L’avocat du guide des « Thiantacounes » d’ajouter : « je vais l’exploiter car je sais que son état de santé est incompatible avec le milieu carcéral. Il est assisté médicalement. Il prend régulièrement des comprimés et il a besoin d’un assistant d’une manière permanente. D’ailleurs, lorsqu’il était à la gendarmerie, il y avait quelqu’un qui s’occupait de lui sur le plan médical.
Ce qui n’est pas possible en prison ». L’option prise par les avocats ne tarde pas à porter ses fruits. Le 04 avril 2013, le juge d’instruction rend enfin, en faveur de M. Thioune, une ordonnance d’autorisation de sortie du territoire pour des besoins médicaux. Depuis lors, son retour en prison n’est plus envisagé. Au contraire, une folle rumeur charriée depuis l’Hexagone où il se trouve conforte l’idée d’un non-lieu presque inéluctable.
Les premières personnes inculpées dans la traque des biens mal acquis ont usé de cet artifice pour décrocher une liberté provisoire. Parmi elles, l’ancien directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), Baïla Wane. Il a été détenu en même temps qu’Ibrahima Condetto Niang, l’ancien président du conseil d’administration de la même société (Lonase), pour détournement de deniers publics portant sur 3,4 milliards de CFA.
Les lourds chefs d’inculpation évoquent : « une association de malfaiteurs, corruption, faux et usage de faux en écriture privée, faux et usage de faux en écriture publique, abus de biens sociaux ». A défaut de pouvoir prouver son innocence, Baïla Wane alléguera un état de santé précaire pour recouvrer la liberté. « Baïla Wane nécessite un suivi médical cardiologique régulier et son état médical n’est pas compatible avec le milieu carcéral classique. Il faut faire quelque chose, sinon il risque de mourir en prison dans les jours à venir », alerte le cardiologue Ibrahima Doucouré, cité par L’Observateur.
A grand renfort médiatique, Baïla Wane parvient à susciter la compassion de l’opinion sur sa situation. Au mois de mai, il décroche une liberté provisoire. Bibo Bourgi, Pape Abdou Diassé et Mbaye Ndiaye, tous arrêtés dans la traque des biens mal acquis, ont suivi les pas des détenus de même rang social. Quand Bibo Bourgi parle de maladie urinaire ajoutée à des pathologies cardio-vasculaires, Mbaye Ndiaye alerte sur sa prostatite et Pape Abdou Diassé évoque une insuffisance cardiaque. A chaque publication, les journaux s’émeuvent du sort de ces « malades ». De guerre lasse, le juge consentira à accorder une liberté provisoire à ces détenus.
Ces libertés provisoires accordées pour des raisons médicales s’inscrivent dans une récurrence, pour devenir une tradition dans les annales judiciaires. D’ailleurs, le pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec est devenu un passage transitoire pour bénéficier d’une liberté provisoire, pour raisons médicales. Abdou Rahim Agne, Khadim Bousso sont passés par là .
Ce provisoire si durable
Sous nos cieux, liberté provisoire est synonyme de liberté définitive, quel que soit le délit reproché au prévenu. Crime de sang, détournement de deniers publics, atteinte à la sûreté de l’Etat, tout y passe. Or, la loi prévoit cette disposition pour les affaires dont l’instruction ne nécessite pas la détention du prévenu. L’accusé jouit ainsi de la liberté en attendant la tenue du procès. Mais, le provisoire si durable est devenu la règle pour les détenus encombrants pour le pouvoir. C’est le cas de Idrissa seck, accusé de détournement de 40 milliards dans l’affaire des chantiers de Thiès. Il a profité de cette disposition, le temps de négocier en haut lieu une liberté définitive.
De même, Moustapha Yassine Guèye, interpelé dans le cadre des appels entrants, a déboursé 1 milliard de F CFA (un chèque en bois) pour se tirer d’affaire. Plusieurs personnalités arrêtées pour détournement de deniers publics, ont bénéficié d’une liberté « provisoire » moyennant des sommes âprement négociées ou un bon certificat médical. Le caractère provisoire de cette liberté n’est en réalité qu’une manière raffinée d’abuser l’opinion.
Tous ceux qui ont bénéficié de cette disposition, ont, par la suite, arraché un non-lieu. Idrissa Seck, Abdou Rahim Agne, Daniel Goumalo Seck et ses complices ne démentiront pas cette évidence. Amadou Kane Diallo, ex-Directeur général du Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec) poursuivi pour détournement de deniers publics estimés à 500 millions de F CFA, a consenti lui aussi un effort financier de 100 millions. Depuis, son dossier est presque oublié. Aucune de ces libertés provisoires n’a donné lieu à un procès. Les riches prévenus bénéficient tous d’un non-lieu ou d’un oubli.
Pourvu que l’intéressé s’abstienne de toute activité qui dérange le pouvoir. Cette épée de Damoclès est suspendue au-dessus de leur tête. Les obligeant parfois à rallier le camp du pouvoir. Au même moment, des personnes de classe sociale défavorisée croupissent en prison pour des faits moins graves. « Les détenus provisoires font un effectif de 36.227 individus durant toute l’année 2009 », écrit l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) dans son rapport 2009. Ce chiffre va croissant au fil des ans.
Personne ne serait étonné de voir Karim Wade, Thierno Ousmane Sy, recourir à cet argument pour sortir de prison. Cette ruse qui fait recette semble être plus efficace que tout autre argument juridique.
La Gazette