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Il faut saisir les actifs russes gelés par les pays occidentaux


Rédigé le Lundi 22 Janvier 2024 à 13:51 | Lu 121 fois | 0 commentaire(s)




Il faut saisir les actifs russes gelés par les pays occidentaux
Alors que la guerre que mène la Russie contre l'Ukraine engendre le chaos tant au niveau régional qu'international, le peuple ukrainien et ses alliés font preuve d'une détermination et d'un courage remarquables. Mais presque 2 ans après le début de l'attaque russe, il est de plus en plus clair que la communauté internationale peut et doit faire plus pour soutenir l'Ukraine.
Il faut saisir les actifs russes gelés par les pays occidentaux
Les pays du G7 et d'autres ont fait preuve d'une générosité extraordinaire pour soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine, pourtant certains signes traduisent ici et là une lassitude croissante - une évolution que la Russie paraît avoir anticipé. Les USA   et l'UE   ne s'étant pas engagés au-delà de 100 milliards de dollars d'aide à l'Ukraine, on reparle de la saisie des actifs russes gelés par les pays occidentaux comme solution possible.

Cela doperait le moral des Ukrainiens et augmenterait les fonds à leur disposition. Néanmoins des 2 cotés de l'Atlantique, les dirigeants politiques sont circonspects. Ainsi que l'a écrit récemment le New York Times  les responsables américains ne veulent pas créer un précédent qui dissuaderait les pays étrangers de déposer des fonds à la Réserve fédérale de New-York ou de détenir des dollars.

Mais l'idée que d'autres pays ne conserveraient pas leurs fonds aux USA par crainte de futures saisies ne tient pas compte de quelques points essentiels. La saisie des avoirs gelés russes n'affecterait pas les avoirs d'autres pays et ne modifierait pas la situation des pays qui n'envisagent pas de déclancher une guerre. Par ailleurs, s'ils ne saisissaient pas ces fonds, les pays occidentaux lanceraient un signal aux pays qui déclancheraient une guerre d'agression: ils peuvent violer le droit international et en tirer profit pour échapper aux conséquences de leurs actes. Les dirigeants du G7 devraient plutôt envoyer un message clair: aucun pays ne peut violer le droit international et en tirer profit. En dissuadant d'autres mauvais acteurs de suivre cette voie, ces saisies pourraient servir de mesure de consolidation de la paix.

S'il était réel, l'effet repoussoir supposé de la saisie des actifs russes sur la volonté des autres pays de déposer des fonds aux USA et en Europe, serait devenu évident début 2022, lors du gel de ces actifs. Les capitaux n'ont fui ni les USA, ni l'Europe. Cela tient en partie au manque d'alternatives crédibles au système financier en place. Si un pays hésite à conserver des actifs aux USA en Europe ou au Japon, où pourrait-il les placer? Même en faisant abstraction de risques tels qu'un contrôle des capitaux, jugerait-il plus sûr de placer ses actifs en Chine par exemple?

En outre, si des Etats "voyous" potentiels décidaient de transférer leurs dépôts aux USA vers des institutions européennes et japonaises, l'impact financier serait négligeable. De nombreux économistes affirment que l'arrivée de ces capitaux en Europe ou au Japon serait un inconvénient plutôt qu'un avantage. Conduisant à une appréciation de la monnaie, elle réduirait les exportations, ce qui détruirait des emplois.

Certes, certaines institutions financières pourraient subir des pertes. Mais la plupart des fonds détenus aux USA consistent en réserves déposées à la Fed, elles ne profitent pas directement à Wall Street. Il en va de même pour Euroclear, l'institution financière belge où sont détenus la plupart des actifs russes.

Autre argument contre la saisie des actifs: elle ne peut être effectuée qu'une seule fois. Par la suite aucun pays ne laisserait ses réserves ou d'autres actifs aux USA ou dans l'UE. Même s'il est vrai, cet argument n'est pas convaincant, car un outil qui ne peut pas être utilisé est sans valeur - or il n'y a jamais eu de moment plus approprié que maintenant pour l'utiliser.

En fin de compte, la Russie doit être tenue pour responsable. Si elle ne peut pas dédommager entièrement l'Ukraine, elle doit au moins payer pour les dégâts physiques et payer le coût de la reconstruction. Lorsqu'un individu commet un acte dommageable, il est tenu de verser une réparation à la victime. Souvent, les biens du coupable sont saisis pour veiller à ce qu'il remplisse cette obligation. Le même principe s'applique au niveau d'un pays. La saisie d'actifs est souvent une opération complexe, mais dans le cas de la Russie ce serait plus simple, car ses avoirs ont déjà été gelés.

Les experts juridiques pourraient estimer préférable d'offrir des prêts à Kiev et d'utiliser les actifs gelés comme garantie, car cela obligerait la Russie à choisir entre indemniser directement l'Ukraine et voir ses actifs saisis. Mais il vaut mieux laisser ces détails techniques aux juristes. L'Ukraine a besoin dès maintenant de cet argent qui est sous le contrôle des pays occidentaux. Il est inconcevable de ne pas l'utiliser pour aider l'Ukraine à gagner la guerre et à se reconstruire. Il est déraisonnable d'attendre des contribuables et des donateurs d'Europe, des USA et d'Asie qu'ils payent tout le prix de la reconstruction de l'Ukraine alors que la Russie elle-même pourrait y contribuer pour une grande part - même contre sa volonté.

Mais l'utilisation des fonds saisis n'est pas une question primordiale. Alors que 90% de l'aide militaire américaine allouée à l'Ukraine est dépensée aux USA, les actifs russes saisis pourraient servir à aider les forces ukrainiennes sur le terrain et à financer l'énorme effort de reconstruction qui va être nécessaire.

Il va sans dire que la saisie des actifs russes gelés ne dispenserait pas l'Occident de fournir une aide militaire à l'Ukraine; sans victoire pas de reconstruction possible. Néanmoins, le coût de cette reconstruction, jusqu'à 1000 milliards de dollars   - plus de 3 fois le montant des actifs gelés - pourrait apaiser ceux qui sont encore réticents à les consacrer à l'effort de reconstruction.
Il est vrai qu'aucune somme d'argent ne pourra compenser les dégâts colossaux infligés à l'Ukraine par l'agression russe. Néanmoins les actifs russes gelés peuvent être considérés comme une avance sur la réparation que le Kremlin sera finalement contraint de verser.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Prix Nobel d'économie et titulaire du Prix Sidney de la paix 2018, Joseph Stiglitz est professeur à l'université de Columbia.
Andrew Kosenko est professeur adjoint d'économie de l'école de gestion du Marist College.
© Project Syndicate 1995–2024


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