Mort de Naomi : en attendant l’enquête, l’opératrice du Samu affectée à un autre service
Le directeur des hôpitaux de Strasbourg a annoncé que la personne qui avait reçu l’appel de Naomi et l’avait traité avec mépris n’exerce plus les mêmes fonctions.
L’enquête ne fait que commencer après la mort de Naomi Musenga, 22 ans, décédée quelques heures après avoir été mal reçue lors d’un appel au Samu. Mais d’ores et déjà, devant le retentissement de l’affaire, Christophe Gautier, directeur des hôpitaux universitaires de Strasbourg, a annoncé à France 3 Alsace que l’opératrice qui avait géré l’appel de détresse de la jeune femme n’exerce plus les mêmes fonctions au sein de l’établissement. Elle a été affectée à un autre service, « de façon à ce qu’elle ne soit plus sur un rôle de réponse aux patients ».
« Une première analyse laisse à penser que les conditions de traitement de l’appel n’ont pas été conformes aux bonnes pratiques, mais seule l’enquête pourra le déterminer », a-t-il expliqué.
« Il fallait que tout le monde sache »
La famille de Naomi, qui n’a pas encore porté plainte, explique aussi ses interrogations et sa démarche auprès de France 3. « On a demandé l’enregistrement parce que l’on ne comprenait pourquoi Naomi a dû attendre si longtemps pour être prise en charge », explique Louange Musenga, sa grande sœur.
« L’enregistrement nous a choqués. On ne s’attendait pas à ça, poursuit-elle. Dans l’appel, il y a des personnes qui rigolent entre elles, elles font semblant de ne pas comprendre le nom […]. On se demande comment une personne humaine peut poser ce genre de question à une personne qui est en train de mourir. Il fallait que tout le monde sache ».
Le père de Naomi, lui, s’interroge sur la formation des personnes qui reçoivent les appels du Samu. La famille a demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire, en plus de l’enquête administrative.
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La ministre de la Santé Agnès Buzyn s’est déclarée « profondément indignée » par l’affaire et a dénoncé de « graves dysfonctionnement ». Naomi Musenga était la mère d’une petite fille qui a maintenant 22 mois.
Retranscription de l’échange avec le Samu
Le 29 décembre dernier, Naomi Musenga appelle le Samu en disant « aidez-moi ».
-Si vous ne me dites pas ce qui se passe, je raccroche », explique l’opératrice.
-Madame j’ai très mal, répond Naomi
-Oui ben, vous appelez un médecin, hein, d’accord ? Voilà, vous appelez SOS médecins
– Je peux pas
– Vous pouvez pas ? Ah non, vous pouvez appelez les pompiers, mais vous ne pouvez pas…
– Je vais mourir.
– Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde.
– Vous appelez SOS médecins, c’est 03 88 75 75 75, d’accord ?
– S’il vous plaît, aidez-moi madame…
– Je peux pas vous aider, je ne sais pas ce que vous avez.
– J’ai très mal, j’ai très très mal.
– Et où ?
– J’ai très mal au ventre […] et mal partout.
– Oui, ben, vous appelez SOS médecins au 03 88 75 75 75, voilà, ça je ne peux pas le faire à votre place. 03 88 75 75 75. Qu’un médecin vous voie, ou sinon vous appelez votre médecin traitant, d’accord ?
– D’accord (dit dans un murmure).
– Au revoir.
Ce que l’on sait de l’histoire de Naomi Musenga, morte après avoir tenté d’appeler le Samu
Agée de 22 ans et mère d’une fille, Naomi Musenga est morte quelques heures après avoir appelé le Samu, à Strasbourg. Lors de ce coup de téléphone, deux opératrices s’étaient moquées de la patiente. L’attitude des secours pendant cet appel, dont l’enregistrement a été rendu public, fait polémique.
Au lieu de l’aider, les secours se sont moqués d’elle. La ministre de la Santé Agnès Buzyn a demandé, mardi 8 mai, une enquête administrative pour « faire la lumière » sur la prise en charge de Naomi Musenga, une mère de famille de 22 ans, morte peu après avoir été raillée par deux opératrices des secours de l’hôpital universitaire de Strasbourg (Bas-Rhin). Les faits remontent au 29 décembre dernier, mais la polémique enfle depuis qu’a été rendu public, le 27 avril, l’enregistrement de l’appel de la jeune femme, sur le site d’information local Heb’di. On y entend Naomi Musenga dire qu’elle « va très mal ».
Franceinfo fait le point sur la polémique.
Que s’est-il passé ?
Naomi Musenga, 22 ans, est seule chez elle, ce vendredi 29 décembre, à son domicile strasbourgeois. Il est 11 heures lorsque cette mère d’une fille âgée d’un an est prise de douleurs intenses. « A bout de forces », raconte Heb’di, elle compose sur son téléphone le 15, le numéro du Samu, le service des urgences médicales.
Au bout du fil, une opératrice transmet à l’une de ses collègues les premières informations dont elle dispose sur le cas de Naomi. « Elle m’a dit qu’elle ‘va mourir’, rapporte l’opératrice. Elle a 22 ans, elle a des douleurs au ventre, (…) elle a de la fièvre, et ‘elle va mourir’ « , poursuit-elle. « Ah, c’est sûr qu’elle va mourir un jour, c’est certain », répond l’opératrice des secours, le ton moqueur. Après une minute trente de discussion entre les deux femmes, la deuxième opératrice prend en ligne Naomi. Le souffle court, elle tente difficilement d’expliquer sa situation, comme on l’entend dans cet enregistrement.
Voici la retranscription de l’échange, qui dure une minute vingt. C’est la famille de la jeune femme qui l’a obtenu, puis transmis à la presse.
– « Oui, allô ! »
– Allô… Aidez-moi, madame…
– Oui, qu’est-ce qui se passe?
– Aidez-moi…
– Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche…
– Madame, j’ai très mal…
– Oui ben, vous appelez un médecin, hein, d’accord ? Voilà, vous appelez SOS médecins.
– Je peux pas.
– Vous pouvez pas ? Ah non, vous pouvez appelez les pompiers, mais vous ne pouvez pas…
– Je vais mourir.
– Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde.
– Vous appelez SOS médecins, c’est 03 88 75 75 75, d’accord ?
– S’il vous plaît, aidez-moi madame…
– Je peux pas vous aider, je ne sais pas ce que vous avez.
– J’ai très mal, j’ai très très mal.
– Et où ?
– J’ai très mal au ventre (…) et mal partout.
– Oui, ben, vous appelez SOS médecins au 03 88 75 75 75, voilà, ça je ne peux pas le faire à votre place. 03 88 75 75 75. Qu’un médecin vous voie, ou sinon vous appelez votre médecin traitant, d’accord ?
– D’accord.
– Au revoir. »
Naomi Musenga raccroche, puis trouve la force d’appeler SOS médecins. A partir de ce moment, tout se passe très vite. Devant l’état critique de la jeune femme, les praticiens déclenchent l’intervention du Samu de Strasbourg. Naomi est « consciente », rapporte Heb’di, mais son état se « dégrade » lors de son transfert à l’hôpital. Elle passe un scanner, mais fait deux arrêts cardiaques, victime d’un infarctus, précisent Le Monde et Heb’di. Transférée en réanimation, elle meurt à 17h30, soit six heures et demi après son appel.
Une autopsie est pratiquée cinq jours plus tard. Naomi Musenga est morte des suites d’une « défaillance multiviscérale sur choc hémorragique », selon le rapport consulté par Le Monde, qui précise qu’il s’agit de « l’arrêt de plusieurs organes », dont la cause peut résulter de « facteurs variés ».
Comment réagit la famille ?
Peu après la mort de Naomi, sa famille a contacté le site Heb’di, qui a publié son enquête le 27 avril, après avoir obtenu l’enregistrement de l’échange téléphonique entre les secours et la victime. « J’étais effondrée, abasourdie, choquée » après l’écoute de l’enregistrement, raconte à France Bleu Bablyne Musenga, la mère de Naomi. Aide-soignante dans le milieu médical, elle s’interroge : « Est-ce que le Samu est toujours à sa place ou c’est SOS Médecins qui devient le Samu ou ce sont les pompiers ? »
Pour y voir plus clair, la famille a saisi le procureur de la République de Strasbourg, afin de connaître les causes réelles du décès de la jeune femme, et de savoir si une prise en charge adaptée de Naomi aurait pu la sauver. « Quelqu’un qui appelle le Samu, c’est pour être sauvé ! Mais si on appelle le Samu pour qu’il nous crache dessus, c’est choquant », dénonce Louange Musenga, la sœur de Naomi, interrogée par France 2.
Les opératrices ont-elles respecté les procédures ?
L’attitude des deux opératrices du Samu, qui n’ont pas su saisir l’urgence de la situation de Naomi, pose question. Dans l’attente des conclusions de l’enquête administrative, plusieurs médecins ont eu des mots très durs envers les deux répondantes. « Ça n’est pas pardonnable, la manière qu’il y a eu de répondre à Naomi, et de ne pas comprendre sa détresse », déplore Patrick Pelloux, médecin urgentiste, sur franceinfo.
Les propos qui sont tenus par l’opératrice du Samu ne sont « pas acceptables », abonde François Braun, président de Samu Urgences France, sur franceinfo. Selon lui, l’opératrice n’avait pas à prendre seule la décision de rediriger Naomi vers SOS Médecins. « Ce qui est encore moins acceptable, poursuit-il, c’est que normalement tout appel est transmis à un médecin régulateur. C’est ce médecin qui prend les décisions suite à un interrogatoire médical et dans ce cas l’appel n’a pas été transmis au médecin. Ce n’est absolument pas la procédure. Ce n’est absolument pas ce que l’on apprend à nos opératrices. On ne demande pas aux gens de rappeler, on le fait nous-même et on transmet l’appel éventuellement à un autre service. »
Je crois qu’il faut faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé parce que c’est vraiment trop grave.
Patrick Pelloux
à franceinfo
« Inutile de vous dire que je ne considère pas que ce soit un modèle de prise en charge, renchérit Frédéric Lapostolle, professeur de médecine d’urgence, sur RMC. (…) Ça manque d’empathie et d’intérêt porté au patient. »