Avec le départ de Yahya Jammeh sous la menace des sirènes militaires et des bruits de bottes des soldats de la Cedeao, c'est une page de l'histoire politique gambienne qui se tourne. Avec son exil en Guinée Equatoriale, c'est une crise post-électorale digne d'une intrigue d'Hitchcock qui s'achève pour l'écriture d'une nouvelle page d'Histoire.
Installé dans ses habits de nouveau Président de la Gambie depuis sa prestation de serment critiquée dans l'enceinte de l'ambassade de Gambie à Dakar, Adama Barrow sera le scribe de ce nouveau chapitre politique. Les défis sont grands et ses premiers pas en tant que Président seront passés à la loupe. Toujours en exil à Dakar où il attend les résultats du ratissage de Banjul et ses alentours par les 7000 hommes de la Cedeao, le nouveau président devra se départir très vite du titre de « tombeur de Jammeh » pour relever ses défis. En un mot : au travail !
1- Urgence sociale !
Lorsque Yahya Jammeh monte à bord du jet privé suivi d'un autre avion dans lequel est embarquée sa famille en direction de Conakry puis de Malabo, les Gambiens exultent de liberté. Les conseillers d'Adama Barrow de renchérir sur RFI, « il fallait mieux qu'il [Yahya Jammeh] soit le plus éloigné géographiquement possible de Banjul ». Mais l'euphorie pourrait bien s'estomper et la réalité prendre le dessus sur les célébrations.
Le premier défi d'Adama Barrow est économique. A 51 ans, l'homme d'affaires va rentrer d'exil dans un des plus pauvres pays d'Afrique, tiré par son agriculture non diversifiée et les recettes touristiques. En effet, la Gambie qui s'est longtemps refusée à recevoir une aide extérieure, voit 60% de sa population vivre en dessous du seuil de pauvreté et son taux d'analphabétisme friser les 50%. Une urgence sociale pour laquelle Adama Barrow compte mettre sur pied l'Agence pour un développement socio-économique durable, un comité d'experts destiné à passer au crible l'économie gambienne et proposer une feuille de route triennale (2017-2020) pour restructurer et diversifier l'économie.
Il faudra y ajouter que les caisses de l'Etat supposées vides dans le sillage du départ de Jammeh, n'arrangent en rien les premiers pas de la présidence de Barrow. Ce dernier devra s'atteler à faire tourner de nouveau, un pays pauvre, plombé par un long épisode de crise post-électorale.
2- La formation d'un gouvernement
C'est un flou juridique qui entoure la gestion de la Gambie post-Jammeh. Adama Barrow règne désormais sur la Gambie depuis un hôtel quatre étoiles de Dakar. Dans l'attente de son retour à Banjul, on ne sait pas trop comment les affaires courantes sont gérées. Aux dernières heures des négociations pour son départ en exil, Yahya Jammeh avait dissout son gouvernement.
De l'autre côté, Adama Barrow n'avait toujours pas formé d'équipe gouvernementale. Dans une interview exclusive accordée à la Télévision Futurs Médias (TFM), une chaîne de télévision privée sénégalaise, Adama Barrow indique avoir déjà les noms qui composeront son futur cabinet. Ces noms seront dévoilés une fois son retour en Gambie acté. Petit indice : le poste de vice-président reviendra à une femme !
En tout cas, le temps presse. Le nouveau Président ne peut laisser indéfiniment un pays sans gouvernement désigné. Mais son retour pourrait être retardé en attendant la sécurisation d'une résidence pour loger le Président avant qu'il rejoigne le « State House », le palais présidentiel. Toujours est-il qu'une question reste en suspens sur la formation du premier gouvernement Barrow : va-t-il associer des ex-membres du cabinet Jammeh, détenteurs de secrets et des rouages de l'Etat ?
La question pourrait empoisonner les relations au sein de la coalition des huit partis d'opposition qui ont rendu possible la victoire d'Adama Barrow, un soir de 1er Décembre. La même problématique pourrait se poser face à un parlement monocaméral, largement acquis à l'APRC, le parti de Jammeh, qui occupe 52 des 53 sièges de députés devant les boycotts successifs de l'opposition aux différents scrutins législatifs.
3- Repositionner la Gambie sur l'échiquier diplomatique
A l'international, ce petit pays d'Afrique de l'Ouest a repris des couleurs depuis l'étonnante crise post-électorale aux allures de télénovela brésilienne qui a tenu en haleine tout un continent et même au-delà . Pourtant, ce pays de 11.000 kilomètres carrés, enclavé à l'intérieur du Sénégal doit revenir dans le jeu diplomatique dont il était absent depuis sa sortie du Commonwealth et le remplacement de l'anglais par l'arabe comme langue officielle en 2014. Et plus récemment, le retrait du pays de la Cour pénale internationale (CPI) sur fond de fronde africaine en 2016. La Gambie devrait désormais s'ouvrir aux institutions régionales comme la Cedeao, boudée par Jammeh depuis que la présidence lui a été retirée pour être confiée à John Dramani Mahama. Le pays devrait également ouvrir ses portes aux institutions internationales comme le FMI, la Banque Mondiale mais aussi les multinationales empêchées d'investir dans le pays par la méfiance de l'homme au boubou blanc.
Sur le plan diplomatique immédiat, le pays d'Adama Barrow devrait également revoir ses relations diplomatiques avec le Sénégal. Une sorte de « redevance » s'est installée depuis que le voisin du nord, qui préside le Conseil de sécurité de l'ONU, a pesé de tout son poids politique et militaire pour le départ de Jammeh. Celui-ci devrait lui permettre d'exhumer le pont transnational qui devrait enjamber le fleuve Gambie et permettre aux automobilistes sénégalais de rallier plus vite la partie sud du pays. A terme, le Sénégal songerait à proposer un rattachement de la Gambie dans une confédération Sénégambienne morte née -entre 1982 et 1989- après des divisions internes. La rançon du zèle sénégalais dans la crise gambienne ?
4- Poursuivre Jammeh ou non? Telle est la question
Autre question qui sera examinée de très près : celle de la justice transitionnelle. Il s'agira de savoir si Adama Barrow déclenchera des poursuites à l'encontre du désormais ex-maître de Banjul, aujourd'hui exilé en Guinée Equatoriale avec famille et biens. Dans son interview à la TFM, Adama Barrow a remis en cause l'« immunité » de Jammeh et annonce la mise en place d'une commission indépendante chargée d'étudier les accusations d'entrave à la liberté de presse et d'expression, de harcèlements de la société civile, de disparitions et d'exils forcés, d'exécutions sommaires d'opposants. Plus encore, Adama Barrow indique que la gestion étatique de son prédécesseur accusé d'avoir vidé les caisses de l'Etat avant son départ, sera aussi passée au crible par une sorte de commission « Justice et Réconciliation ».
Seulement, poursuivre Jammeh devant la CPI ou les tribunaux gambiens est un couteau à double tranchant. Elle pourrait encore plus diviser un pays encore fragile. Le rassemblement national pourrait se heurter aux oppositions entre les pro-Jammeh encore nombreux dans le pays, l'administration et même les secteurs stratégiques du pays et les anti-Jammeh dont il faudra refroidir les envies de revanche. Ne pas poursuivre Jammeh fera passer Barrow comme ayant troqué son pouvoir contre l'impunité de Jammeh qui conserve son statut d'ancien chef d'Etat.
Plus loin, concentrer la gestion Barrow sur l'insistance d'extrader Jammeh devant les tribunaux, ferait perdre à Barrow énormément de temps, d'autant plus qu'un deal au sein de la coalition stipulait qu'il ne devait rester au pouvoir que 3 ans avant de démissionner et d'organiser une nouvelle présidentielle à laquelle il ne sera pas candidat. Résistera-t-il à la tentation du pouvoir ?
Par Ibrahima Bayo Jr.
Installé dans ses habits de nouveau Président de la Gambie depuis sa prestation de serment critiquée dans l'enceinte de l'ambassade de Gambie à Dakar, Adama Barrow sera le scribe de ce nouveau chapitre politique. Les défis sont grands et ses premiers pas en tant que Président seront passés à la loupe. Toujours en exil à Dakar où il attend les résultats du ratissage de Banjul et ses alentours par les 7000 hommes de la Cedeao, le nouveau président devra se départir très vite du titre de « tombeur de Jammeh » pour relever ses défis. En un mot : au travail !
1- Urgence sociale !
Lorsque Yahya Jammeh monte à bord du jet privé suivi d'un autre avion dans lequel est embarquée sa famille en direction de Conakry puis de Malabo, les Gambiens exultent de liberté. Les conseillers d'Adama Barrow de renchérir sur RFI, « il fallait mieux qu'il [Yahya Jammeh] soit le plus éloigné géographiquement possible de Banjul ». Mais l'euphorie pourrait bien s'estomper et la réalité prendre le dessus sur les célébrations.
Le premier défi d'Adama Barrow est économique. A 51 ans, l'homme d'affaires va rentrer d'exil dans un des plus pauvres pays d'Afrique, tiré par son agriculture non diversifiée et les recettes touristiques. En effet, la Gambie qui s'est longtemps refusée à recevoir une aide extérieure, voit 60% de sa population vivre en dessous du seuil de pauvreté et son taux d'analphabétisme friser les 50%. Une urgence sociale pour laquelle Adama Barrow compte mettre sur pied l'Agence pour un développement socio-économique durable, un comité d'experts destiné à passer au crible l'économie gambienne et proposer une feuille de route triennale (2017-2020) pour restructurer et diversifier l'économie.
Il faudra y ajouter que les caisses de l'Etat supposées vides dans le sillage du départ de Jammeh, n'arrangent en rien les premiers pas de la présidence de Barrow. Ce dernier devra s'atteler à faire tourner de nouveau, un pays pauvre, plombé par un long épisode de crise post-électorale.
2- La formation d'un gouvernement
C'est un flou juridique qui entoure la gestion de la Gambie post-Jammeh. Adama Barrow règne désormais sur la Gambie depuis un hôtel quatre étoiles de Dakar. Dans l'attente de son retour à Banjul, on ne sait pas trop comment les affaires courantes sont gérées. Aux dernières heures des négociations pour son départ en exil, Yahya Jammeh avait dissout son gouvernement.
De l'autre côté, Adama Barrow n'avait toujours pas formé d'équipe gouvernementale. Dans une interview exclusive accordée à la Télévision Futurs Médias (TFM), une chaîne de télévision privée sénégalaise, Adama Barrow indique avoir déjà les noms qui composeront son futur cabinet. Ces noms seront dévoilés une fois son retour en Gambie acté. Petit indice : le poste de vice-président reviendra à une femme !
En tout cas, le temps presse. Le nouveau Président ne peut laisser indéfiniment un pays sans gouvernement désigné. Mais son retour pourrait être retardé en attendant la sécurisation d'une résidence pour loger le Président avant qu'il rejoigne le « State House », le palais présidentiel. Toujours est-il qu'une question reste en suspens sur la formation du premier gouvernement Barrow : va-t-il associer des ex-membres du cabinet Jammeh, détenteurs de secrets et des rouages de l'Etat ?
La question pourrait empoisonner les relations au sein de la coalition des huit partis d'opposition qui ont rendu possible la victoire d'Adama Barrow, un soir de 1er Décembre. La même problématique pourrait se poser face à un parlement monocaméral, largement acquis à l'APRC, le parti de Jammeh, qui occupe 52 des 53 sièges de députés devant les boycotts successifs de l'opposition aux différents scrutins législatifs.
3- Repositionner la Gambie sur l'échiquier diplomatique
A l'international, ce petit pays d'Afrique de l'Ouest a repris des couleurs depuis l'étonnante crise post-électorale aux allures de télénovela brésilienne qui a tenu en haleine tout un continent et même au-delà . Pourtant, ce pays de 11.000 kilomètres carrés, enclavé à l'intérieur du Sénégal doit revenir dans le jeu diplomatique dont il était absent depuis sa sortie du Commonwealth et le remplacement de l'anglais par l'arabe comme langue officielle en 2014. Et plus récemment, le retrait du pays de la Cour pénale internationale (CPI) sur fond de fronde africaine en 2016. La Gambie devrait désormais s'ouvrir aux institutions régionales comme la Cedeao, boudée par Jammeh depuis que la présidence lui a été retirée pour être confiée à John Dramani Mahama. Le pays devrait également ouvrir ses portes aux institutions internationales comme le FMI, la Banque Mondiale mais aussi les multinationales empêchées d'investir dans le pays par la méfiance de l'homme au boubou blanc.
Sur le plan diplomatique immédiat, le pays d'Adama Barrow devrait également revoir ses relations diplomatiques avec le Sénégal. Une sorte de « redevance » s'est installée depuis que le voisin du nord, qui préside le Conseil de sécurité de l'ONU, a pesé de tout son poids politique et militaire pour le départ de Jammeh. Celui-ci devrait lui permettre d'exhumer le pont transnational qui devrait enjamber le fleuve Gambie et permettre aux automobilistes sénégalais de rallier plus vite la partie sud du pays. A terme, le Sénégal songerait à proposer un rattachement de la Gambie dans une confédération Sénégambienne morte née -entre 1982 et 1989- après des divisions internes. La rançon du zèle sénégalais dans la crise gambienne ?
4- Poursuivre Jammeh ou non? Telle est la question
Autre question qui sera examinée de très près : celle de la justice transitionnelle. Il s'agira de savoir si Adama Barrow déclenchera des poursuites à l'encontre du désormais ex-maître de Banjul, aujourd'hui exilé en Guinée Equatoriale avec famille et biens. Dans son interview à la TFM, Adama Barrow a remis en cause l'« immunité » de Jammeh et annonce la mise en place d'une commission indépendante chargée d'étudier les accusations d'entrave à la liberté de presse et d'expression, de harcèlements de la société civile, de disparitions et d'exils forcés, d'exécutions sommaires d'opposants. Plus encore, Adama Barrow indique que la gestion étatique de son prédécesseur accusé d'avoir vidé les caisses de l'Etat avant son départ, sera aussi passée au crible par une sorte de commission « Justice et Réconciliation ».
Seulement, poursuivre Jammeh devant la CPI ou les tribunaux gambiens est un couteau à double tranchant. Elle pourrait encore plus diviser un pays encore fragile. Le rassemblement national pourrait se heurter aux oppositions entre les pro-Jammeh encore nombreux dans le pays, l'administration et même les secteurs stratégiques du pays et les anti-Jammeh dont il faudra refroidir les envies de revanche. Ne pas poursuivre Jammeh fera passer Barrow comme ayant troqué son pouvoir contre l'impunité de Jammeh qui conserve son statut d'ancien chef d'Etat.
Plus loin, concentrer la gestion Barrow sur l'insistance d'extrader Jammeh devant les tribunaux, ferait perdre à Barrow énormément de temps, d'autant plus qu'un deal au sein de la coalition stipulait qu'il ne devait rester au pouvoir que 3 ans avant de démissionner et d'organiser une nouvelle présidentielle à laquelle il ne sera pas candidat. Résistera-t-il à la tentation du pouvoir ?
Par Ibrahima Bayo Jr.