’analyse des situations l’a très tôt poussé à se doter d’une base affective dans son fief de naissance. Me Mbaye-Jacques Diop a été un amoureux de ses militants et s’est employé, autant que possible, à améliorer leur quotidien. Il savait qu’en adhérant à un parti, en se réclamant d’un homme politique, l’individu peut espérer obtenir des avantages personnels : la protection, la garantie d’une promotion plus
rapide… En signant un long bail avec la mairie de Rufisque, nombre d’employés municipaux se recrutent chez ses militants.
Certains s’arrangent pour y envoyer un de leurs enfants et d’autres encore se font retourner l’ascenseur sous la forme d’une bourse d’études à l’étranger à l’un de leurs rejetons. Beaucoup de cadres rufisquois ont pu ainsi se former dans les universités européennes grâce à une bourse de la mairie de Rufisque.
C’est peut-être là une raison essentielle des rapports de fidélité rarement démentis entre Mbaye-Jacques Diop et ses militants. Quand certains de ses partisans ont pris de l’âge, leurs enfants ont repris le flambeau à ses côtés. Le style de l’homme était pour beaucoup dans cette relation. Il aimait pousser les gens à se surpasser, les aider à se réaliser.
Elégance d’esprit, élégance de corps
A l’entame du dernier quart d’une vie bien remplie, Mbaye-Jacques a été tourmenté par l’horloge biologique. «Je n’ai pas peur de la vieillesse, j’ai peur de vieillir. Je veux avoir une longue vie, mais je prie le Bon Dieu de ne pas faire de moi un vieillard grabataire qui sera un problème pour ses enfants», nous confiait-il au moment de boucler l’ouvrage que nous lui avons consacré.
Elégant de corps, amoureux des costumes griffés et pointilleux sur sa mise au point de chasser les cheveux blancs de sa tête, Mbaye-Jacques était aussi un élégant d’esprit. Sa formation et son amour de la lecture l’ont prédisposé à une culture encyclopédique. Sa bibliothèque bien fournie avec plus d’un millier de livre couvrant, presque, tous les domaines du savoir, en atteste.
C’est aussi un puriste de la langue de Molière qui ne souffre pas de buter sur l’orthographe et le sens d’un mot inconnu. Un admirateur de Hugo et des grands poètes français. Il avait, en coin de tête, le stoïcisme triomphant d’Alfred de Vigny dans « La mort du Loup » :
«(…) Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche. Dans le voie où le sort a voulu t’appeler, Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler»
Tout Mbaye-Jacques est dans ce souffle. Une âme simple et sensible, très attaché à ses proches. Un fana de Beethoven et de la musique classique, adepte de Cheikh Ahmadou Bamba tout en se définissant comme «un musulman de gauche», toujours en débat avec lui-même sur la question religieuse. Un homme de synthèse qui s’est abreuvé à plusieurs sources. Voilà , peut-être, pourquoi il avait la vie chevillée au corps.
SIDY DIOP
Journaliste, auteur
(221) 77 406 63 69
(221) 77 030 63 80
C’est une image qui s’est imprimée dans mon cerveau. Une image révélatrice de la personnalité de l’ancien président du Conseil de la République. De sa générosité. De son franc-parler. Dimanche 1er octobre 2006. Le salon de Mbaye-Jacques, à Rufisque, dans le quartier de Mérina en face de la route nationale n°1, brûle de passion. Plusieurs amis de l’ancien maire de Rufisque discutent joyeusement de la politique, de ses bonheurs, de ses grands hommes et de ses voies de traverse. Ils ont répondu à l’appel de leur leader qui s’apprête à présenter ses condoléances à une famille rufisquoise.
Comme toujours, dans les cercles de laudateurs, la discussion finit par s’orienter vers les largesses de Me Me Mbaye-Jacques Diop qui «a offert des maisons, des voitures et d’importantes sommes d’argent à ses amis». «C’est un grand seigneur qui aime prendre soin de ses amis», se réjouit l’un des hommes présents. Un griot à la mine des gens heureux qui ne trouve pas assez de mots pour remercier son généreux bienfaiteur. Et pour cause! Ce dernier lui a offert une rutilante berline allemande. Une Mercedes.
Les hommes de pouvoir, au sourire mécanique, professionnel et passe-partout, aiment les éloges. Mais, devant ce flot de louanges, l’ancien édile de la ville de Mame Coumba Lamba ne cherche pas outre mesure à galantiser avec ses amis. Sur un ton sec, il assène sa vérité avec une déconcertante franchise : «On ne peut pas passer son temps à donner autant d’argent dans un pays comme le Sénégal. Je ne fais plus de la politique, mais, je continue à donner de l’argent comme ce n’est pas possible. Le Premier ministre Macky Sall a raison de dire que Mbaye-Jacques gâte ses gens.»
Mais, l’homme à la Mercedes ne se démonte pas et embraye avec une de ces sentences dont les griots ont le secret : «Dieu répand toujours ses bienfaits sur celui qui aide ses semblables…». La réplique du maître des lieux est cinglante : «Beaucoup de gens se sont retrouvés en prison du fait des flatteurs parce qu’ils se sont laissés griser par les remerciements publics».
Mbaye-Jacques Diop qui «a offert des maisons, des voitures et d’importantes sommes d’argent à ses amis». «C’est un grand seigneur qui aime prendre soin de ses amis», se réjouit l’un des hommes présents. Un griot à la mine des gens heureux qui ne trouve pas assez de mots pour remercier son généreux bienfaiteur. Et pour cause! Ce dernier lui a offert une rutilante berline allemande. Une Mercedes.
Ainsi fut Mbaye-Jacques Diop. Généreux. Urbain. Attaché à ses amis. N’hésitant jamais à «dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste», pour parler comme Péguy. Comme lors de cette fameuse réunion de la Commission de vente des cartes et des conflits présidée par Jean Collin en 1990. Rufisque, divisée en tendances à couteaux-tirés, fait partie de l’ordre du jour. Venu en retard, Mbaye-Jacques s’installe au fond de la salle pour ne pas gêner. Au moment de se prononcer sur le cas de la vieille ville, Jean Collin prend la parole :
«On va donner la parole au Secrétaire général de la coordination. Où est-il ? Il n’est pas là ? Si, je suis là , lui répond une voix au fond de la salle. Ah ! Vous êtes au fond de la salle, comme le font les mauvais élèves". " Je n’ai jamais été un mauvais élève, aujourd’hui encore moins. Nous sommes dans un parti que j’ai contribué à bâtir pendant que beaucoup de gens qui sont dans cette salle, y compris vous, n’étaient pas encore là . Quand vous aurez fini vos sanctions, je rentrerai à Rufisque où je suis né, où j’ai enterré les miens et je continuerai auprès de mes amis le travail qu’ils m’ont confié; ce qui ne saurait être votre cas".
Personne n’a jamais osé s’attaquer publiquement de la sorte à Collin. Vérité et courage! A la sortie de la réunion, un militant de Vélingara, sous le charme, s’avance vers lui tout sourire : «Camarade, j’ai une fille et je vais te la donner en mariage parce que tu es un homme". Jean Collin finira par donner raison à Mbaye-Jacques et à ses partisans.
L’ancien Président du Conseil de la République est une icône de la politique sénégalaise. Une belle élégie chantée dans nos langues enseigne que «la mort peut avoir raison de la chair et du sang, mais, ne saurait venir à bout de l’œuvre d’une personne». Plus d’un demi-siècle de présence dans le landerneau politique de notre pays a fait de lui, jusqu’à sa mort, «l’acteur politique le plus ancien toujours en activité».
Une expérience, un passé que l’homme a toujours exhibé comme un trophée dans ses écrits, dans ses discours et dans ses actes de tous les jours, courant le risque de se faire qualifier de «passéiste» par certains observateurs politiques. Un engagement militant qui l’a vu côtoyer les trois premiers présidents de la République du Sénégal, avec ses instants de bonheur, ses moments de déception et son lot de souffrances et de déchirures.
Jusqu’à son dernier souffle, il s’est toujours posé en sujet en mouvement, refusant de tirer le bilan d’une action politique qui aura traversé de bout en bout l’histoire politique du Sénégal. D’abord avec Senghor qui a été la clef de contact qui a permis le démarrage de sa carrière. Senghor qu’il a d’abord découvert intellectuellement grâce à la lecture de l’ «Anthologie de la poésie nègre et malgache», avant de lui serrer la main, lors d’une rencontre chez son premier mentor Maurice Guèye. Une longue chevauchée politique qui démarre avec le Mouvement des jeunes du BDS par donner raison à Mbaye-Jacques et à ses partisans.
L’ancien Président du Conseil de la République est une icône de la politique sénégalaise. Une belle élégie chantée dans nos langues enseigne que «la mort peut avoir raison de la chair et du sang, mais ne saurait venir à bout de l’œuvre d’une personne». Plus d’un demi siècle de présence dans le landerneau politique de notre pays a fait de lui, jusqu’à sa mort, « l’acteur politique le plus ancien toujours en activité ». Une expérience, un passé que l’homme a toujours exhibé comme un trophée dans ses écrits, dans ses discours et dans ses actes de tous les jours, courant le risque de se faire qualifier de « passéiste » par certains observateurs politiques.
Un engagement militant qui l’a vu côtoyer les trois premiers présidents de la République du Sénégal, avec ses instants de bonheur, ses moments de déception et son lot de souffrances et de déchirures. Jusqu’à son dernier souffle, il s’est toujours posé en sujet en mouvement, refusant de tirer le bilan d’une action politique qui aura traversé de bout en bout l’histoire politique du Sénégal.
D’abord avec Senghor qui a été la clef de contact qui a permis le démarrage de sa carrière. Senghor qu’il a d’abord découvert intellectuellement grâce à la lecture de l’ «Anthologie de la poésie nègre et malgache», avant de lui serrer la main lors d’une rencontre chez son premier mentor Maurice Guèye. Une longue chevauchée politique qui démarre avec le Mouvement des jeunes du BDS (MJBDS) à l’orée de l’indépendance du Sénégal pour se poursuivre jusqu’à son accession à la tête du Conseil de la République pour les Affaires économiques et sociales (CRAES).
Paradoxe socialiste
Dans son ancienne famille socialiste, l’ex-édile de Rufisque a passé quarante-six longues années à se frayer son chemin, sans trouver sa vraie place. Il a été le principal théoricien de la mutation qui a favorisé l’émergence d’un Premier secrétaire au sein du PS entérinée lors du 13ème congrès du 30 mars 1996, le fameux «congrès sans débat».
La première conséquence de cette mutation, sera le renouvellement de l’organe dirigeant du PS, le Bureau politique, avec le départ, notamment, de Djibo Kâ, farouche contempteur de la Refondation, André Sonko, Lamine Diack, Cheikh Hamidou Kâne Mathiara, Abdoul Aziz Ndaw, Abdoulaye Diaw Chimère, Arame Diène et… Mbaye-Jacques Diop. Ils sont remplacés par une nouvelle génération d’hommes politiques qui a la particularité d’avoir commencé la politique sous l’ère Diouf.
A la veille de son départ du parti créé par Senghor entre les deux tours de la présidentielle de 2000, Mbaye-Jacques Diop passait pourtant pour l’un des membres les mieux servis de la baronnie socialiste : maire de Rufisque depuis 1984, député depuis 1993, etc. Il n’a jamais bénéficié, paradoxalement, du moindre poste nominatif. « Je n’ai jamais été nommé à quoi que ce soit au sein du PS ou dans l’appareil d’Etat. J’ai toujours été élu », aimait-il à répéter. Une anomalie corrigée par Wade avec la création du CRAES.
Le choix et le moment de sa démission du PS ont, cependant, alimenté la controverse. Mbaye-Jacques Diop a-t-il inauguré l’ère de la transhumance en quittant le navire socialiste en pleine tempête ? Est-il parti du PS par goût du lucre ou est-ce un coup de semonce d’un déçu de l’ordre tanoro-dioufiste ? Le professeur Assane Seck, préfacier de mon livre sur Mbaye-Jacques Diop, y a tenu à « vider le cas de la bile » qu’il n’arrivait pas à résorber.
Il écrit qu’ « il faut, en effet, qu’il sache que son départ du PS, s’il n’a pas été la principale cause de la défaite du parti, y a grandement contribué, par une brutale désorientation de militants, sans précédent dans l’histoire du Parti socialiste sénégalais. Plus que la perte de milliers de militants de militants et d’électeurs de Rufisque, ce qui a profondément ému l’opinion nationale dans ce départ brutal se situait, nom comme semble le faire croire le frère Mbaye-Jacques, dans la forme, mais dans la signification profonde. »
Un « intelligent politique »
De fait, le défunt Maire honoraire de Rufisque était un «intelligent politique». Il savait apprécier les situations successives, jauger la détermination des adversaires et mesurer les ressources qu’ils sont susceptibles d’utiliser comprendre la nécessité de «savoir terminer» un conflit lorsque la probabilité d’échec augmente. Cette finesse dans l’analyse des situations l’a très tôt poussé à se doter d’une base affective dans son fief de naissance. Me Mbaye-Jacques Diop a été un amoureux de ses militants et s’est employé, autant que possible, à améliorer leur quotidien. Il savait qu’en adhérant à un parti, en se réclamant d’un homme politique, l’individu peut espérer obtenir des avantages personnels : la protection, la garantie d’une promotion plus
rapide… En signant un long bail avec la mairie de Rufisque, nombre d’employés municipaux se recrutent chez ses militants.
Certains s’arrangent pour y envoyer un de leurs enfants et d’autres encore se font retourner l’ascenseur sous la forme d’une bourse d’études à l’étranger à l’un de leurs rejetons. Beaucoup de cadres rufisquois ont pu ainsi se former dans les universités européennes grâce à une bourse de la mairie de Rufisque.
C’est peut-être là une raison essentielle des rapports de fidélité rarement démentis entre Mbaye-Jacques Diop et ses militants. Quand certains de ses partisans ont pris de l’âge, leurs enfants ont repris le flambeau à ses côtés. Le style de l’homme était pour beaucoup dans cette relation. Il aimait pousser les gens à se surpasser, les aider à se réaliser.
Elégance d’esprit, élégance de corps
A l’entame du dernier quart d’une vie bien remplie, Mbaye-Jacques a été tourmenté par l’horloge biologique. «Je n’ai pas peur de la vieillesse, j’ai peur de vieillir. Je veux avoir une longue vie, mais je prie le Bon Dieu de ne pas faire de moi un vieillard grabataire qui sera un problème pour ses enfants», nous confiait-il au moment de boucler l’ouvrage que nous lui avons consacré.
Elégant de corps, amoureux des costumes griffés et pointilleux sur sa mise au point de chasser les cheveux blancs de sa tête, Mbaye-Jacques était aussi un élégant d’esprit. Sa formation et son amour de la lecture l’ont prédisposé à une culture encyclopédique. Sa bibliothèque bien fournie avec plus d’un millier de livre couvrant, presque, tous les domaines du savoir, en atteste.
C’est aussi un puriste de la langue de Molière qui ne souffre pas de buter sur l’orthographe et le sens d’un mot inconnu. Un admirateur de Hugo et des grands poètes français. Il avait, en coin de tête, le stoïcisme triomphant d’Alfred de Vigny dans « La mort du Loup » :
«(…) Gémir, pleurer, prier est également lâche. Fais énergiquement ta longue et lourde tâche. Dans le voie où le sort a voulu t’appeler, Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler»
Tout Mbaye-Jacques est dans ce souffle. Une âme simple et sensible, très attaché à ses proches. Un fana de Beethoven et de la musique classique, adepte de Cheikh Ahmadou Bamba tout en se définissant comme «un musulman de gauche», toujours en débat avec lui-même sur la question religieuse. Un homme de synthèse qui s’est abreuvé à plusieurs sources. Voilà , peut-être, pourquoi il avait la vie chevillée au corps.
SIDY DIOP
Journaliste, auteur
(221) 77 406 63 69
(221) 77 030 63 80