Le 31 janvier 2017 a incontestablement été une journée historique dans les annales de la diplomatie marocaine, mais aussi une nouvelle page dans l'histoire de l'Union africaine (UA). Ce jour-là à Addis Abeba, le Maroc retrouvait sa place dans l'organisation continentale, 34 ans après l'avoir quittée.
Trois décennies qui ont été vécus par la majorité des pays africains comme un non-sens, tant le Royaume qui avait joué un rôle important, pour ne pas dire décisif, dans la pose des premières pierres de l'unité africaine et a contribué à la libération de plusieurs autres peuples du joug du colonialisme. «Il est beau le jour où l'on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau le jour où l'on porte son cœur vers le foyer aimé'! L'Afrique est mon Continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m'avez tous manqué».
Ce sont les premiers mots empreints d'une solennelle émotion, prononcés par le roi Mohammed VI à la tribune du 28e sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA. Dans son discours tout aussi mémorable, le souverain est revenu certes sur les conditions qui ont conduit le Maroc à quitter l'institution continentale, un départ assumé du reste, mais il a surtout justifié les raisons qui ont fait que pour le Maroc, c'était l'heure de «rentrer à la maison».
«Au moment où le Royaume compte parmi les nations africaines les plus développées, et où une majorité de pays-membres aspirent à notre retour, nous avons choisi de retrouver la famille, une famille que nous n'avions pas véritablement quittée», avait souligné le roi du Maroc, qui a rappelé à l'occasion l'excellence des relations bilatérales entre le Royaume et les «pays frères africains», avec qui les ponts n'ont jamais été coupés. Au contraire, et comme l'a mis en évidence Mohammed VI, malgré d'absence du Maroc des instances de l'Union africaine, «nos liens, jamais rompus, sont restés puissants, et les pays africains frères ont toujours pu compter sur nous: les relations bilatérales fortes ont ainsi été développées de manière significative».
L'acte symbolique du retour du Maroc au sein de l'UA a certes une portée historique et si pour beaucoup d'observateurs, il a constitué une consécration de la politique africaine du royaume du Maroc, pour Mohammed VI, «ce retour, pour important et décisif qu'il est, n'est pas une fin en soi».
Dans un message adressé la nation le 20 août 2017 à l'occasion du 64e anniversaire de la Révolution du roi et du peuple, le souverain marocain rappelait que «l'Afrique a toujours été et demeurera en tête de nos priorités». En la matière, plus que les mots, ce sont les actes posés par le Maroc en faveur de l'essor du Continent qui illustrent la portée d'un retour que le président en exercice de l'UA de l'époque, le chef d'Etat rwandais Paul Kagamé, avait qualifié «d'atout majeur que les pays africains doivent exploiter pour renforcer leur unité et leur solidarité».
Les jalons d'une vision royale
L'Afrique est une priorité pour le Maroc. C'est plus qu'une simple proclamation rhétorique, mais un engagement personnel de Mohammed VI qui, dès son avènement au trône, a donné un nouveau souffle à la politique nationale. Dès le début des années 2000, au moment où il initiait les premiers chantiers du nouveau règne, le souverain alignait également les ambitions d'émergence du Maroc avec ceux de développement du Continent.
Moins d'un an après son accession au trône, Mohammed VI faisait un geste symbolique à l'endroit du Continent, avec l'annonce en avril 2000 à l'occasion du premier Sommet Afrique-Europe tenu au Caire, de l'annulation des dettes de nombreux pays africains vis-à-vis du Royaume. Afin d'acter cette priorité accordée au Continent, le souverain a entamé ses premières visites dans les pays africains traditionnellement alliés du Maroc, en Afrique francophone de l'Ouest, mais aussi du centre. Ces visites d'Etat ont permis de poser les jalons de ce qui est qualifié de l'extérieur comme une stratégie d'expansion africaine du Royaume, mais qui se sont relevés in fine comme le préalable à une nouvelle page de l'histoire du «Maroc dans son Afrique».
À l'époque où l'Afrique faisait la Une du journal britannique The Enonomist comme «le continent sans espoir», ce qui résumait l'afro-pessimisme ambiant du moment, le Maroc, sous l'impulsion de Mohammed VI, misait pour et avec l'Afrique. Les visites du souverain durant les dix premières années de son règne ont ainsi permis la signature de divers accords de coopération dans les domaines politiques, économiques et socioculturels à travers l'établissement de nouveaux partenariats gagnant-gagnant qui accordent un accent particulier au développement des relations économiques et des échanges commerciaux.
Afin justement d'ouvrir la voie à des partenariats équilibrés et mutuellement bénéfiques, les visites entreprises par Mohammed VI en Afrique ont permis d'élargir le cadre juridique des relations économiques à travers notamment l'encouragement et la protection réciproques des investissements, la non double imposition ou la lutte contre l'évasion fiscale.
Par la même occasion, le Maroc multiplie la mise en place de commissions mixtes bilatérales afin de dynamiser davantage la coopération dans les secteurs stratégiques et à forte valeur ajoutée, à travers notamment le renforcement des capacités et le transfert des compétences et du savoir-faire. Cette coopération active et à forte teneur économique, dont le souverain marocain s'assurait régulièrement de la mise en œuvre concrète, n'a pas tardé à porter ses fruits avec le début, à partir de 2006, de l'expansion des entreprises marocaines sur le Continent. Banques, télécoms et BTP ont ainsi été les précurseurs d'une stratégie d'expansion qui n'a cessé de s'étoffer au fil des années, particulièrement en Afrique de l'Ouest et centrale. De 3,6 milliards de dirhams en 2000, le volume des échanges commerciaux entre le Maroc et les pays d'Afrique subsaharienne a bondi à 11,6 milliards en 2010, grâce notamment à l'engagement personnel du roi du Maroc.
«J'ai moi-même souhaité donner une impulsion concrète à ces actions, en multipliant les visites dans les différentes sous-régions du Continent», avait d'ailleurs expliqué Mohammed VI dans son discours de 2017 à l'UA, année où le compteur des visites royales en Afrique affichait 46 visites dans 25 pays africains et plus de 1000 accords bilatéraux signés dans les secteurs public et privé. Car entre-temps, et dans le sillage de la seconde vague des réformes politiques engagées par le souverain au Maroc au début de la seconde décennie de son règne, l'action marocaine en Afrique allait également franchir un nouveau pallier avec une présence africaine de plus en plus politiquement affirmée et économiquement influente.
Une politique au cœur des enjeux du Continent
La seconde décennie du règne de Mohammed VI a permis de confirmer l'ancrage du Maroc en Afrique. Les jalons posés sur les dix premières années ont été confortés par la poursuite des tournées régulières qu'effectue le roi en Afrique. Des tournées au cours desquelles le souverain séjourne des jours durant dans les pays visités, assurant un suivi régulier des projets à fort impact social financé par le Maroc, ainsi que les investissements d'entreprises chérifiennes sur le Continent qui ne cessent d'évoluer. Cette montée en puissance de la présence économique du Maroc en Afrique a coïncidé avec les «années glorieuses» du Continent qui, grâce à une conjugaison de facteurs, est de nouveau devenu la principale attraction des puissances occidentales traditionnelles, mais aussi de nouvelles économies émergentes.
Au cœur de la rude concurrence qui s'est installée sur le Continent, l'accès aux immenses ressources naturelles dont regorge le Continent et qui continuaient à constituer sa principale source de croissance. En dépit de l'échec de cette forme de coopération qui n'a pas permis au Continent d'assurer son décollage économique en profitant de ses ressources, afin de répondre à l'amplification des défis notamment sociaux. En la matière, la spécificité de la stratégie marocaine que le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, qualifiait dans un entretien à La Tribune Afrique «d'unique», allait faire toute la différence, car dira le chef de la diplomatie marocaine, «l'offre marocaine de coopération en Afrique est la seule offre de coopération diversifiée qui englobe plusieurs dimensions».
Selon la vision royale, il ne s'agit non pas de voir l'Afrique comme un vaste marché aux potentialités prometteuses, mais parce qu'il est temps que les richesses de l'Afrique profitent à l'Afrique. «Nous devons œuvrer afin que notre terre, après avoir subi des décennies de pillages, entre dans une ère de prospérité», a plaidé Mohammed VI à Addis Abeba.
Aux premiers accords bilatéraux qui ont consisté plus à raffermir la coopération avec les autres pays africains et surtout à mettre en place le cadre juridique pour le partenariat Sud-Sud, l'action diplomatique marocaine a pris une nouvelle envergure durant la seconde décennie du règne de Mohammed VI. D'abord à travers le co-développement prôné par le roi du Maroc et qui a permis au royaume de renforcer ses investissements et la présence de ses entreprises sur le Continent. Ensuite avec une stratégie africaine d'ensemble marquée par l'ouverture du Maroc vers les autres sous-régions du Continent, notamment les pays anglophones comme le Ghana, le Nigéria ou l'Ethiopie, ainsi que les pays d'Afrique de l'Est (le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie) ou d'Afrique australe (l'Angola, Madagascar, l'Afrique du Sud).
Cette nouvelle offensive diplomatique portée par le souverain a été entamée à partir de 2016, la veille de la décision du retour du Maroc au sein de l'UA et s'appuie sur la même stratégie, que pour l'Afrique de l'Ouest et centrale. Avec plus d'intensité, au regard de la présence marocaine sur le Continent. La forte implication des opérateurs marocains et leur importante présence dans le domaine de la banque, des assurances, du transport aérien, des télécommunications et du logement, a fait que le Royaume est devenu depuis quelques années, le premier investisseur africain en Afrique de l'Ouest. Il est déjà aussi le deuxième investisseur du Continent, et selon Mohammed VI, «avec une volonté affichée de devenir le premier».
Le Maroc a renforcé sa coopération économique avec les pays africains et a surtout massivement investi à travers des projets stratégiques d'envergure, notamment dans les infrastructures où le continent accuse un sérieux déficit. A juste titre, les banques marocaines accompagnent les Etats africains dans la mobilisation des financements nécessaires à la réalisation de leurs programmes de développement, ainsi que les stratégies d'émergence pour les plus ambitieux. Les investissements marocains en Afrique n'ont pas seulement enregistré une notable hausse, avec une valeur cumulée de 37 milliards de dirhams entre 2003 et 2007, mais ont aussi connu une diversification tant géographique que sectorielle. Selon les estimations officielles, l'Afrique concentre en moyenne 60% des IDE marocains et ces flux sont adressés principalement aux pays d'Afrique de l'Ouest (55%), suivis de l'Afrique du Nord (25%), de l'Afrique centrale (15%) et de l'Afrique australe (5%).
Une ouverture assumée
Le retour du Maroc au sein l'institution continentale a constitué certes un tournant diplomatique majeur dans la politique extérieure du royaume sous le règne de Mohammed VI. Dans le discours du trône qu'il a prononcé le 20 août 2017 et qui a été presque exclusivement consacré à ce retour au sein de l'UA, le roi du Maroc a affirmé qu'il est «le début d'une nouvelle étape qui sera marquée par un travail conjoint avec tous les pays africains pour donner corps à un véritable partenariat solidaire et œuvrer ensemble à l'essor de notre continent et à la satisfaction des besoins des citoyens africains».
À cette occasion, Mohammed VI a assumé l'orientation africaine qu'il a insufflée à l'action diplomatique marocaine sous son règne, «surtout au regard des obstacles que certains ont tenté de dresser sur notre chemin». Pour Mohammed VI qui s'adressait aux Marocains, «c'est aussi une reconnaissance solennelle de la crédibilité dont le Maroc jouit auprès des frères africains et une preuve éloquente de la place privilégiée qu'ils lui réservent dans leurs cœurs».
Au peuple marocain, le souverain a aussi tenu à assurer qu'en réalité, l'orientation du Maroc vers l'Afrique ne se fera pas au détriment des priorités nationales. «A l'inverse, elle apportera une plus-value à l'économie nationale et contribuera à renforcer les relations de notre pays avec sa profondeur africaine», a expliqué le souverain lors du discours qu'il a prononcé à la veille de son 54e anniversaire, le 21 août 2017.
À l'occasion de la fête du trône, le roi du Maroc est également revenu sur les raisons géostratégiques de ce choix qui «s'est répercuté directement et de façon positive sur la question de notre intégrité territoriale, comme en témoignent les positions des pays à ce sujet et les décisions de l'Union Africaine y afférentes». L'Afrique dans le discours, mais aussi l'Afrique dans les actes. Sous les vingt ans de règne de Mohammed VI, le Continent a été au cœur de la bienveillance royale, mais aussi de la politique gouvernementale qui désormais accorde la même attention aux affaires continentales. Ce qui n'a pas été sans rappeler la contribution du royaume à la lutte pour la libération des peuples africains, mais aussi à l'ébauche du panafricanisme dont le Maroc a été l'un des pionniers.
Le panafricanisme en héritage
Lorsqu'il a officialisé l'intention ferme du Maroc de revenir dans «sa famille africaine», Mohammed VI avait estimé nécessaire de rappeler à ses homologues africains un fait historique qui témoigne du rôle joué par le Royaume dans la réalisation de l'unité et de l'intégration africaine. Avec humilité et émotion et dans un message lu en son nom lors du 26e sommet de l'UA de Kigali au Rwanda en juillet 2016, le roi du Maroc a estimé nécessaire de rappeler qu'il était le petit-fils de Mohammed V, «qui fut l'un des puissants symboles de l'épanouissement de la conscience panafricaine et l'un des artisans les plus engagés, aux côtés des présidents Jamal Abdel Nasser, Ferhat Abbes, Modibo Keita, Sekou Touré, Kwame N'Krumah, lors de la Conférence historique de Casablanca de 1961, qui a été annonciatrice d'une Afrique émancipée et fondatrice de l'intégration africaine». C'est aussi comme il l'a dit à la même occasion, «en tant que fils de Hassan II, qui a réuni, la même année, la Conférence des Mouvements de libération des colonies sous domination portugaise en Afrique, contribué patiemment à la stabilité de plusieurs régions de notre Continent et permis de renforcer les liens d'amitié et de fraternité avec de nombreux pays africains».
Ce rappel historique a remis en lumière l'identité africaine du Maroc, un pays selon Mohammed VI dont «l'identité est le fruit d'un déterminisme géographique, d'une histoire commune traversée d'évènements marquants, d'un brassage humain enrichi de siècle en siècle et de valeurs culturelles et spirituelles ancestrales», mais aussi dont «l'engagement en faveur des justes causes n'est plus à démontrer, car il a toujours été et sera toujours, animé par une foi inébranlable en une Afrique forte de ses richesses et potentialités économiques, fière de son patrimoine culturel et cultuel et confiante en son avenir».
L'engagement du Maroc en faveur de l'Afrique aura donc été est une constante malgré son absence de plus de trois décennies au sein de l'organisation continentale, l'ex-OUA dont les fondements ont été posés à Casablanca, au lendemain des indépendances africaines. «Africain est le Maroc. Africain, il le demeurera. Et nous tous Marocains restons au service de l'Afrique... Nous serons à l'avant- garde pour préserver la dignité du citoyen africain et le respect de notre Continent», avait adressé le défunt Hassan II à ses pairs du Continent dans le message royal lu au XXe Sommet de l'OUA et qui annonçait le retrait du Maroc, le 12 novembre 1984.
Plus de trois décennies plus tard, Mohammed VI a estimé que la promesse est tenue, car «jamais l'Afrique n'a été autant au cœur de la politique étrangère et de l'action internationale du Maroc». La preuve dira Mohammed VI, «le royaume a développé un modèle unique, authentique et tangible de coopération Sud-Sud, qui a permis, non seulement, de consolider les domaines traditionnels de la formation et de l'assistance technique, mais également d'investir de nouveaux secteurs stratégiques comme la sécurité alimentaire et le développement des infrastructures». Selon le roi du Maroc, «ce processus n'est pas prêt de s'arrêter. Il est, hélas pour certains, irréversible».
Quelques mois plus tard, en janvier 2017, le Maroc faisait son grand retour «par la grande porte» dans l'agora continentale, inaugurant ainsi un nouveau chapitre de l'ancrage africain du Maroc et confirmant l'action constante des rois du Maroc pour la promotion du panafricanisme. Un flambeau dont Mohammed VI a hérité et qu'il continue d'entretenir avec un engagement personnel et un leadership visionnaire qui conforte le Maroc dans son Afrique.