« Matteo est en ligne, c’est bon ? Alors on va pouvoir y aller ! ». Mardi 30 janvier 2018, la pendule du studio 31 indique 16:09 et, à 1 minute de la prise d’antenne, David Fintzel, le coordinateur de Radio Foot, s’assure des derniers réglages auprès de Guillaume Ploquin, le réalisateur, celui qui lance les jingles, les interviews enregistrées et assure derrière sa console, toute la partie technique de l’émission, dont la gestion des appels téléphoniques. En ce jour de milieu de semaine, l’actualité laisse suffisamment de place pour un large sujet sur le football italien, l’un des thèmes dont vont débattre Salim Baungally (SFR Sports), Nabil Djellit (France Football) et Hervé Penot (L’Équipe), les trois intervenants installés de l’autre côté de la vitre autour d’Annie Gasnier, ainsi que Matteo Cioffi, le correspondant du service des sports de RFI à Milan qui est au bout du fil.
« Non seulement, les Italiens sont éliminés de la Coupe du monde mais, pour le moment, ils n’ont plus de sélectionneur, ni de président de la fédération, ni de président de la Ligue nationale » justifie David Fintzel. Sans égard pour le pauvre Matteo Cioffi, une fois annoncé le sommaire du jour, l’émission débute par la bande-son de la fin du match de barrage entre la Suède et l’Italie du 13 novembre dernier, cette rencontre qui a féfinitivement barré la route de la Coupe du monde 2018 à la Squadra Azzura, une première depuis 1958 et une élimination vécue comme un drame national par des millions de Transalpins.
« Merci de m’avoir rafraîchi la mémoire ! » lance ironiquement au téléphone Matteo Cioffi, après avoir réentendu le gardien de la Nazionale, Gianluigi Buffon, s’étrangler en larmes au micro d’une télé italienne, éliminé ce soir-là pour son tout dernier match sous le maillot des Azzuri. Même si à Radio Foot, l’amitié prime avant tout, le « chambrage » n’est pas interdit, il est même recommandé. C’est aussi le charme de cette émission qui a rapidement trouvé sa place dans la grille des programmes de RFI, au point de faire désormais partie des plus écoutées de la radio mondiale.
Pas gagné d’avance
Ce n’était pourtant pas gagné d’avance car tout le monde à RFI, loin s’en faut, n’était pas convaincu du bien-fondé et encore moins du succès d’une telle émission, dont les débuts sur nos antennes remontent très précisément au 1er novembre 2010. « Cela n’allait pas de soi car, à RFI, les gens n’étaient spécialement « foot », en dehors de ceux du service des sports », confirme Damien Houlès, l’actuel rédacteur en chef des magazines de la station. « Pour la plupart des gens de la maison, l’antenne de RFI était une antenne assez « savante », assez « culturelle » et c’était très bien comme ça », poursuit-il. « Une émission sur le foot, surtout en quotidienne, les gens se sont dit : « à qui va-t-on parler ? » Dans l’esprit de beaucoup de monde à RFI, cela correspondait – c’est une image – à l’arrivée de RMC Info sur l’antenne de France Culture » …autrement dit à une erreur de casting.
« Il y avait de fortes réticences et il m’a littéralement fallu plusieurs années pour convaincre de l’intérêt d’une émission quotidienne sur le foot sur l’antenne de RFI, alors que c’est quand même un sujet qui passionne une très grand majorité de notre public », assure le rédacteur en chef des magazines dans son bureau du 4e étage. Les certitudes de Damien Houlès –pourtant lui-même très loin d’être un passionné de football – pour imposer Radio Foot, ne venaient pourtant pas de nulle part. Une émission hebdomadaire animée par Gérard Dreyfus intitulée « Le Tour du Monde en ballon », qui faisait intervenir le lundi soir des footballeurs africains expatriés dans différents championnats à travers le monde, avait déjà bien marché durant son année d’existence.
Mais le détonateur allait être la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, la première organisée sur le continent africain. Durant toute la compétition, Juan Gomez, Alain Foka et Igor Strauss vaient animé une quotidienne sur la Coupe du monde à 20h30 TU (22h30 à Paris) avec des invités. Et ils avaient fait d’excellentes audiences. « On s‘est dit : Là, il faut absolument qu’à la rentrée, on poursuive sur la lancée ! », se remémore Damien Houlès, un choix également entériné par la directrice de l’information sur l’Afrique de l’époque, Anne-Marie Capomaccio, et même encouragé en plus haut lieu dans ce qui s’appelait encore l’AEF (Audiovisuel Extérieur de la France).
Des débuts difficiles
L’idée était lancée et le nom s’était imposé de lui-même, suite à un article paru le 27 juin 2010 dans le quotidien L’Équipe vantant le caractère rassembleur de notre radio durant la Coupe du monde, article signé Yohann Hautbois et intitulé, vous l’auriez deviné, Radio Foot Internationale.
Dès lors, les esprits étaient prêts et le nom validé. Restait à trouver un créneau sur l’antenne et surtout une personne capable non seulement d’animer mais aussi d’incarner l’émission. Un horaire relativement tardif fut d’abord choisi, 21h10 TU – soit 22h10 à Paris l’hiver, 23h10 l’été – tranche qui correspondait au début de soirée en Afrique de l’Ouest, la zone géographique particulièrement ciblée par Radio Foot. Et c’est, dès l’origine, à Annie Gasnier, fraîchement arrivée de Rio, que furent confiées les rênes de l’émission.
Correspondante de RFI en Amérique du Sud durant de longues années, notamment au Brésil, Annie avait déjà fait des reportages sur le football mais, pour autant, elle n’en menait pas large, en ce 1er novembre 2010, lorsque Radio Foot démarra pour de bon avec, comme seul et unique sujet, les 50 ans de Diego Maradona qui les avait fêtés la veille. L’émission était agrémentée de nombreux témoignages sur la carrière du « Pibe de Oro » et comptait comme premier invité, le truculent Omar da Fonseca, l'ancien international argentin qui fait aujourd’hui les beaux jours de BeIN Sports comme commentateur.
À peine débarquée à Paris après 20 ans d’exil, Annie reconnaît volontiers que l’ajustement lui a pris un peu de temps. « Même si j’ai longtemps vécu au Brésil où le foot est une religion, j’avoue que mes connaissances des autres football était quasi-inexistantes et que je manquais certainement de légitimité ». Bien aidée par une petite équipe restée très soudée, elle a enrichi au fur et à mesure ses connaissances footballistiques, pour donner corps à une émission qui mit quand même un certain temps à trouver le bon tempo.
« Au début, c’était un peu difficile de fidéliser un public » reconnaît la présentatrice. « Le rythme ne nous aidait pas : l’émission avait lieu les lundi, mercredi, jeudi et vendredi mais pas le mardi car, ce jour-là, il y avait déjà « Mardi Politique ». C’était bizarre. L’horaire non plus n’était pas idéal : 21h10 TU (soit 22h10 ou 23h10 à Paris, suivant la saison), on avait beaucoup de mal à avoir des invités à des horaires aussi tardifs, même au téléphone ». Résultat : beaucoup de sujets enregistrés et très peu de débats, pratiquement l’inverse de ce qu’est l’émission aujourd’hui. Un bon souvenir quand même de ces premiers mois : l'étonnate saga du Tout-Puissant Mazembe, le club de RDC finaliste de la Coupe du monde des clubs à Abou Dhabi, qui connut un écho certain sur nos antennes.
La bonne formule
« La première année, on a pas mal tâtonné. On peut même dire que c’était raté » ose Anne-Marie Capomaccio. « On n’y était pas, ni sur le ton, ni sur le contenu. On était trop « magazine » alors que ce que les gens voulaient, c’était du « talk ». Mais l’horaire ne s’y prêtait pas ». C’est à partir de la rentrée 2011, pour sa deuxième saison, que Radio Foot trouva la bonne formule : plus de réactivité, plus d’invités, plus de débats et un horaire bien meilleur : 15h10 TU avec une rediffusion à 21h10 TU sur l’Afrique. En heure d’été, quand l’actualité s’y prête (Ligue des champions, Coupe du monde, Euro), il y a même un deuxième Radio Foot en direct à 21h10 TU, au lieu d’une rediffusion de celui de l’après-midi sur les zones géographiques concernées.
« On a la chance que tous les acteurs du foot africain, de Claude Leroy à Issa Hayatou en passant par des grands joueurs comme Samuel Eto’o ou Didier Drogba aient joué le jeu dès le départ et continuent de le faire » se réjouit Christophe Jousset, rédacteur en chef adjoint du service des sports de RFI, lequel service fournit des éléments sonores – la matière première de l’émission – tout au long de l’année grâce à son immense réseau de correspondants à travers le monde. « Dès 2011, l’émission a vraiment décollé. On est vite devenus très réactifs, se félicite Christophe. Par exemple, quand on a appris le décès de Johann Cruyff à 10h00 du matin il y a deux ans, on a réussi à faire une spéciale très complète le jour-même à 16h10 .»
Les gros efforts consentis pour suivre au plus près la Coupe d'Afrique des Nations à partir de 2012 (deux émissions en direct tous les jours) ainsi que la remise du prix Marc-Vivien Foé, qui récompense chaque fin de saison – sous l’égide de RFI et France 24 – le meilleur joueur africain évoluant en Ligue 1, ont encore un peu plus installé l’émission dans le paysage radiophonique. Au fil du temps, un groupe désormais composé d’une vingtaine de consultants est venu ajouter son expertise à celle des journalistes du service des sports qui s’invitent régulièrement à la table d’Annie. Certains, comme l’ancien capitaine de l’OM et ex-international sénégalais, Habib Bèye, ont même fait leurs premières armes au micro dans l’émission. Star montante dans le microcosme des consultants télé à l’heure actuelle chez Canal Plus, Habib vient toujours avec le même bonheur débattre dans Radio Foot.
« On a du plaisir à travailler tous ensemble » insiste-t-il. « Il y a une vraie équipe et il n’y a pas d’égo, ce qui change de la télé... On est dans un truc de passionnés. On n’est pas là pour l’argent,on n’est pas là pour exister auprès des gens, on est là pour participer à une aventure humaine. Et je le dis sincèrement : même si j’ai un emploi du temps très chargé en ce moment, je prends énormément de plaisir à venir faire cette émission ».
« De surcroît, ajoute l’ancien défenseur, l’impact de l’émission en Afrique, mon continent, est énorme. Beaucoup de foyers en Afrique n’ont pas forcément la télé et s’appuient justement sur la radio. Donc, on a une voix qui est porteuse et ça, c’est intéressant. Là-bas, on me dit toujours : « passez le bonjour à Annie ! » Elle est très célèbre et très aimée en Afrique. »
Une grande famille
Régulier de l’émission depuis cinq ans, Nabil Djellit, journaliste à France Football, abonde dans ce sens : « C’est toujours agréable pour moi de venir ici. Le ton est à la fois très professionnel, avec beaucoup d’expertise. Mais ce que j’aime bien ici, c’est qu’il n’y a aucune démagogie. On n’attaque jamais les joueurs. On parle de football mais également des faits sociologiques et historiques pour essayer de comprendre les choses ».
« Et puis, ajoute-t-il, il n’y a aucun sensationnalisme, pas de culture du « buzz » et je trouve que c’est le bon ton pour parler de football. L’émission est bien pensée, Annie gère très bien les choses et elle a un casting avec de la diversité : il y a tous types de profils comme le mien, comme Salim Baungally qui est spécialisé dans le foot anglais, comme Patrick Julliard sur le foot africain ou encore Carine Galli ma consœur à L’Équipe qui a une vraie expertise de la Ligue 1. ».
La tonalité de l’émission varie cependant légèrement chaque vendredi quand sonne l’heure du Café des Sports, la version de fin de semaine de Radio Foot où les arguments se font parfois plus véhéments et les répliques plus cinglantes malgré la présence du toujours très pondéré chef du service des sports Alejandro Valente. La faute, ou le talent, en incombe principalement au journaliste camerounais Rémy Ngono, dont les passes d’armes avec Xavier Barret de France Football ou Chérif Ghemmour de So Foot, sont devenues célèbres, des saillies souvent d’une mauvaise foi assumée mais à chaque fois, conclues par un proverbe africain dont Rémy a le secret, du style : « Tu ne peux pas détester la vache et vouloir boire son lait » ou « On ne peut pas apprendre à un crabe à marcher droit ».
Aussi intarissable dans la coulisse qu’à l’antenne, Rémy Ngono nous semblait tout désigné pour conclure avec ses mots à lui ,cette exploration dans l’univers de Radio Foot et son Café des Sports : « Oui, ça m’a paru étrange au début qu’on confie une émission de foot à une femme », reconnaît-il, sans honte. « Je me suis dit : certainement elle va se planter ! Et je me suis rendu compte qu’elle avait une véritable expérience. Mais au-delà de ça, c’est la fleur « enjolivante » qui essaie d’atténuer un match de coqs du village avec des crêtes qui sont prêts à sortir ergots et griffes pour en découdre (sic). C’est la beauté même de cette émission qui fait en sorte qu’elle puisse très bien réguler et arbitrer les débats ». Faire l’unanimité, même le Real Madrid, club dont Rémy est pourtant supporter inconditionnel, n’y arrive jamais … c’est dire si Radio Foot est appréciée.
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