L’Égypte est au bord de l’abîme financier et économique. Les flux de portefeuille qui alimentent son marché de la dette souveraine se sont asséchés, les dévaluations répétées ont fait dégringoler la livre égyptienne et l’inflation est à 21 %, en conséquence de l’érosion rapide des réserves en devises du pays.
Source : https://www.lejecos.com/La-crise-economique-egypti...
Après s’être d’abord relevée de la pandémie de Covid-19, l’économie égyptienne a subit de plein fouet les retombées de la guerre en Ukraine. Premier importateur de blé au monde, le pays a souffert de la perturbation de l’offre et de la hausse des prix, voyant les coûts de la nourriture et de la boisson augmenter de 37,2 % au cours de l’année écoulée. Si l’impact de la hausse des coûts d’importation du pétrole sur la balance des paiements égyptienne s’est trouvé compensé par la forte augmentation des exportations de gaz naturel, l’envol des prix de l’énergie et de l’alimentation a pesé lourd sur la population égyptienne.
La hausse des prix du blé, qui s’est accompagnée du creusement du déficit extérieur et de la chute de la livre, a mis à rude épreuve le programme d’aides alimentaires publiques, notamment la subvention sur le pain, dont dépendent quelque 60 millions de personnes, soit presque les deux tiers de la population. La pression sur le budget des ménages a entraîné l’augmentation du taux de pauvreté, désormais à 32,5 %, tandis qu’on estime que 60 % des Égyptiens sont pauvres ou risquent de tomber dans la pauvreté.
Pour juguler l’inflation, la banque centrale égyptienne a relevé son taux d’intérêt à 16,25 %. Mais l’envolée du spread sur les obligations égyptiennes a coupé le pays des marchés financiers. Face à la compression croissante des liquidités, l’Égypte a obtenu en décembre un prêt de 3 milliards de dollars du Fonds monétaire international. Le programme du FMI est censé catalyser les financements, jusqu’à 17 milliards de dollars sur les trois prochaines années, qui permettraient de combler, sous conditions de réformes économiques, les carences de financement de l’Égypte. Mais si l’on considère que Le Caire a déjà été renfloué par le Fonds à hauteur de l2 milliards de dollars en 2016, sans pour autant parvenir à assainir son économie, les incertitudes demeurent.
L’une des leçons qu’on peut tirer des difficultés économiques actuelles de l’Égypte, c’est que les marchés financiers ne peuvent à eux seuls aider les pays en développement à contenir les chocs internes ou externes. Pendant un temps, les politiques de taux bas qui ont suivi la crise financière mondiale de 2008 ont permis aux pays en développement comme l’Égypte de participer à la frénésie internationale d’emprunts, qui n’a fait que masquer les faiblesses macroéconomiques et structurelles de ces pays. L’illusion a pris fin lorsque la Réserve fédérale des États-Unis et les autres grandes banques centrales ont coupé le robinet de l’argent bon marché et commencé à remonter les taux d’intérêt, ramenant les investisseurs vers les titres libellés en dollars.
Autre leçon du cas égyptien : les institutions internationales ont un rôle essentiel à jouer lorsqu’il s’agit d’alléger les conséquences de cette volatilité des mouvements de capitaux. Les apports de capitaux fébriles aux pays en développement ont tendance à grossir le financement par l’emprunt et à alimenter de dangereuses bulles d’actifs qui bénéficient aux entreprises liées au pouvoir politique, dans l’immobilier ou dans d’autres secteurs, surtout dans des pays comme l’Égypte où l’État est hypertrophié et le secteur privé anémié, dévoré par le népotisme. Ainsi des institutions comme le FMI, outre qu’elles font office, dans les périodes de turbulences financières, de prêteur en dernier ressort, peuvent détourner les capitaux étrangers des paris les plus spéculatifs et volatiles pour les guider vers des investissements plus sains et plus productifs.
Mais lorsque frappe la crise de la balance des paiements, le FMI tend à s’appuyer sur des programmes de dévaluation du taux de change pour rétablir la stabilité macroéconomique. Si ces programmes se centrent généralement sur des mesures d’austérité, qui touchent de façon disproportionnée les plus pauvres, comme la réduction des subventions sur l’essence et l’alimentation, ils conduisent rarement à une hausse des exportations et négligent souvent la piste de réformes structurelles qui pourraient réduire les subsides et les rentes dont profitent les entreprises et les personnes qui ont la faveur du pouvoir.
Pour ne pas encourir de réactions hostiles de la population, les prêteurs multilatéraux doivent éviter une répartition inéquitable du fardeau et mettre en place les réformes structurelles indispensables qui vont bien au-delà de la consolidation budgétaire. Si les règles macroprudentielles peuvent prévenir un endettement excessif du secteur financier, elles ne sont d’aucun effet sur la corruption et les autres facteurs structurels qui faussent les apports de capitaux.
Le sauvetage de l’Égypte par le FMI offre une occasion unique de rompre le cercle vicieux des phases d’expansion et de dépression, et de garantir à tous les Égyptiens une prospérité partagée. En réduisant le rôle excessif de l’armée dans l’économie, l’Égypte pourrait établir l’égalité des chances et assurer une concurrence équitable dans les secteurs comme les télécoms, la banque, le tourisme, l’industrie manufacturière et l’agriculture. En abolissant les entraves au commerce et à l’entrée sur le marché, l’Égypte pourrait attirer les investissements étrangers, accélérer sa croissance économique et fournir des emplois décents à une population qui dans son immense majorité est jeune et aspire à l’amélioration de sa condition.
L’Égypte exerce depuis longtemps une forte influence au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Si elle remettait son économie sur ses rails pour réaliser tout son potentiel, elle pourrait montrer la voie des réformes à beaucoup d’autres pays dans la région.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Rabah Arezki est chef économiste et vice-président de la Banque africaine de développement et ancien chef économiste pour la région Moyen-Orient / Afrique du Nord de la Banque mondiale ; il est senior fellow à la Harvard Kennedy School.
© Project Syndicate 1995–2023
La hausse des prix du blé, qui s’est accompagnée du creusement du déficit extérieur et de la chute de la livre, a mis à rude épreuve le programme d’aides alimentaires publiques, notamment la subvention sur le pain, dont dépendent quelque 60 millions de personnes, soit presque les deux tiers de la population. La pression sur le budget des ménages a entraîné l’augmentation du taux de pauvreté, désormais à 32,5 %, tandis qu’on estime que 60 % des Égyptiens sont pauvres ou risquent de tomber dans la pauvreté.
Pour juguler l’inflation, la banque centrale égyptienne a relevé son taux d’intérêt à 16,25 %. Mais l’envolée du spread sur les obligations égyptiennes a coupé le pays des marchés financiers. Face à la compression croissante des liquidités, l’Égypte a obtenu en décembre un prêt de 3 milliards de dollars du Fonds monétaire international. Le programme du FMI est censé catalyser les financements, jusqu’à 17 milliards de dollars sur les trois prochaines années, qui permettraient de combler, sous conditions de réformes économiques, les carences de financement de l’Égypte. Mais si l’on considère que Le Caire a déjà été renfloué par le Fonds à hauteur de l2 milliards de dollars en 2016, sans pour autant parvenir à assainir son économie, les incertitudes demeurent.
L’une des leçons qu’on peut tirer des difficultés économiques actuelles de l’Égypte, c’est que les marchés financiers ne peuvent à eux seuls aider les pays en développement à contenir les chocs internes ou externes. Pendant un temps, les politiques de taux bas qui ont suivi la crise financière mondiale de 2008 ont permis aux pays en développement comme l’Égypte de participer à la frénésie internationale d’emprunts, qui n’a fait que masquer les faiblesses macroéconomiques et structurelles de ces pays. L’illusion a pris fin lorsque la Réserve fédérale des États-Unis et les autres grandes banques centrales ont coupé le robinet de l’argent bon marché et commencé à remonter les taux d’intérêt, ramenant les investisseurs vers les titres libellés en dollars.
Autre leçon du cas égyptien : les institutions internationales ont un rôle essentiel à jouer lorsqu’il s’agit d’alléger les conséquences de cette volatilité des mouvements de capitaux. Les apports de capitaux fébriles aux pays en développement ont tendance à grossir le financement par l’emprunt et à alimenter de dangereuses bulles d’actifs qui bénéficient aux entreprises liées au pouvoir politique, dans l’immobilier ou dans d’autres secteurs, surtout dans des pays comme l’Égypte où l’État est hypertrophié et le secteur privé anémié, dévoré par le népotisme. Ainsi des institutions comme le FMI, outre qu’elles font office, dans les périodes de turbulences financières, de prêteur en dernier ressort, peuvent détourner les capitaux étrangers des paris les plus spéculatifs et volatiles pour les guider vers des investissements plus sains et plus productifs.
Mais lorsque frappe la crise de la balance des paiements, le FMI tend à s’appuyer sur des programmes de dévaluation du taux de change pour rétablir la stabilité macroéconomique. Si ces programmes se centrent généralement sur des mesures d’austérité, qui touchent de façon disproportionnée les plus pauvres, comme la réduction des subventions sur l’essence et l’alimentation, ils conduisent rarement à une hausse des exportations et négligent souvent la piste de réformes structurelles qui pourraient réduire les subsides et les rentes dont profitent les entreprises et les personnes qui ont la faveur du pouvoir.
Pour ne pas encourir de réactions hostiles de la population, les prêteurs multilatéraux doivent éviter une répartition inéquitable du fardeau et mettre en place les réformes structurelles indispensables qui vont bien au-delà de la consolidation budgétaire. Si les règles macroprudentielles peuvent prévenir un endettement excessif du secteur financier, elles ne sont d’aucun effet sur la corruption et les autres facteurs structurels qui faussent les apports de capitaux.
Le sauvetage de l’Égypte par le FMI offre une occasion unique de rompre le cercle vicieux des phases d’expansion et de dépression, et de garantir à tous les Égyptiens une prospérité partagée. En réduisant le rôle excessif de l’armée dans l’économie, l’Égypte pourrait établir l’égalité des chances et assurer une concurrence équitable dans les secteurs comme les télécoms, la banque, le tourisme, l’industrie manufacturière et l’agriculture. En abolissant les entraves au commerce et à l’entrée sur le marché, l’Égypte pourrait attirer les investissements étrangers, accélérer sa croissance économique et fournir des emplois décents à une population qui dans son immense majorité est jeune et aspire à l’amélioration de sa condition.
L’Égypte exerce depuis longtemps une forte influence au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Si elle remettait son économie sur ses rails pour réaliser tout son potentiel, elle pourrait montrer la voie des réformes à beaucoup d’autres pays dans la région.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Rabah Arezki est chef économiste et vice-président de la Banque africaine de développement et ancien chef économiste pour la région Moyen-Orient / Afrique du Nord de la Banque mondiale ; il est senior fellow à la Harvard Kennedy School.
© Project Syndicate 1995–2023
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