Après la pluie d’hommages à la nouvelle du décès de Mgr Desmond Tutu, l'Afrique du Sud a annoncé se mettre officiellement en deuil, avec les drapeaux en berne dans tout le pays et devant les ambassades sud-africaines dans le monde. Et ce jusqu’à la veille des obsèques de l’icône de la lutte contre l’apartheid, prévus pour le 1er janvier 2022, a annoncé dimanche 26 décembre le président Cyril Ramaphosa.
« Il y aura une période de deuil pendant laquelle le drapeau national sera en berne », a-t-il affirmé lors d'un discours télévisé. « Ceci sera observé dès l'annonce de la déclaration formelle de ses obsèques et jusqu'au soir précédant » ces cérémonies, a-t-il précisé.
Quelques minutes après, la fondation de Desmond Tutu a annoncé que les obsèques de l’archevêque anglican auront lieu le samedi 1er janvier 2022 au Cap, dans la cathédrale Saint-Georges, son ancienne paroisse. « Les dispositions prises pour une semaine de deuil n'en sont qu'à leurs débuts », annonce la fondation dans un communiqué, tout en précisant « un certain nombre d'événements confirmés pour la semaine à venir jusqu'aux funérailles de "The Arch" au Cap le samedi 1er janvier 2022 ».
Parmi les dispositions annoncées, la fondation indique que « les cloches de la cathédrale Saint-Georges seront sonnées chaque jour pendant dix minutes, à partir de midi », toute la semaine de lundi à vendredi.
Commentant l’afflux d’hommages, le président Cyril Ramaphosa a salué la mémoire d’un des héros du pays dans un message adressé à la nation dimanche soir :
C’était un homme d’un courage inflexible, fait de convictions morales, et dont la vie a été menée au service des autres. Il incarnait, de plusieurs façons, notre humanité. Le fait qu’il était malade depuis quelques temps n’atténue pas le choc ressenti par l’Afrique du Sud en ce triste jour. Il était franc, direct, et n’hésitait pas à dire la vérité à ceux qui étaient au pouvoir, même lorsque cela signifiait critiquer les gouvernements de l’ère démocratique. C’est pour ses mots, et ses actions, face à la brutalité du régime de l’apartheid, qu’il a été honoré du prix Nobel de la paix. Et c’est en le recevant qu’il a déclaré : "il n’y a pas de paix tant qu’il n’y a pas de justice." C’est un principe que l’on doit continuer à suivre, alors que l’on pleure désormais son décès.
À Soweto, une messe endeuillée dans l’église que Tutu fréquentait
Dimanche, les communautés religieuses célébraient déjà cette figure centrale de l’histoire sud-africaine, notamment dans une messe endeuillée qui s’est déroulée Au lendemain de Noël, dans cette petite église anglicane de Soweto. Desmond Tutu la fréquentait lorsqu’il habitait quelques rues plus loin, dans le township. À la sortie des prières, Jackie tient à lui rendre hommage : « Malgré son âge avancé, il a continué à promouvoir la réconciliation, plus que tout. Pour qu'on se pardonne, entre nous, pour le passé, et qu'on reconstruise cette nation », a-t-il confié à notre correspondante à Johannesburg, Claire Bargelès.
Nelisiwe regrette aussi la disparition de l’homme d’Église, grand combattant du régime ségrégationniste, puis devenu le porte-drapeau de la nation arc-en-ciel dans l’Afrique du Sud post-apartheid : « C’était une figure de père pour nous tous. Et je pense qu’il s’est extrêmement bien débrouillé en tant que président de la Commission vérité et réconciliation, car ce n’était vraiment pas une tâche facile. »
Et Wandi, lui aussi venu prier ce matin, se souvient de sa stature et de son franc-parler, pour condamner les exactions du régime de l’apartheid, mais aussi les dérives des membres de l’ANC : « J’étais jeune à l’époque, mais il avait beaucoup apporté à notre communauté noire, lorsqu’il nous avait montré que c’était possible de devenir le premier archevêque noir d’Afrique australe. On a beaucoup appris grâce à lui, surtout quand il fustigeait les hommes politiques, et leur exposait la vérité. Il ne tournait jamais autour du pot. »
Les artistes s’inspirent et font des fresques, statues et autres en son nom
Avant sa mort, Desmond Tutu avait déjà inspiré de nombreux artistes, qui ont célébré cet homme de petite taille, très souriant, très expressif et habillé de sa tenue violette d’évêque avec de sa calotte sur la tête, avec de nombreuses œuvres. Au Cap, il est déjà possible d'admirer sa statue sur le front de mer, d’apercevoir son portrait sur l'immeuble d'une banque.
Une fresque de son immense visage dans le centre-ville avait été vandalisée en septembre 2021, avec une injure raciste inscrite. Quelques jours plus tard, l'artiste Brian Rolfe revenait sur place, réparait sa peinture et ajoutait un message d'anniversaire le jour des 90 ans de Desmond Tutu.
Pour l'artiste Brian Rolfe, son humanité se lit dans ses yeux, ce qu’il a essayé de représenter, dans son immense visage est peint dans des tons bleus et pourpres, regardant les passants avec bienveillance, les mains jointes devant la bouche. « Lors de la Commission vérité et réconciliation, il faisait face à ses oppresseurs. Et pourtant ses yeux disent : je vous vois, vous n'êtes qu'un humain, comme moi », a expliqué l’artiste à notre correspondant au Cap, Romain Chanson.
Desmond Tutu a toujours inspiré les artistes, explique Brian Rolfe, il est facile et plaisant à représenter : « Je vois surtout des portraits, mais je vois aussi des gens peindre des colombes au-dessus de lui. Je pense que ses yeux sont tellement pénétrants que tout le reste disparaît. »
L’archevêque côtoie les portraits de Nelson et Winnie Mandela sur la même façade. Les peintures donnent sur un trottoir et suscitent des réactions des passants, raconte Brian Rolfe : « Les gens s'expriment facilement dans la rue, surtout s'ils reconnaissent ces icônes. Beaucoup de gens me demandent pourquoi je peins encore ces vieux leaders, parce qu'on sait tous ce qu'ils ont fait. Allons de l'avant, célébrons nos nouveaux leaders. »
Malgré ces remarques, une nouvelle statue de Desmond Tutu devrait bientôt être dévoilée au Cap et exposée au public.