L'idée de démocratie postule chez Alain Touraine une double autonomie du système politique qui se traduit par l’autonomie et le rôle de médiation de la société politique vis-à -vis de l’Etat et de la société civile. « C’est le système politique qui est le lieu de la démocratie » conclut-il. Si Etat, société politique et société civile constituent les éléments du système, la logique démocratique veut que le peuple légitime le pouvoir et non l’inverse. Les organisations de la société civile sénégalaise renversent complètement la tendance lorsqu’elles concèdent au Président de la République la prouesse d’être passé au second tour sans avoir été le candidat des Assises.
Compte non tenu des engagements que ce dernier avait pris devant le professeur Amadou Makhtar Mbow, le Chef de l’Etat serait en sus fondé à agir à sa guise en ceci que les conclusions des Assises ne sauraient faire office de programme de gouvernement. Par conséquent, les recommandations du comité de suivi voient leur mise en œuvre suspendue à la volonté du Président de la République.
Nous nous proposons juste d’ouvrir au public un débat que des voix plus autorisées ont mené dans un cadre purement académique. C’est le lieu de fustiger, au demeurant, la distance qui sépare la recherche scientifique du débat politique.
La refondation à laquelle appellent les acteurs de la société civile exige un exercice de déconstruction théorique et des initiatives plus tournées vers les citoyens que les institutions. En effet, avec Bernard Manin, il convient de reconsidérer les vertus de la volonté générale chère à Rousseau, auquel celui là préfère le paradigme délibératif. « Ma thèse, souligne t-il, rompait avec cette conception, reprise dans une certaine mesure chez Kant et proposait de se substituer à ce double critère de légitimité d’une décision collective une exigence portant sur les conditions de sa production : une décision est légitime et a une valeur dans la mesure où elle résulte de la délibération de tous ».
Les implications pratiques de ce type de raisonnement recoupent les éléments contre-démocratiques que Pierre Rosanvallon considère comme des remèdes susceptibles de corriger les carences du système représentatif. Il faut d’ailleurs rappeler que la représentation politique n’a pas été conçue pour réaliser la démocratie mais plutôt pour exclure les citoyens de la gestion des affaires publiques. La société civile se trouve ainsi légitimée par la prise en charge des revendications que les populations peinent à porter devant les décideurs publics. Référer au verdict des urnes pour disqualifier toute contestation relève d’une vision anachronique qui doit cesser avec la fin de l’ère Wade.
Les organisations de la société civile peuvent à juste titre être intégrées dans ce que Rosanvallon appelle les « niveaux de la représentation » dont la démultiplication sonne comme pour revitaliser le lien démocratique. L’élection cesse d’être la seule voie légitimement consacrée pour s’assurer d’agir au nom du peuple. Le juge constitutionnel mais aussi tous ceux qui parlent et agissent « au nom du peuple » peuvent de ce point de vue être considérés comme des représentants. Cette forme « complexe » que prend la représentation traduirait une vision plus « fidèle » aux demandes sociales.
« Mais, elle correspond aussi au caractère introuvable du peuple. Loin de former un bloc, dont une unanimité livrerait le secret de la substance, le peuple reste une puissance que nul ne peut posséder ou prétendre incarner. Le peuple est le sujet central et absent du processus politique ; il excède toujours les approximations que l’on en donne. A travers les élections, il existe sous une forme instantanée et évanescente. Il ne se matérialise donc que de façon approchée. Parce qu’il est ainsi complexe, inachevé, toujours renouvelé, le peuple ne peut être saisi que par une représentation démultipliée et diffractée. »
Ainsi faudrait-il toujours prendre garde aux appels incessants lancés au nom du peuple, fussent-ils ceux émanant des représentants dûment élus, encore moins ceux de la société civile.
Pallier « l’inexistence au Sénégal d’un espace de mobilisation et de participation permanente des citoyens » constitue pour le Forum civil l’un des chantiers les plus à même de consolider la démocratie. La démocratie participative ne doit cependant point se réduire à l’expertise technique. Cette dimension managériale doit s’adosser à la légitimité démocratique que les procédés délibératifs peuvent contribuer à mettre en œuvre. Il s’agit de renouveler et d’approfondir la participation dans une perspective de « démocratisation de la démocratie ». « La participation, renchérit Remi Lefebvre, est alors censée ne pas se cantonner à de l’ingénierie gestionnaire et sociale et déboucher sur une transformation des relations civiques » (…). Les mots d’ordre seront alors : transformer la culture civique, (ré) apprendre la citoyenneté, stimuler l’échange des points de vue… »
Si le système partisan qui informe notre vie politique n’a que faire de la promotion de la citoyenneté démocratique, les organisations de la société civile peinent pour autant à favoriser son émergence. Ce nouveau lien politique s’avère d’autant plus nécessaire qu’il donne vitalité à toute idée de nation dans un contexte d’individualisme exacerbé et de crise économique généralisée. En effet l’avènement de la démocratie libérale introduit une évolution avec la définition du citoyen selon des critères économiques. La citoyenneté a un rapport assez étroit avec la souveraineté populaire, fondement de la démocratie moderne. Mais le grand défi c’est celui de la citoyenneté ; autrement tout acquis arraché de haute lutte peut faire l’objet de remise en cause.
Les forces sociales qui constituent le cadre d’expression des revendications populaires doivent à leur tour faire la preuve de leur autonomie et de leur légitimité. C’est à ce prix que la contestation du système représentatif peut avoir un sens. La réalisation du projet démocratique incombe moins à l’Etat qu’aux membres de la société. Et Alain Touraine de conclure l’une de ses conférences en soulignant la responsabilité des intellectuels dans l’avènement de la démocratie, mouvement au travers du quel Alexis de Tocqueville déclarait observer la main de la Providence.
« Nous, intellectuels en général, et en particulier gens des sciences sociales, notre rôle le plus important aujourd’hui n’est pas l’expertise mais la reconstruction de l’opinion publique. Il s’agit par là d’aider à la restructuration des forces sociales et de préparer un jour prochain leur transcription dans le système politique. Pour que la démocratie soit représentative, il faut que les intellectuels aient le courage et la capacité de représenter, de dire par la recherche, l’enseignement, le roman ou l’essai, le film et la musique, les problèmes, les initiatives, les conflits de la vie sociale, pour que ceux-ci puissent pénétrer dans les institutions, les assemblées et les conseils où se prennent les décisions publiques ».
Le prolongement du compagnonnage entre les partis de l’opposition et certains membres de la société civile est significatif de la porosité des frontières qui existeraient entre les deux sphères. Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle intervient dans un contexte où la nouvelle opposition est trop préoccupée par la traque des biens mal acquis pour jouer un quelconque rôle. Les réformes que le Président Macky Sall est entrain d’engager exigent un climat autrement plus favorable à la délibération que ce qui se donne à voir. Les ambitions présidentielles qui fusent de son propre camp dissipent à peine le climat de perpétuelle campagne électorale que les Sénégalais subissent avec plus ou moins d’enthousiasme. Dans ces conditions, toute crise quelque minime qu’elle puisse être donne libre cours aux ennemis de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Ousmane Abdoulaye Barro
Titulaire d’un DEA de science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
ousmaneabdoulayebarro@yahoo.fr
Compte non tenu des engagements que ce dernier avait pris devant le professeur Amadou Makhtar Mbow, le Chef de l’Etat serait en sus fondé à agir à sa guise en ceci que les conclusions des Assises ne sauraient faire office de programme de gouvernement. Par conséquent, les recommandations du comité de suivi voient leur mise en œuvre suspendue à la volonté du Président de la République.
Nous nous proposons juste d’ouvrir au public un débat que des voix plus autorisées ont mené dans un cadre purement académique. C’est le lieu de fustiger, au demeurant, la distance qui sépare la recherche scientifique du débat politique.
La refondation à laquelle appellent les acteurs de la société civile exige un exercice de déconstruction théorique et des initiatives plus tournées vers les citoyens que les institutions. En effet, avec Bernard Manin, il convient de reconsidérer les vertus de la volonté générale chère à Rousseau, auquel celui là préfère le paradigme délibératif. « Ma thèse, souligne t-il, rompait avec cette conception, reprise dans une certaine mesure chez Kant et proposait de se substituer à ce double critère de légitimité d’une décision collective une exigence portant sur les conditions de sa production : une décision est légitime et a une valeur dans la mesure où elle résulte de la délibération de tous ».
Les implications pratiques de ce type de raisonnement recoupent les éléments contre-démocratiques que Pierre Rosanvallon considère comme des remèdes susceptibles de corriger les carences du système représentatif. Il faut d’ailleurs rappeler que la représentation politique n’a pas été conçue pour réaliser la démocratie mais plutôt pour exclure les citoyens de la gestion des affaires publiques. La société civile se trouve ainsi légitimée par la prise en charge des revendications que les populations peinent à porter devant les décideurs publics. Référer au verdict des urnes pour disqualifier toute contestation relève d’une vision anachronique qui doit cesser avec la fin de l’ère Wade.
Les organisations de la société civile peuvent à juste titre être intégrées dans ce que Rosanvallon appelle les « niveaux de la représentation » dont la démultiplication sonne comme pour revitaliser le lien démocratique. L’élection cesse d’être la seule voie légitimement consacrée pour s’assurer d’agir au nom du peuple. Le juge constitutionnel mais aussi tous ceux qui parlent et agissent « au nom du peuple » peuvent de ce point de vue être considérés comme des représentants. Cette forme « complexe » que prend la représentation traduirait une vision plus « fidèle » aux demandes sociales.
« Mais, elle correspond aussi au caractère introuvable du peuple. Loin de former un bloc, dont une unanimité livrerait le secret de la substance, le peuple reste une puissance que nul ne peut posséder ou prétendre incarner. Le peuple est le sujet central et absent du processus politique ; il excède toujours les approximations que l’on en donne. A travers les élections, il existe sous une forme instantanée et évanescente. Il ne se matérialise donc que de façon approchée. Parce qu’il est ainsi complexe, inachevé, toujours renouvelé, le peuple ne peut être saisi que par une représentation démultipliée et diffractée. »
Ainsi faudrait-il toujours prendre garde aux appels incessants lancés au nom du peuple, fussent-ils ceux émanant des représentants dûment élus, encore moins ceux de la société civile.
Pallier « l’inexistence au Sénégal d’un espace de mobilisation et de participation permanente des citoyens » constitue pour le Forum civil l’un des chantiers les plus à même de consolider la démocratie. La démocratie participative ne doit cependant point se réduire à l’expertise technique. Cette dimension managériale doit s’adosser à la légitimité démocratique que les procédés délibératifs peuvent contribuer à mettre en œuvre. Il s’agit de renouveler et d’approfondir la participation dans une perspective de « démocratisation de la démocratie ». « La participation, renchérit Remi Lefebvre, est alors censée ne pas se cantonner à de l’ingénierie gestionnaire et sociale et déboucher sur une transformation des relations civiques » (…). Les mots d’ordre seront alors : transformer la culture civique, (ré) apprendre la citoyenneté, stimuler l’échange des points de vue… »
Si le système partisan qui informe notre vie politique n’a que faire de la promotion de la citoyenneté démocratique, les organisations de la société civile peinent pour autant à favoriser son émergence. Ce nouveau lien politique s’avère d’autant plus nécessaire qu’il donne vitalité à toute idée de nation dans un contexte d’individualisme exacerbé et de crise économique généralisée. En effet l’avènement de la démocratie libérale introduit une évolution avec la définition du citoyen selon des critères économiques. La citoyenneté a un rapport assez étroit avec la souveraineté populaire, fondement de la démocratie moderne. Mais le grand défi c’est celui de la citoyenneté ; autrement tout acquis arraché de haute lutte peut faire l’objet de remise en cause.
Les forces sociales qui constituent le cadre d’expression des revendications populaires doivent à leur tour faire la preuve de leur autonomie et de leur légitimité. C’est à ce prix que la contestation du système représentatif peut avoir un sens. La réalisation du projet démocratique incombe moins à l’Etat qu’aux membres de la société. Et Alain Touraine de conclure l’une de ses conférences en soulignant la responsabilité des intellectuels dans l’avènement de la démocratie, mouvement au travers du quel Alexis de Tocqueville déclarait observer la main de la Providence.
« Nous, intellectuels en général, et en particulier gens des sciences sociales, notre rôle le plus important aujourd’hui n’est pas l’expertise mais la reconstruction de l’opinion publique. Il s’agit par là d’aider à la restructuration des forces sociales et de préparer un jour prochain leur transcription dans le système politique. Pour que la démocratie soit représentative, il faut que les intellectuels aient le courage et la capacité de représenter, de dire par la recherche, l’enseignement, le roman ou l’essai, le film et la musique, les problèmes, les initiatives, les conflits de la vie sociale, pour que ceux-ci puissent pénétrer dans les institutions, les assemblées et les conseils où se prennent les décisions publiques ».
Le prolongement du compagnonnage entre les partis de l’opposition et certains membres de la société civile est significatif de la porosité des frontières qui existeraient entre les deux sphères. Cette situation est d’autant plus regrettable qu’elle intervient dans un contexte où la nouvelle opposition est trop préoccupée par la traque des biens mal acquis pour jouer un quelconque rôle. Les réformes que le Président Macky Sall est entrain d’engager exigent un climat autrement plus favorable à la délibération que ce qui se donne à voir. Les ambitions présidentielles qui fusent de son propre camp dissipent à peine le climat de perpétuelle campagne électorale que les Sénégalais subissent avec plus ou moins d’enthousiasme. Dans ces conditions, toute crise quelque minime qu’elle puisse être donne libre cours aux ennemis de la démocratie et de la bonne gouvernance.
Ousmane Abdoulaye Barro
Titulaire d’un DEA de science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
ousmaneabdoulayebarro@yahoo.fr