Plus de 5000 emplois directs sont ainsi menacés, si l’Etat du Sénégal ne prend pas de mesures idoines pour mettre fin aux pertes sèches qu’enregistrent depuis plus de deux ans ces industries.
Alors qu’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur la déroute des Industries Chimiques du Sénégal (ICS), d’autres fleurons de notre économie agonisent et risquent même de mettre la clé sous le paillasson.
Une note d’information du 22 juillet dernier envoyant «tout le personnel» de Dangote Cement Sénégal en «congés collectifs» symbolise bien un tel désarroi. Elle informe que «compte tenu des difficultés actuelles que traverse l’entreprise, un arrêt total de l’usine est attendu d’ici la fin de ce mois de juillet 2022». Et pour «éviter la mise au chômage de l’ensemble du personnel, une décision qui pourrait avoir un impact regrettable sur l’aspect social, la Direction générale a proposé la mise en congés collectifs payés de l’ensemble du personnel durant tout le mois d’août 2022».
L’Etat au banc des accusés
Alors qu’il nous était impossible de trouver un interlocuteur au niveau des Directions générales des trois cimenteries (Sococim, Dangote, Cimenterie du Sahel), des travailleurs sous couvert de l’anonymat, craignant de se retrouver sur le carreau, ont accepté de nous parler. Selon eux, la responsabilité incombe à l’Etat du Sénégal qui a «bloqué les prix du ciment alors que les prix des matières premières (charbon, clinker, emballage, gypse, pièces de rechanges) ont flambé de plus de 200 % dans certains cas. Ce qui fait que tout le monde vend à perte». Ce qui leur fait dire que «l’Etat a mis les cimenteries en faillite».
5000 emplois menacés et un trou de 75 milliards dans les recettes de l’Etat.
L’importance du secteur de la cimenterie n’est plus à démontrer. Rien qu’au niveau de la sous-traitance, c’est plusieurs emplois qui sont menacés. Selon les travailleurs, les trois cimenteries emploient plus de 5000 personnes (emplois directs et indirects). Mieux, au niveau du rapport de l’ITIE, ces industries rapportent au Trésor public des milliards de F CFA. Sur le dernier rapport par exemple que nous avons visité, sur les 110 milliards collectés, les 75 milliards proviennent des trois cimenteries sénégalaises. Ce qui pousse nos interlocuteurs à dire, «qu’on
est en train de saper la base de l’industrie sénégalaise». «Nous avons comme l’impression que l’Etat est en train d’étouffer les industries et les pousser vers la faillite. Nous sommes tous en danger !», s’exclament-ils.
Comme solutions de sortie de crise, ils n’y voient qu’une seule alternative. «Ou l’Etat réajuste les prix ou les cimenteries nous licencient», soutiennent-ils, visiblement désemparés.
La Covid-19 et la crise ukrainienne
La Covid-19 et la crise ukrainienne ne seraient pas étrangères à la situation que traversent les cimenteries sénégalaises. Selon certaines sources, elles ont fait exploser les matières premières. Ce qui explique d’ailleurs la flambée du prix de ciment dans la sous-région notamment au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Mais au Sénégal, l’Etat a décidé de maintenir les prix et de faire supporter le coût aux cimenteries. «Le gros problème, c’est qu’on sort de la Covid-19 avec son impact, l’augmentation du fret sur le plan mondial et que les cimenteries utilisent pour leur énergie du charbon et d’autres types de fuel qui n’existent pas au Sénégal.
Donc, il y a eu l’impact de la Covid-19 pendant ces deux dernières années et les cimenteries ont passé avec beaucoup de difficultés. Ensuite, ça a commencé à devenir beaucoup plus grave à partir du début de cette année. Les cimenteries ont commencé à alerter l’autorité depuis fin 2021 sur ce qui se passe. Après cette année, ça s’est exacerbé avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine d’autant plus que l’énergie qui est utilisée, le charbon, par les cimenteries en grande partie, venait de Russie. Donc, il y a une forte tension sur le marché. Ce qui fait qu’entre ces deux années, le coût par tonne du charbon a été multiplié par six et c’est ce qui n’a pas été répercuté sur le prix du ciment. D’une manière générale, c’est ça le problème», confie un cadre d’une cimenterie sénégalaise.
Et d’ajouter, «les sacs aussi ont augmenté et on sait qu’au Sénégal, il y a une seule société qui fabrique des sacs. Les gens sont obligés d’importer. Nous avons deux augmentations : le coût du fret et celui du clinker qui est utilisé comme matière première pour faire le sac. Pendant ce temps, il n’y avait pas eu la possibilité d’ajuster les prix du ciment parce que tout simplement il est homologué depuis le mois de février 2022. Ce qui fait que les performances de toutes les cimenteries se sont complètement détériorées».
Un produit semi-fini plus cher que la tonne de ciment
Un autre paradoxe que relève notre interlocuteur, c’est le prix du clinker. «Actuellement, sur le plan international, le prix du clinker est même plus cher que le prix de vente du ciment au Sénégal. Il est à peu près à 85 euros. Quand il arrive au Port de Dakar, c’est à peu près 55 000 F. Si vous calculez les autres frais, de dédouanement, transport et tout, il tourne autour de 25 ou 26 dollars. Ça fait 71 000 F, le produit semi-fini alors que le prix du ciment au Sénégal tourne autour de 65 000. Donc, le produit semi fini est même plus cher que le prix du ciment au Sénégal. Sans compter la transformation pour en faire du ciment. Mais, c’est surtout les coûts de l’énergie qui ont carrément explosé. Ce qui fait à ce rythme-là , les cimenteries se retrouvent avec des pertes sèches».
«Beaucoup de cimenteries ont fermé leurs portes depuis plusieurs mois à cause des tensions sur le marché», se désole-t-il. Autre paradoxe, souligne notre interlocuteur, c’est que L’Etat du Sénégal n’a accordé aucune subvention aux cimenteries. «Depuis la crise de la Covid-19 jusqu’à aujourd’hui, on a bénéficié d’aucune subvention de la part de l’Etat pour pouvoir surmonter nos difficultés», martèle-t-il.
Les spéculations gagnent du terrain
Face à cette situation où l’Etat semble privilégier le pouvoir d’achat des citoyens au lieu de trouver un juste équilibre et sauver les industries, les revendeurs eux, font monter les enchères. La tonne de ciment flambe notamment dans les quincailleries. Certainement à cause du trou qui causerait l’arrêt à Dangote quand on sait que cette cimenterie déverserait sur le marché entre 6000 à 7000 tonnes par jour. Un gap qui doit désormais être comblé par Sococim et la Cimenterie du Sahel. Mais jusqu’à quand, ces deux autres industries pourront tenir ?
Pour l’heure, du côté de l’Etat, on adopte la politique de l’autruche. Toutes nos tentatives de rentrer en contact avec le département du Commerce sont restées vaines. Quant à celui des Mines, on nous signale qu’il est plus dans la délivrance de l’exploitation que dans la commercialisation.
Sud Quotidien
Alors qu’on n’a pas encore fini d’épiloguer sur la déroute des Industries Chimiques du Sénégal (ICS), d’autres fleurons de notre économie agonisent et risquent même de mettre la clé sous le paillasson.
Une note d’information du 22 juillet dernier envoyant «tout le personnel» de Dangote Cement Sénégal en «congés collectifs» symbolise bien un tel désarroi. Elle informe que «compte tenu des difficultés actuelles que traverse l’entreprise, un arrêt total de l’usine est attendu d’ici la fin de ce mois de juillet 2022». Et pour «éviter la mise au chômage de l’ensemble du personnel, une décision qui pourrait avoir un impact regrettable sur l’aspect social, la Direction générale a proposé la mise en congés collectifs payés de l’ensemble du personnel durant tout le mois d’août 2022».
L’Etat au banc des accusés
Alors qu’il nous était impossible de trouver un interlocuteur au niveau des Directions générales des trois cimenteries (Sococim, Dangote, Cimenterie du Sahel), des travailleurs sous couvert de l’anonymat, craignant de se retrouver sur le carreau, ont accepté de nous parler. Selon eux, la responsabilité incombe à l’Etat du Sénégal qui a «bloqué les prix du ciment alors que les prix des matières premières (charbon, clinker, emballage, gypse, pièces de rechanges) ont flambé de plus de 200 % dans certains cas. Ce qui fait que tout le monde vend à perte». Ce qui leur fait dire que «l’Etat a mis les cimenteries en faillite».
5000 emplois menacés et un trou de 75 milliards dans les recettes de l’Etat.
L’importance du secteur de la cimenterie n’est plus à démontrer. Rien qu’au niveau de la sous-traitance, c’est plusieurs emplois qui sont menacés. Selon les travailleurs, les trois cimenteries emploient plus de 5000 personnes (emplois directs et indirects). Mieux, au niveau du rapport de l’ITIE, ces industries rapportent au Trésor public des milliards de F CFA. Sur le dernier rapport par exemple que nous avons visité, sur les 110 milliards collectés, les 75 milliards proviennent des trois cimenteries sénégalaises. Ce qui pousse nos interlocuteurs à dire, «qu’on
est en train de saper la base de l’industrie sénégalaise». «Nous avons comme l’impression que l’Etat est en train d’étouffer les industries et les pousser vers la faillite. Nous sommes tous en danger !», s’exclament-ils.
Comme solutions de sortie de crise, ils n’y voient qu’une seule alternative. «Ou l’Etat réajuste les prix ou les cimenteries nous licencient», soutiennent-ils, visiblement désemparés.
La Covid-19 et la crise ukrainienne
La Covid-19 et la crise ukrainienne ne seraient pas étrangères à la situation que traversent les cimenteries sénégalaises. Selon certaines sources, elles ont fait exploser les matières premières. Ce qui explique d’ailleurs la flambée du prix de ciment dans la sous-région notamment au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Mais au Sénégal, l’Etat a décidé de maintenir les prix et de faire supporter le coût aux cimenteries. «Le gros problème, c’est qu’on sort de la Covid-19 avec son impact, l’augmentation du fret sur le plan mondial et que les cimenteries utilisent pour leur énergie du charbon et d’autres types de fuel qui n’existent pas au Sénégal.
Donc, il y a eu l’impact de la Covid-19 pendant ces deux dernières années et les cimenteries ont passé avec beaucoup de difficultés. Ensuite, ça a commencé à devenir beaucoup plus grave à partir du début de cette année. Les cimenteries ont commencé à alerter l’autorité depuis fin 2021 sur ce qui se passe. Après cette année, ça s’est exacerbé avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine d’autant plus que l’énergie qui est utilisée, le charbon, par les cimenteries en grande partie, venait de Russie. Donc, il y a une forte tension sur le marché. Ce qui fait qu’entre ces deux années, le coût par tonne du charbon a été multiplié par six et c’est ce qui n’a pas été répercuté sur le prix du ciment. D’une manière générale, c’est ça le problème», confie un cadre d’une cimenterie sénégalaise.
Et d’ajouter, «les sacs aussi ont augmenté et on sait qu’au Sénégal, il y a une seule société qui fabrique des sacs. Les gens sont obligés d’importer. Nous avons deux augmentations : le coût du fret et celui du clinker qui est utilisé comme matière première pour faire le sac. Pendant ce temps, il n’y avait pas eu la possibilité d’ajuster les prix du ciment parce que tout simplement il est homologué depuis le mois de février 2022. Ce qui fait que les performances de toutes les cimenteries se sont complètement détériorées».
Un produit semi-fini plus cher que la tonne de ciment
Un autre paradoxe que relève notre interlocuteur, c’est le prix du clinker. «Actuellement, sur le plan international, le prix du clinker est même plus cher que le prix de vente du ciment au Sénégal. Il est à peu près à 85 euros. Quand il arrive au Port de Dakar, c’est à peu près 55 000 F. Si vous calculez les autres frais, de dédouanement, transport et tout, il tourne autour de 25 ou 26 dollars. Ça fait 71 000 F, le produit semi-fini alors que le prix du ciment au Sénégal tourne autour de 65 000. Donc, le produit semi fini est même plus cher que le prix du ciment au Sénégal. Sans compter la transformation pour en faire du ciment. Mais, c’est surtout les coûts de l’énergie qui ont carrément explosé. Ce qui fait à ce rythme-là , les cimenteries se retrouvent avec des pertes sèches».
«Beaucoup de cimenteries ont fermé leurs portes depuis plusieurs mois à cause des tensions sur le marché», se désole-t-il. Autre paradoxe, souligne notre interlocuteur, c’est que L’Etat du Sénégal n’a accordé aucune subvention aux cimenteries. «Depuis la crise de la Covid-19 jusqu’à aujourd’hui, on a bénéficié d’aucune subvention de la part de l’Etat pour pouvoir surmonter nos difficultés», martèle-t-il.
Les spéculations gagnent du terrain
Face à cette situation où l’Etat semble privilégier le pouvoir d’achat des citoyens au lieu de trouver un juste équilibre et sauver les industries, les revendeurs eux, font monter les enchères. La tonne de ciment flambe notamment dans les quincailleries. Certainement à cause du trou qui causerait l’arrêt à Dangote quand on sait que cette cimenterie déverserait sur le marché entre 6000 à 7000 tonnes par jour. Un gap qui doit désormais être comblé par Sococim et la Cimenterie du Sahel. Mais jusqu’à quand, ces deux autres industries pourront tenir ?
Pour l’heure, du côté de l’Etat, on adopte la politique de l’autruche. Toutes nos tentatives de rentrer en contact avec le département du Commerce sont restées vaines. Quant à celui des Mines, on nous signale qu’il est plus dans la délivrance de l’exploitation que dans la commercialisation.
Sud Quotidien