Du carburant « toxique » serait déversé régulièrement sur le continent. Qu’en savez-vous ?
Nous avons eu connaissance de ce rapport qui a été largement relayé par les médias. Parler de carburant toxique, de notre point de vue, est un abus de langage. C’est un rapport qui met le doigt sur un problème qui est connu de tous les professionnels de l’industrie pétrolière et des gouvernements, lesquels d’ailleurs, dans tous les pays, ont établi des normes qu’on appelle « spécifications ».
A notre connaissance, aucun produit fabriqué par les raffineries africaines ou acheté dans des conditions normales, légales, ne peut se faire en dehors du respect des normes édictées par les gouvernants.
Quand on compare les produits pétroliers qui sont vendus aux États-Unis ou dans l’Union européenne à ceux qui sont vendus en Afrique, on constate qu’en moyenne, les spécifications sont celles qui étaient en vigueur en Europe dans les années 1990. De ce point de vue-là , effectivement, l’Afrique connaît un retard. Mais parler de produits toxiques qui seraient déversés sciemment, c’est un peu excessif.
Lesdits produits seraient-ils donc entrés sur le continent frauduleusement ?
Personne n’affirme cela. Le rapport en question dit simplement que les pratiques décriées n’ont rien d’illégal. Elles seraient illégitimes. Et là , on se place sur le plan de la morale.
La position de l’Ara, c’est de ne pas commenter ce rapport, surtout que l’Association n’est pas mise en cause, ni d’y répondre même si certains de nos membres sont mis en cause. Ce que nous déplorons, c’est le fait que ce rapport ne met pas suffisamment en exergue le travail que l’Ara fait depuis une dizaine d’années en conjonction avec beaucoup d’organismes et les gouvernements pour, précisément, faire en sorte que l’Afrique se mette aux normes actuelles dans un laps de temps équivalent à celui qu’a mis l’Europe pour se mettre aux normes actuelles, c’est-à -dire 20 à 25 ans.
C’est ce que nous avons recommandé déjà en 2006-2007 en créant le concept Afri, avec une feuille de route qui consiste à faire en sorte qu’à l’horizon 2020, 2025, 2030, en Afrique, on soit au même niveau de caractéristiques des produits pétroliers qu’on trouve actuellement en Europe et aux États-Unis sur des points particuliers comme la teneur en soufre, soit 50 ou 10 ppm pour le diesel et une faible teneur en benzène pour l’essence.
C’est ce que nous appelons le programme Afri1, 2, 3, 4 voire 5. Ce rapport passe sous silence ce travail sérieux qui se fait et je trouve que c’est injuste de ne pas parler des efforts qui sont faits par les gouvernements qu’on fait passer finalement pour des ignorants.
Quel est l’état des lieux s’agissant de ces spécifications… africaines ?
Selon l’Ara, les spécifications officielles des produits pétroliers gagneraient à s’aligner sur ce que produisent les raffineries africaines qui est généralement de meilleure qualité. Ceci obligerait les importateurs à se conformer à ces caractéristiques plus contraignantes. Un premier pas a déjà été réalisé quand dans certains pays, la teneur en soufre du gasoil est passée de 10 000 à 3 000 ppm. C’est une évolution heureuse car dans ces pays-là , on est passé de la norme Afri 1 à Afri 2. Mais il y a encore du chemin à faire, en particulier pour les raffineries, parce que faire des produits sans soufre, demande des investissements colossaux qui nécessite la contribution des Etats. Je sais qu’une raffinerie comme la Sir négocie le financement de son programme de modernisation pour arriver à fabriquer aux normes Afri 4 et Afri 5.
Le principal axe d’attaque du rapport, c’est la pollution de l’air. Et cela ravive les débats sur la qualité du carburant produit en Afrique, au regard des cheminées ambulantes qui parcourent les rues. Le problème Afri pourra-t-il tenir ses promesses de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air sur le continent ?
C’est un problème qui doit être abordé de manière systémique. Il n’y a pas que la qualité du carburant qui est en cause. Le problème, en réalité, c’est la qualité de l’air. D’un côté, on a la qualité du carburant qui s’améliore, peut-être pas assez vite, mais pour lequel nous avons établi une feuille de route, de l’autre il y a le moteur dans lequel ce carburant brûle. Agir sur les carburants sans agir sur la qualité du parc automobile, c’est finalement faire des efforts qui ne produiront pas les effets escomptés, à savoir améliorer la qualité de l’air.
Quand on a des pays où l’âge moyen du parc automobile est de 20 ans, voire 25 ans, à quoi ça sert de mettre dans ces moteurs des carburants qui, eux, produisent leurs meilleurs effets dans des moteurs de voitures qui ont cinq ans, dix ans, ou qui sont neuves ?
Vous enfoncez là une porte ouverte…
En effet ! On ne peut pas changer le parc automobile du jour au lendemain. Il faut le faire progressivement. C’est pourquoi nous parlons d’approche systémique. Nous travaillons au niveau de l’Ara étroitement avec la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest, Ndlr). Bientôt, nous allons mettre en place une étude sur l’âge du parc auto dans cet espace et voir comment accélérer sa rotation de telle sorte qu’il y ait une conjonction entre l’avènement des produits aux normes Afri 4 et Afri 5 (les normes européennes actuelles) et l’état d’u parc automobile qui justement peut recevoir ces produits pour les brûler de manière optimale de sorte à ne pas polluer l’environnement.
Donner du carburant propre à une voiture qui a un vieux moteur, ne sert à rien, parce que ce n’est ni le benzène ni le soufre dans le carburant qui sera le problème, mais plutôt les imbrûlés. Les voitures qui fument, c’est très nocif pour la santé. C’est l’état du moteur lui-même qui doit être mis en cause ici.
Les gouvernements et l’Ara parlent d’une même voix sur cette question du renouvellement de son parc automobile. Mais ne tourne-t-on pas en rond à ce sujet ?
On avance en réalité. Mais très lentement. C’est un problème complexe. Quand on prend l’exemple du réchauffement climatique, on fait des constats, mais la situation est loin de changer du jour au lendemain… Il ne faut pas baisser les bras. Au niveau de la Cedeao, en tous cas, avec la collaboration de l’Ara, le problème est connu de tous les ministères en charge de l’environnement, des questions pétrolières et des transports. Les solutions sont connues, mais leur mise en œuvre est coûteuse et prend du temps. C’est peut-être le mérite du rapport en question, même s’il est contestable dans sa formulation sur certains points, d’avoir touché du doigt un problème réel qui est de savoir comment faire pour accélérer la modernisation des raffineries et du parc automobile afin que nos populations aient accès à une meilleure qualité d’air.
Ne faudrait-il pas protéger davantage le marché africain contre l’invasion de produits pour éviter les poussées de fièvre du genre que vient de soulever ce rapport ?
Le marché africain sera protégé aussi rapidement que les raffineries africaines seront capables de produire les produits pétroliers en quantité suffisante. Le problème, c’est que si on impose dès demain, ces spécifications européennes (ce qui ne servira à rien parce que le parc auto n’aura pas changé), on aura comme conséquence de fermer les raffineries. C’est ce qui s’est passé, d’ailleurs à Mombassa (Kenya). Du jour au lendemain, on a adopté une norme et la raffinerie a été obligée de fermer. Est-ce que pour autant, la qualité de l’air s’est améliorée ? J’attends de voir les chiffres.
Dans l’approche systémique que j’ai indiquée, il y a le carburant, le moteur, les normes de spécifications, mais aussi tous les mécanismes de contrôle et de mesure qu’il faut mettre en place. Quelles sont les normes d’émission des véhicules. Comment on contrôle dans la rue qu’effectivement, le taux de pollution a été dépassé comme ça se fait dans les pays ?... C’est une approche globale qu’il faut mettre en place. C’est comme ça qu’on pourra mieux protéger nos populations.
Un mot concernant la Côte d’Ivoire ?
En tant qu’Ivoirien, je me réjouis de ce que la Côte d’Ivoire n’est pas concernée par cette affaire de « carburant toxique ». En cela, je rejoins les propos du Directeur général adjoint de la Sir dans votre édition de samedi dernier. Il faut absolument mettre en œuvre le plan de modernisation de la Sir qui permettra de fabriquer dans un horizon très rapide les produits pétroliers aux normes Afri 4 et Afri 5 et, aussi, se pencher sur la question de l’âge du parc automobile qui est importante dans la problématique de la qualité de l’air.
Interview réalisée par
ELVIS KODJO
Nous avons eu connaissance de ce rapport qui a été largement relayé par les médias. Parler de carburant toxique, de notre point de vue, est un abus de langage. C’est un rapport qui met le doigt sur un problème qui est connu de tous les professionnels de l’industrie pétrolière et des gouvernements, lesquels d’ailleurs, dans tous les pays, ont établi des normes qu’on appelle « spécifications ».
A notre connaissance, aucun produit fabriqué par les raffineries africaines ou acheté dans des conditions normales, légales, ne peut se faire en dehors du respect des normes édictées par les gouvernants.
Quand on compare les produits pétroliers qui sont vendus aux États-Unis ou dans l’Union européenne à ceux qui sont vendus en Afrique, on constate qu’en moyenne, les spécifications sont celles qui étaient en vigueur en Europe dans les années 1990. De ce point de vue-là , effectivement, l’Afrique connaît un retard. Mais parler de produits toxiques qui seraient déversés sciemment, c’est un peu excessif.
Lesdits produits seraient-ils donc entrés sur le continent frauduleusement ?
Personne n’affirme cela. Le rapport en question dit simplement que les pratiques décriées n’ont rien d’illégal. Elles seraient illégitimes. Et là , on se place sur le plan de la morale.
La position de l’Ara, c’est de ne pas commenter ce rapport, surtout que l’Association n’est pas mise en cause, ni d’y répondre même si certains de nos membres sont mis en cause. Ce que nous déplorons, c’est le fait que ce rapport ne met pas suffisamment en exergue le travail que l’Ara fait depuis une dizaine d’années en conjonction avec beaucoup d’organismes et les gouvernements pour, précisément, faire en sorte que l’Afrique se mette aux normes actuelles dans un laps de temps équivalent à celui qu’a mis l’Europe pour se mettre aux normes actuelles, c’est-à -dire 20 à 25 ans.
C’est ce que nous avons recommandé déjà en 2006-2007 en créant le concept Afri, avec une feuille de route qui consiste à faire en sorte qu’à l’horizon 2020, 2025, 2030, en Afrique, on soit au même niveau de caractéristiques des produits pétroliers qu’on trouve actuellement en Europe et aux États-Unis sur des points particuliers comme la teneur en soufre, soit 50 ou 10 ppm pour le diesel et une faible teneur en benzène pour l’essence.
C’est ce que nous appelons le programme Afri1, 2, 3, 4 voire 5. Ce rapport passe sous silence ce travail sérieux qui se fait et je trouve que c’est injuste de ne pas parler des efforts qui sont faits par les gouvernements qu’on fait passer finalement pour des ignorants.
Quel est l’état des lieux s’agissant de ces spécifications… africaines ?
Selon l’Ara, les spécifications officielles des produits pétroliers gagneraient à s’aligner sur ce que produisent les raffineries africaines qui est généralement de meilleure qualité. Ceci obligerait les importateurs à se conformer à ces caractéristiques plus contraignantes. Un premier pas a déjà été réalisé quand dans certains pays, la teneur en soufre du gasoil est passée de 10 000 à 3 000 ppm. C’est une évolution heureuse car dans ces pays-là , on est passé de la norme Afri 1 à Afri 2. Mais il y a encore du chemin à faire, en particulier pour les raffineries, parce que faire des produits sans soufre, demande des investissements colossaux qui nécessite la contribution des Etats. Je sais qu’une raffinerie comme la Sir négocie le financement de son programme de modernisation pour arriver à fabriquer aux normes Afri 4 et Afri 5.
Le principal axe d’attaque du rapport, c’est la pollution de l’air. Et cela ravive les débats sur la qualité du carburant produit en Afrique, au regard des cheminées ambulantes qui parcourent les rues. Le problème Afri pourra-t-il tenir ses promesses de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air sur le continent ?
C’est un problème qui doit être abordé de manière systémique. Il n’y a pas que la qualité du carburant qui est en cause. Le problème, en réalité, c’est la qualité de l’air. D’un côté, on a la qualité du carburant qui s’améliore, peut-être pas assez vite, mais pour lequel nous avons établi une feuille de route, de l’autre il y a le moteur dans lequel ce carburant brûle. Agir sur les carburants sans agir sur la qualité du parc automobile, c’est finalement faire des efforts qui ne produiront pas les effets escomptés, à savoir améliorer la qualité de l’air.
Quand on a des pays où l’âge moyen du parc automobile est de 20 ans, voire 25 ans, à quoi ça sert de mettre dans ces moteurs des carburants qui, eux, produisent leurs meilleurs effets dans des moteurs de voitures qui ont cinq ans, dix ans, ou qui sont neuves ?
Vous enfoncez là une porte ouverte…
En effet ! On ne peut pas changer le parc automobile du jour au lendemain. Il faut le faire progressivement. C’est pourquoi nous parlons d’approche systémique. Nous travaillons au niveau de l’Ara étroitement avec la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest, Ndlr). Bientôt, nous allons mettre en place une étude sur l’âge du parc auto dans cet espace et voir comment accélérer sa rotation de telle sorte qu’il y ait une conjonction entre l’avènement des produits aux normes Afri 4 et Afri 5 (les normes européennes actuelles) et l’état d’u parc automobile qui justement peut recevoir ces produits pour les brûler de manière optimale de sorte à ne pas polluer l’environnement.
Donner du carburant propre à une voiture qui a un vieux moteur, ne sert à rien, parce que ce n’est ni le benzène ni le soufre dans le carburant qui sera le problème, mais plutôt les imbrûlés. Les voitures qui fument, c’est très nocif pour la santé. C’est l’état du moteur lui-même qui doit être mis en cause ici.
Les gouvernements et l’Ara parlent d’une même voix sur cette question du renouvellement de son parc automobile. Mais ne tourne-t-on pas en rond à ce sujet ?
On avance en réalité. Mais très lentement. C’est un problème complexe. Quand on prend l’exemple du réchauffement climatique, on fait des constats, mais la situation est loin de changer du jour au lendemain… Il ne faut pas baisser les bras. Au niveau de la Cedeao, en tous cas, avec la collaboration de l’Ara, le problème est connu de tous les ministères en charge de l’environnement, des questions pétrolières et des transports. Les solutions sont connues, mais leur mise en œuvre est coûteuse et prend du temps. C’est peut-être le mérite du rapport en question, même s’il est contestable dans sa formulation sur certains points, d’avoir touché du doigt un problème réel qui est de savoir comment faire pour accélérer la modernisation des raffineries et du parc automobile afin que nos populations aient accès à une meilleure qualité d’air.
Ne faudrait-il pas protéger davantage le marché africain contre l’invasion de produits pour éviter les poussées de fièvre du genre que vient de soulever ce rapport ?
Le marché africain sera protégé aussi rapidement que les raffineries africaines seront capables de produire les produits pétroliers en quantité suffisante. Le problème, c’est que si on impose dès demain, ces spécifications européennes (ce qui ne servira à rien parce que le parc auto n’aura pas changé), on aura comme conséquence de fermer les raffineries. C’est ce qui s’est passé, d’ailleurs à Mombassa (Kenya). Du jour au lendemain, on a adopté une norme et la raffinerie a été obligée de fermer. Est-ce que pour autant, la qualité de l’air s’est améliorée ? J’attends de voir les chiffres.
Dans l’approche systémique que j’ai indiquée, il y a le carburant, le moteur, les normes de spécifications, mais aussi tous les mécanismes de contrôle et de mesure qu’il faut mettre en place. Quelles sont les normes d’émission des véhicules. Comment on contrôle dans la rue qu’effectivement, le taux de pollution a été dépassé comme ça se fait dans les pays ?... C’est une approche globale qu’il faut mettre en place. C’est comme ça qu’on pourra mieux protéger nos populations.
Un mot concernant la Côte d’Ivoire ?
En tant qu’Ivoirien, je me réjouis de ce que la Côte d’Ivoire n’est pas concernée par cette affaire de « carburant toxique ». En cela, je rejoins les propos du Directeur général adjoint de la Sir dans votre édition de samedi dernier. Il faut absolument mettre en œuvre le plan de modernisation de la Sir qui permettra de fabriquer dans un horizon très rapide les produits pétroliers aux normes Afri 4 et Afri 5 et, aussi, se pencher sur la question de l’âge du parc automobile qui est importante dans la problématique de la qualité de l’air.
Interview réalisée par
ELVIS KODJO