La pêche artisanale, un levier pour la sécurité alimentaire et l’émergence du Sénégal, en danger


Rédigé le Lundi 18 Mai 2015 à 20:28 | Lu 221 fois | 0 commentaire(s)




La pêche artisanale, un levier pour la sécurité alimentaire et l’émergence du Sénégal, en danger
Introduction 

Le Sénégal dispose de 718 km de côtes avec un espace maritime de 198 000 km2 et un large plateau continental de 196 000 km2. Sa Zone Economique Exclusive s’étend sur 200 milles nautiques à partir de la ligne de base. Les côtes sénégalaises sont classées parmi les plus poissonneuses au monde. 

Depuis 1960, le Sénégal a engagé plusieurs initiatives pour favoriser le développement de la pêche artisanale. Cette politique volontariste de l’Etat se justifiait par la richesse en poissons de nos eaux, par la variété des espèces pêchées et par la qualité de la main d’œuvre nationale. 

Ces incitations ont entraîné un accroissement spectaculaire des captures qui ont progressé de 344% en 1975 : 79 360 tonnes en 1960 et 352 912 tonnes en 1975. 

Le secteur de la pêche est une activité économique essentielle pour le Sénégal. Il contribue pour environ 2% au PIB. Il génère 30% des recettes d’exportation devant le tourisme et les phosphates. Il est également grand pourvoir de devises du Sénégal. Il génère 600 000 emplois directs et induits dont 94% sont fournis par la pêche artisanale et 1 600 000 à 2 000 000 de personnes sont dépendantes du secteur. La pêche joue un rôle capital dans l’alimentation des populations. Elle satisfait 70% des besoins en protéines d’origine animale des consommateurs au Sénégal. 

La pêche artisanale occupe une place prépondérante dans le secteur de la pêche tant sur le plan captures que sur le nombre d’emplois créés Avec son parc piroguier de 21 000 embarcations utilisées par 70 000 pêcheurs, la pêche artisanale est un sous secteur stratégique pour l’économie et la sécurité alimentaire du Sénégal. Elle assure les 80% des mises à terre. Cependant, mal organisée, accessible à tout le monde et donc pléthorique, elle est actuellement plongée dans une crise sans précédent dans un contexte de raréfaction du poisson. 

II La pêche artisanale 

Pendant les durs moments de la sécheresse au Sénégal des années 70 et la fermeture de beaucoup d’entreprises suite aux crises des années 80, la pêche artisanale a été le réceptacle des victimes de la sécheresse et des faillites de sociétés grâce à son accès facile et gratuit. C’est ainsi le début de la surexploitation de nos ressources halieutiques qui a été aggravée par la dévaluation du Franc CFA, les différentes mesures de promotions du sous-secteur et les accords de pêche avec les pays européens. 

Aujourd’hui, la pêche artisanale rencontre d’énormes difficultés que l’on peut résumer ainsi : 
• rareté des ressources halieutiques ; 
• l’inorganisation des acteurs du sous secteur ; 
• l’insuffisance d’infrastructures de conservation et de conditionnement des produits halieutiques capturés ; 
• l’insuffisance de quais de pêches aménagés aux normes requises dans les zones de pêche intensive ; 
• l’insuffisance de l’encadrement des pécheurs artisanaux et l’absence d’écoles et de centres de formation appropriés des pêcheurs ; 
• la vétusté et l’inadaptation des pirogues de la pêche artisanale ; 
• la méfiance des banques qui classent le secteur de la pêche comme secteur à hauts risques ; 
• l’absence de balises à nos frontières avec des pays voisins comme la Mauritanie et la Guinée Bissau ; 
• l’organisation inadaptée de la commercialisation des produits frais halieutiques à l’intérieur du pays ; 
• la cherté des facteurs de production (matériel, carburant) ; 
• le sous équipement et le manque de personnel du Centre de Recherches Océanographiques de Thiaroye ; 
• le manque de personnel à la Direction de la Pêche Maritime et à ses démembrements ; 
• les moyens et outils dérisoires et inadéquats utilisés par les femmes transformatrices des produits halieutiques qui travaillent encore de façon rudimentaire et non hygiénique ; 
• l’insuffisance du Fonds de Développement de la Pêche Artisanale logé à la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS) ; 
• la cherté des licences de pêches en Mauritanie et en Guinée Bissau, malgré les accords signés avec ces pays. 

Il y a lieu également de noter les problèmes préoccupants de non respect des normes d’hygiène sur nos quais de débarquement de même qu’au niveau du transport et de la conservation des produits de la pêche artisanale. 

L’identification et l’immatriculation des pirogues continuent de poser de sérieux problèmes. Il n’est toujours pas possible de contrôler l’accès à nos ressources halieutiques par une connaissance précise du nombre d’embarcations opérant dans nos eaux. Il semblerait, qu’actuellement, des bateaux étrangers pillent nos ressources halieutiques avec la complicité de certains sénégalais. 

Face à ces difficultés que traverse la pêche artisanale, les différents gouvernements du Sénégal ont plusieurs fois pris des mesures de redressement du sous secteur : 
- identification et immatriculation des pirogues ; 
- souscription d’une assurance par les pêcheurs ; 
- repos biologique annuel ; 
- aménagement de plusieurs quais de débarquements ; 
- port obligatoire du gilet par les pêcheurs ; 
- création d’une agence nationale d’aquaculture. 

Ces mesures importantes ne semblent toujours pas régler les problèmes de la pêche artisanale du Sénégal même si le ministre actuel en charge de la pêche remue ciel et terre pour les faire appliquer. 

L’autre faiblesse de la pêche artisanale est le manque de performance des industries de transformation des produits halieutiques. 

III Les industries de transformation des produits de la pêche 

La filière des industries de transformation de la pêche qui s’appuie sur le développement de la pêche artisanale comprend les établissements à terre (ateliers de mareyage de poissons frais entiers, unités de transformation de produits frais et congelés, unités de transformation artisanale, conserveries, entreprises de valorisation des sous produits) les structures connexes (entrepôts frigorifiques, fabriques de glace, laboratoires, moyens de transport). 

Ces industries, souvent mal gérées et surdimensionnées, rencontrent actuellement de réels problèmes de survie. 
En plus des difficultés citées dans le cadre de la pêche artisanale, les industries de transformation de la pêche rencontrent elles aussi des difficultés spécifiques : 
• surdimensionnement de certaines unités de transformation ; 
• endettement excessif vis-à-vis des banques et du Port Autonome de Dakar ;
• arrêt des opérations de transformation et rupture de la chaine du froid à cause des délestages récurrents ; 
• problèmes de respect des normes et de bonne pratique dans la fabrication ; 
• cherté du coût du fret aérien pour l’exportation. 

IV Les recommandations pour redresser le sous secteur 

L’Etat du Sénégal a beaucoup fait pour réorganiser le sous secteur de la pêche artisanale et le moderniser avec en aval, un tissu industriel de transformation de produits très dense et bien spécialisé. 

Avec le constat que les problèmes de ces deux filières demeurent malgré les efforts de l’Etat, il semble urgent et incontournable l’application des recommandations suivantes : 

1/ Les Pirogues 

Le nombre de pirogues dans nos eaux est très élevé. L’Etat doit initier une politique de baisse progressive du nombre des embarcations pour rationaliser l’exploitation de nos ressources halieutiques et rendre la profession de pêcheur artisanal plus rentable. 

Les pirogues en bois doivent disparaître progressivement pour être remplacées par des embarcations en fibres de verre qui sont plus solides, plus légères et plus hygiéniques. 

Toutes les pirogues doivent être identifiées et numérotées sans délais. 

L’accès aux ressources halieutiques doit être sous autorisation et l’immatriculation de l’embarcation pouvant être une des conditions à remplir obligatoirement pour obtenir une autorisation de pêcher. 

2/ Les Filets 

Le respect du type de filet de pêche doit être contrôlé et les contrevenants sanctionnés selon les dispositions réglementaires. L’Etat doit mettre à la disposition des services compétents les moyens nécessaires pour faire ce travail. 

3/ La Sécurité 

La sécurité est une priorité pour l’Etat. Ainsi : 
Le port du gilet de sauvetage doit être obligatoire pour tout pêcheur trouvé dans les eaux sénégalaises ; 
Toutes les pirogues doivent souscrire une assurance ; 
Toutes les pirogues doivent disposer d’une boite pharmaceutique à bord avec un certain nombre de médicaments à définir par les spécialistes ; 
Les pirogues doivent disposer de façon systématique d’un système d’alerte et de localisation en cas de disparition de l’embarcation. 


4/ Les Quais de débarquement 

Toutes les zones de débarquement doivent disposer de quais conformes aux normes en vigueur dans ce domaine. Fasse Boye et Bargny peuvent être considérés comme prioritaires. 

Pour la sécurité des consommateurs et le renouvellement sans difficulté de l’agrément du Sénégal par l’Union Européenne, nos quais de pêche doivent être gérés dans le respect strict des normes de qualité. Des contrôles sans complaisance sont nécessaires alors. 

5/ La Conservation et le transport des produits 

Le poisson frais est une dentée très périssable. Sa conservation et son transport doivent se faire à basse température. 
Ainsi, les zones de débarquement des produits doivent disposer de chambres froides à températures positive et négative. 

Les marchés doivent également être équipés des mêmes types de chambres froides. 

Aucune rupture de la chaîne du froid ne doit être constatée lors du transport du poisson. Les camions utilisés doivent être isothermes, réfrigérés ou frigorifiques, conformément aux normes internationales dans ce domaine. Des contrôles sur les routes par la gendarmerie nationale sont envisageables. 

L’utilisation des charrettes pour le transport du poisson doit être interdite ou normée. 

Les fabriques de glace à des fins de conservation des produits halieutiques doivent être normées avec un système de contrôle efficace dans le respect de l’intérêt des uns et des autres. 

6/ L’Organisation des pêcheurs 

L’Etat doit aider, de façon neutre, à la création d’un syndicat représentatif fort des pêcheurs artisanaux actifs. Il serait alors plus facile de moderniser ce sous secteur. 

Les syndicats interprofessionnels de la pêche sont des interlocuteurs que l’Etat doit appuyer et consulter pour toute initiative sur la pêche artisanale. 

7/ Le Repos biologique 

Le repos biologique doit être évalué pour mieux apprécier son effet sur la reconstitution des ressources halieutiques, fortement surexploitées. 

8/ La réglementation de l’accès aux ressources 

L’instauration progressive de permis de pêche artisanale, au terme d’un rigoureux recensement des pêcheurs, est une nécessité absolue pour mettre un terme à la surexploitation des ressources halieutiques et permettre aux pêcheurs de mieux vivre de leurs activités. 

9/ L’organisation des mareyeurs 

Les mareyeurs sont des intermédiaires indispensables dans la collecte et la distribution du poisson frais aux consommateurs, sur l’étendue du territoire. L’Etat doit aider à la création d’un syndicat représentatif des mareyeurs. 
Cette profession doit être soutenue pour un bon écoulement des produits de la pêche et un ravitaillement en poisson frais régulier des populations où qu’elles se trouvent au Sénégal. 

10/ Les licences de pêche 

Pour les licences de pêche, je recommande : 
Le gel de l’octroi des licences de pêche démersales côtières, la naturalisation des chalutiers battant pavillons étrangers ; 
La prudence dans les négociation et signatures d’accords de pêches avec l’Union Européennes ou d’autres pays tels que ceux de l’ancienne URSS. 

On ne doit jamais perdre de vue que, bien qu’ayant les côtes parmi les plus poissonneuses au monde, les pêcheurs sénégalais vont de plus en plus loin pour avoir du poisson, aux périls de leurs embarcations et de leur vie. 

11/ L’aquaculture 

L’Etat a beaucoup fait pour développer ce sous secteur qui peut constituer une des réponses crédibles à la crise de la pêche au Sénégal. On constate cependant que l’aquaculture est toujours gérée de manière expérimentale. 

Ma recommandation est la suivante : 
Mettre plus de moyens humains et financiers à la disposition de l’Agence Nationale d’Aquaculture ; 

Faire en sorte que l’aquaculture devienne enfin productive ; 
Qu’elle s’ouvre aux privés ; 
Qu’elle s’implante partout où cela est possible sur l’étendue du territoire ; 
Qu’elle collabore avec les instituts de recherches spécialisés pour valoriser les résultats de la recherche dans ce domaine ; 

12/ L’industrie de transformation 

Une bonne partie des produits de la pêche artisanale est transformée dans les unités industrielles spécialisées du pays. Il est ainsi évident que la prospérité des pêcheurs artisanaux dépend aussi de la bonne santé et du dynamisme des industries de transformations, qui, malheureusement, sont en crise ou en faillite actuellement. 

Ma recommandation est la suivante : 

Un contrôle préventif de la gestion économique et financière des unités de transformation des produits de la pêche ; 

Une fusion et/ou un redimensionnement des unités industrielles selon leurs spécialités ; 

Un recrutement de personnel qualifié obligatoire ; 

Le respect des normes en vigueur et des bonnes pratiques en matière de transformation des produits halieutiques. La politique de qualité doit être une option de l’Etat du Sénégal et non une réponse à des exigences de partenaires extérieurs pour obtenir un agrément ; 

13/ La transformation artisanale des produits halieutiques 

La transformation artisanale des produits de la pêche joue un rôle important dans le sous secteur de la pêche artisanale. Cette activité économique essentiellement gérée par les femmes permet de valoriser les produits invendus par des méthodes maîtrisées et sures de conservation : salage, fumage, séchage, etc. Les produits ainsi obtenus se conservent à la température ambiante et sont commercialisés dans tous les marchés du Sénégal à des prix accessibles à toutes les bourses. 

Les méthodes et les conditions de transformation des produits de la pêche sont archaïques et non hygiéniques. Ma recommandation est la suivante : 

La normalisation des techniques de transformation des produits de la pêcher par l’utilisation de procédures spécifiques à chaque méthode de conservation ;

L’application des règles d’hygiènes obligatoires exigées pour toutes industries alimentaires ; 

La mise à disposition aux femmes transformatrices de matériel moderne en remplacement des outils hors normes pour la fabrication de produits alimentaires ; 

Organiser dans tous les lieux de transformation artisanale des produits de la pêche des séances de formation pour tous les acteurs du sous secteurs ; 

Contrôler la qualité des produits avant leur commercialisation et prévoir des sanctions en cas de non respects des normes. 

14/ Diversification de la clientèle internationale 

La destination de nos produits à l’exportation est essentiellement l’Union Européenne. C’est une bonne chose mais pour plus de sécurité d’écoulement de nos produits, la diversification des partenaires est une nécessité. Ma recommandation est la suivante : 

Consolider et développer nos relations commerciales avec les pays européens ; 

Nouer des relations commerciales avec des pays africains, surtout les continentaux, pour y exporter nos produits frais ou transformés. Appliquer la même démarche pour les pays américains et asiatiques ; 

Pour l’application de cette politique avec succès, nos produits doivent être et rester de qualité avec une garantie de livraison à temps et de façon permanente des produits commandés. 

15/ Financement : 

La pêche, bien que rentable, est considérée par nos banquiers comme un secteur à haut risque à cause de son caractère aléatoire. Son financement pose problème en conséquence. 

En collaboration avec le secteur privé et les bailleurs de fonds éventuellement, je recommande à l’Etat de trouver une formule pour financer la pêche artisanale par : 
L’octroi de crédit aux pêcheurs en règle (immatriculation, assurance,..) pour remplacer les pirogues en bois ; 
La recapitalisation des unités industrielles viables ; 
L’octroi de crédits aux mareyeurs pour la modernisation de leurs moyens de transport et de conservation ; 
L’octroi de crédit aux femmes transformations pour qu’elles améliorent leurs conditions et outils de travail. 

16/ Formation du pêcheur 

La modernisation de la pêche artisanale ne peut se faire efficacement qu’avec des pêcheurs formés. Je recommande fortement la formation systématique des pêcheurs aux techniques modernes de pêche, aux respects des normes de qualité, etc. Je recommande également fortement que dans chaque ville de débarquement, qu’il y soit construit au moins une Maison du Pêcheur. Ces maisons vont constituer des lieux de formation et de rencontre des pêcheurs. 

V CONCLUSION 

La modernisation de la pêche artisanale est une préoccupation constante des pouvoirs publics. Depuis 2004, l’Etat s’est engagé dans une nouvelle politique de modernisation du sous secteur avec des initiatives hardies portant sur les ressources, sur la sécurité des pêcheurs, sur les équipements de déparquement, de conservation et de transformation des produits de la pêche. 

Mais, force est de constater, qu’en 2015, la pêche artisanale rencontre toujours des problèmes, souvent les mêmes depuis 1960. L’Etat doit donc aller plus loin dans sa politique de modernisation de la pêche artisanale. 

Levier de sécurité alimentaire, sous secteur créateur d’emplois et de richesse, la pêche artisanale doit être davantage soutenue pour jouer pleinement son rôle dans la quête de l’émergence de notre pays. 

Pr Demba SOW 
Professeur à l’Ecole Supérieure Polytechnique de l’UCAD 
Ancien Député 


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