Dans cette partie du pays, la mendicité des enfants et les mariages précoces se terminant souvent par des grossesses précoces, sont considérés comme les phénomènes les plus répandus et les plus complexes à gérer.
C’est le constat dressé par de nombreux acteurs dont le point focal du Comité départemental de protection de l’enfant (CDPE) de Kaffrine, dont sont membres plusieurs acteurs de la protection de l’enfance de la région.
D'après l'Aps, Modou Tine soutient que les croyances culturelles et religieuses affectent grandement le processus de prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité.
Dans ces conditions, il est difficile de décréter la fin de la mendicité, surtout dans une région où la religion musulmane reste fortement ancrée.
"Les résistances que nous avons, ce sont aussi les marabouts qui prétextent que ces enfants sont à leur charge et n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins", explique Modou Tine.
Babacar Senghor du CDPE de Birkilane estime qu’il s’agit là en réalité d’une forme d’exploitation des enfants dont certains marabouts qui tiennent des "daara" (écoles coraniques), ont fait un gagne-pain, à travers une "rançon journalière" demandée aux "talibés" (élèves des écoles coraniques).
S’y ajoute que le caractère informel de ces "daara" empêche également leur meilleur encadrement et accompagnement.
Plus de 30 mille enfants talibés recensés
Le département de Kaffrine compte le plus grand nombre d’enfants en situation de mendicité de la région, avec 10.812 talibés répartis au sein de 324 écoles coraniques.
Il est suivi de Koungheul avec 7.979 talibés évoluant dans 206 "daara".
Viennent ensuite les départements de Birkilane (6.512 talibés, 169 daara) et Malem Hodar (5.491 talibés, 172 daara). M. Tine explique que dans le cadre des mariages précoces, la médiation est la première étape que doivent suivre les acteurs de la protection de l’enfance, pour "convaincre les parents" que de tels mariages "ne sont pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant".
Toutefois, il estime que "cet intérêt supérieur de l’enfant peut être mis souvent à rude épreuve par l’intérêt" des familles qui, pour des considérations économiques, "marient leurs filles à un âge précoce".
Le point focal du CDPE de Kaffrine précise que "l’objectif de cette médiation est de comprendre" les raisons qui conduisent les parents à donner leurs jeunes filles en mariage, pour ensuite pouvoir faire une évaluation de la situation et "voir si ces raisons sont en phase avec l’intérêt de l’enfant".
Selon lui, ce n’est que si les acteurs échouent à obtenir à l’amiable une annulation du mariage que la justice est saisie.
Au Sénégal, le Code de la famille fixe à 16 ans l’âge légal du mariage, mais de nombreuses organisations féminines plaident pour une mise à jour de cette loi, en relevant cet âge légal à 18 ans.
Dans certains cas de mariages d’enfants, les acteurs peuvent être "limités" dans leur volonté d’intervenir.
C’est le cas lorsqu’ils se retrouvent en face de parents qui choisissent de marier leurs filles, pour éviter de tomber un jour dans le déshonneur que représenterait pour eux une grossesse hors mariage, explique la présidente du projet Scolarisation des filles (SCOFI) du département de Kaffrine. Ce projet intervient dans la prévention, la promotion et la médiation sociale.
Des statistiques quasi-inexistantes
La présidente de la SCOFI, Ndèye Fatim Niang, précise que ce projet intervient surtout dans le maintien des jeunes filles à l’école, bien qu’il lui arrive d’être confronté à des "situations très sensibles et très difficiles".
"Il peut y avoir des cas de mariage d’enfants qui nous sont signalés après consommation du mariage. Dans ces cas de figure, en tant qu’acteurs, nous sommes partagés, car nous prenons des risques énormes", fait-elle remarquer.
Selon elle, la question qui se pose alors est de savoir si la SCOFI a la capacité de préparer la fille mineure concernée à accepter cette situation, "sachant qu’elle n’est plus vierge, et qu’elle est exposée".
Elle estime que dans de pareils cas, la meilleure chose à faire est de "convaincre la jeune fille de rester dans le mariage", vu que "nos normes sociales s’imposent à nos lois".
Dans la région de Kaffrine, les statistiques sur les mariages et les grossesses précoces ainsi que les cas de viol, sont quasi-inexistantes.
Bien que signalés, certains cas ne sont même pas répertoriés, avouent de nombreux acteurs. Babacar Senghor estime qu’il y a encore beaucoup à faire dans la collecte des informations auprès des acteurs. "Les interventions sont éparses entre acteurs qui ne travaillent pas en harmonie avec le CDPE", "c’est ce qui explique également l’absence de données sur les cas qui nous parviennent", dit-il.
Le gouvernement du Sénégal, à travers le ministère de l’Education nationale, a mis en place une plateforme de gestion des violences sexuelles en 2022, pour le signalement des cas de violences sexuelles en milieu scolaire.
Cependant, toutes les écoles de Kaffrine n’ont pas été prises en compte dans cette plateforme, relève Sirandou Sarr, de la cellule Genre de l’inspection d’Académie de Kaffrine.
Elle informe qu’un outil a été récemment mis en place au niveau de l’Académie pour, au-delà du signalement, permettre de répertorier et faire le suivi des cas de violences sexuelles dans les établissements scolaires.
294 cas de déperdition scolaire
Selon Aïssatou Sanou Gaye, coordonnatrice régionale de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), une étude sur les causes de déperdition scolaire a été réalisée en 2020, sur 10 écoles élémentaires et autant de collèges d’enseignement moyen (CEM) de la région de Kaffrine.
Cette étude, menée grâce à des partenaires, a révélé 294 cas de déperdition scolaire dus aux mariages et grossesse précoces, a-t-elle indiqué. "Mais, en réalité, dans la région, chaque deux jours, on nous signale des cas de mariages d’enfants, sans compter les cas dissimulés", déclare-t-elle.
La coordinatrice de la Cosydep rappelle que les traditions et les coutumes sont très ancrées dans le Saloum.
"Lorsqu’elles sont surtout adossées à un taux très élevé d’analphabétisme, cela accroît l’omerta sur les violences subies par les enfants", explique-t-elle.
Babacar Senghor du CDPE de Birkilane considère d’ailleurs que l’ampleur de ce taux d’analphabétisme, est une des causes d’une autre forme de violence subie par les enfants : la non déclaration des naissances à l’état- civil.
41 mille élèves sans pièces d’état civil
"Rien que dans le département de Birkilane, nous avons 7.000 élèves qui n’ont pas d’état-civil", s’inquiète M. Senghor, également formateur et encadreur.
La dernière revue régionale annuelle de l’éducation et de la formation de Kaffrine a révélé que 41.000 enfants scolarisés des quatre Inspections d’Education et de la Formation (IEF) de la région, n’ont pas encore été enregistrés à l’état-civil.
Et selon un rapport de l’UNICEF paru en 2017, 61% des enfants de moins de 5 ans n’ont pas été déclarés. "La situation est très alarmante et nécessite une réactivité urgente de la part des autorités", insiste Babacar Senghor. Il déclare que les parents ignorent l’importance de l’état-civil, qui est pourtant un droit qui confère d’autres droits (éducation, santé, travail, etc).
D’autres facteurs expliquent également la non déclaration des naissances. Il s’agit de l’enclavement et de l’éloignement de certains villages par rapport aux centres d’état-civil.
Mais, il y a aussi que l’officier d’état-civil, surtout s’il occupe d’autres responsabilités, tarde parfois à apposer sa signature sur les papiers d’état-civil.
De nombreuses campagnes de sensibilisation sont organisées dans la région, pour mettre fin au phénomène et amener les parents à comprendre l’importance de déclarer son enfant à la naissance.
Le grand défi chez les acteurs de la protection de l’enfance reste aujourd’hui, celui de la coordination des différentes interventions sur la question des violences faites aux enfants, mais surtout sur le suivi des cas signalés, souligne Abibou Bodian, coordonnateur régional du service de l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO).
Récemment réunis autour d’une formation sur la prise en charge psychosociale des enfants victimes de traite, les acteurs avaient beaucoup insisté sur une meilleure synergie des actions dans la région ainsi que sur une meilleure communication entre acteurs.
C’est le constat dressé par de nombreux acteurs dont le point focal du Comité départemental de protection de l’enfant (CDPE) de Kaffrine, dont sont membres plusieurs acteurs de la protection de l’enfance de la région.
D'après l'Aps, Modou Tine soutient que les croyances culturelles et religieuses affectent grandement le processus de prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité.
Dans ces conditions, il est difficile de décréter la fin de la mendicité, surtout dans une région où la religion musulmane reste fortement ancrée.
"Les résistances que nous avons, ce sont aussi les marabouts qui prétextent que ces enfants sont à leur charge et n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins", explique Modou Tine.
Babacar Senghor du CDPE de Birkilane estime qu’il s’agit là en réalité d’une forme d’exploitation des enfants dont certains marabouts qui tiennent des "daara" (écoles coraniques), ont fait un gagne-pain, à travers une "rançon journalière" demandée aux "talibés" (élèves des écoles coraniques).
S’y ajoute que le caractère informel de ces "daara" empêche également leur meilleur encadrement et accompagnement.
Plus de 30 mille enfants talibés recensés
Le département de Kaffrine compte le plus grand nombre d’enfants en situation de mendicité de la région, avec 10.812 talibés répartis au sein de 324 écoles coraniques.
Il est suivi de Koungheul avec 7.979 talibés évoluant dans 206 "daara".
Viennent ensuite les départements de Birkilane (6.512 talibés, 169 daara) et Malem Hodar (5.491 talibés, 172 daara). M. Tine explique que dans le cadre des mariages précoces, la médiation est la première étape que doivent suivre les acteurs de la protection de l’enfance, pour "convaincre les parents" que de tels mariages "ne sont pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant".
Toutefois, il estime que "cet intérêt supérieur de l’enfant peut être mis souvent à rude épreuve par l’intérêt" des familles qui, pour des considérations économiques, "marient leurs filles à un âge précoce".
Le point focal du CDPE de Kaffrine précise que "l’objectif de cette médiation est de comprendre" les raisons qui conduisent les parents à donner leurs jeunes filles en mariage, pour ensuite pouvoir faire une évaluation de la situation et "voir si ces raisons sont en phase avec l’intérêt de l’enfant".
Selon lui, ce n’est que si les acteurs échouent à obtenir à l’amiable une annulation du mariage que la justice est saisie.
Au Sénégal, le Code de la famille fixe à 16 ans l’âge légal du mariage, mais de nombreuses organisations féminines plaident pour une mise à jour de cette loi, en relevant cet âge légal à 18 ans.
Dans certains cas de mariages d’enfants, les acteurs peuvent être "limités" dans leur volonté d’intervenir.
C’est le cas lorsqu’ils se retrouvent en face de parents qui choisissent de marier leurs filles, pour éviter de tomber un jour dans le déshonneur que représenterait pour eux une grossesse hors mariage, explique la présidente du projet Scolarisation des filles (SCOFI) du département de Kaffrine. Ce projet intervient dans la prévention, la promotion et la médiation sociale.
Des statistiques quasi-inexistantes
La présidente de la SCOFI, Ndèye Fatim Niang, précise que ce projet intervient surtout dans le maintien des jeunes filles à l’école, bien qu’il lui arrive d’être confronté à des "situations très sensibles et très difficiles".
"Il peut y avoir des cas de mariage d’enfants qui nous sont signalés après consommation du mariage. Dans ces cas de figure, en tant qu’acteurs, nous sommes partagés, car nous prenons des risques énormes", fait-elle remarquer.
Selon elle, la question qui se pose alors est de savoir si la SCOFI a la capacité de préparer la fille mineure concernée à accepter cette situation, "sachant qu’elle n’est plus vierge, et qu’elle est exposée".
Elle estime que dans de pareils cas, la meilleure chose à faire est de "convaincre la jeune fille de rester dans le mariage", vu que "nos normes sociales s’imposent à nos lois".
Dans la région de Kaffrine, les statistiques sur les mariages et les grossesses précoces ainsi que les cas de viol, sont quasi-inexistantes.
Bien que signalés, certains cas ne sont même pas répertoriés, avouent de nombreux acteurs. Babacar Senghor estime qu’il y a encore beaucoup à faire dans la collecte des informations auprès des acteurs. "Les interventions sont éparses entre acteurs qui ne travaillent pas en harmonie avec le CDPE", "c’est ce qui explique également l’absence de données sur les cas qui nous parviennent", dit-il.
Le gouvernement du Sénégal, à travers le ministère de l’Education nationale, a mis en place une plateforme de gestion des violences sexuelles en 2022, pour le signalement des cas de violences sexuelles en milieu scolaire.
Cependant, toutes les écoles de Kaffrine n’ont pas été prises en compte dans cette plateforme, relève Sirandou Sarr, de la cellule Genre de l’inspection d’Académie de Kaffrine.
Elle informe qu’un outil a été récemment mis en place au niveau de l’Académie pour, au-delà du signalement, permettre de répertorier et faire le suivi des cas de violences sexuelles dans les établissements scolaires.
294 cas de déperdition scolaire
Selon Aïssatou Sanou Gaye, coordonnatrice régionale de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique (Cosydep), une étude sur les causes de déperdition scolaire a été réalisée en 2020, sur 10 écoles élémentaires et autant de collèges d’enseignement moyen (CEM) de la région de Kaffrine.
Cette étude, menée grâce à des partenaires, a révélé 294 cas de déperdition scolaire dus aux mariages et grossesse précoces, a-t-elle indiqué. "Mais, en réalité, dans la région, chaque deux jours, on nous signale des cas de mariages d’enfants, sans compter les cas dissimulés", déclare-t-elle.
La coordinatrice de la Cosydep rappelle que les traditions et les coutumes sont très ancrées dans le Saloum.
"Lorsqu’elles sont surtout adossées à un taux très élevé d’analphabétisme, cela accroît l’omerta sur les violences subies par les enfants", explique-t-elle.
Babacar Senghor du CDPE de Birkilane considère d’ailleurs que l’ampleur de ce taux d’analphabétisme, est une des causes d’une autre forme de violence subie par les enfants : la non déclaration des naissances à l’état- civil.
41 mille élèves sans pièces d’état civil
"Rien que dans le département de Birkilane, nous avons 7.000 élèves qui n’ont pas d’état-civil", s’inquiète M. Senghor, également formateur et encadreur.
La dernière revue régionale annuelle de l’éducation et de la formation de Kaffrine a révélé que 41.000 enfants scolarisés des quatre Inspections d’Education et de la Formation (IEF) de la région, n’ont pas encore été enregistrés à l’état-civil.
Et selon un rapport de l’UNICEF paru en 2017, 61% des enfants de moins de 5 ans n’ont pas été déclarés. "La situation est très alarmante et nécessite une réactivité urgente de la part des autorités", insiste Babacar Senghor. Il déclare que les parents ignorent l’importance de l’état-civil, qui est pourtant un droit qui confère d’autres droits (éducation, santé, travail, etc).
D’autres facteurs expliquent également la non déclaration des naissances. Il s’agit de l’enclavement et de l’éloignement de certains villages par rapport aux centres d’état-civil.
Mais, il y a aussi que l’officier d’état-civil, surtout s’il occupe d’autres responsabilités, tarde parfois à apposer sa signature sur les papiers d’état-civil.
De nombreuses campagnes de sensibilisation sont organisées dans la région, pour mettre fin au phénomène et amener les parents à comprendre l’importance de déclarer son enfant à la naissance.
Le grand défi chez les acteurs de la protection de l’enfance reste aujourd’hui, celui de la coordination des différentes interventions sur la question des violences faites aux enfants, mais surtout sur le suivi des cas signalés, souligne Abibou Bodian, coordonnateur régional du service de l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO).
Récemment réunis autour d’une formation sur la prise en charge psychosociale des enfants victimes de traite, les acteurs avaient beaucoup insisté sur une meilleure synergie des actions dans la région ainsi que sur une meilleure communication entre acteurs.