Enquête: Au cabinet de Juan Branco, «il se présente en défenseur de la veuve et de l’orphelin, mais il m’a exploitée"


Rédigé le Samedi 15 Juillet 2023 à 17:51 | Lu 681 fois | 4 commentaire(s)



Alors qu’une plainte pour «chantage» de l’avocat controversé contre une de ses ex-salariées a été classée sans suite, celle-ci poursuit à son tour son ancien employeur au pénal et aux prud’hommes. Elle l’accuse notamment de maltraitance au travail et de l’avoir surchargée de tâches indues.


Un premier entretien a lieu en visio, puis un second, de visu. Après trois semaines sans nouvelles, elle relance, reçoit enfin une réponse positive.

«Accès de paranoïa»

Elle met un terme à la période d’essai de son CDI, «sans se poser de question», pour devenir l’assistante de direction du cabinet Branco. Dès sa prise de fonction, le 24 avril 2022, «les surprises et déceptions se sont enchaînées».

Les bureaux sont domiciliés dans le grand appartement familial, rue de Rennes (Paris VIe) où la mère de l’avocat, Dolorès, a également hébergé son cabinet de psychanalyse. Clients et patients se croisent indifféremment dans les couloirs.

Dans sa chambre d’enfant, sont installés ses collaborateurs : principalement deux étudiantes de Sciences-Po, recrutées en contrat unique d’insertion. Le dispositif permet en principe, de faciliter l’accès à l’emploi des chômeurs rencontrant des difficultés sociales et professionnelles, grâce à une aide financière de l’Etat pour l’employeur.

Selon Eva Lecomte, Branco pinaille aussi sur le montant des salaires et doit se voir rappeler chaque mois d’effectuer les versements. Par ailleurs, elle n’a pas de tickets resto, de remboursement des transports ni de mutuelle.

L’assistante décrit un Branco tantôt évanescent, tantôt méprisant, qui distribue les tâches et multiplie les apartés égotiques, se rêvant en opposant incontournable du pouvoir politique, quand il ne fait pas la sieste. «En réalité, il semble évoluer dans un monde assez clos, décrit Eva Lecomte. Il est la plupart du temps dans son quartier, et a souvent des accès de paranoïa.» Comme ces matins où il assure que des services de renseignement étrangers se sont introduits par effraction dans le cabinet durant la nuit, pour accéder à son ordinateur.

Le sentiment d’avoir été exploitée

Le manque de professionnalisme de l’avocat parisien s’illustre aussi par son refus de lui fournir un contrat de travail écrit. La jeune femme, sans notion de droit social, obtient tout juste de le rédiger elle-même. Ses missions au sein du cabinet sont officiellement : «Traitement et suivi des dossiers en cours, gestion de la vie administrative au cabinet, soutien à Me Branco dans ses démarches».

Or, dans les faits, les tâches exigées par son patron, excèdent largement ce cadre. Elle doit gérer une bonne partie de la vie comptable et financière du cabinet, notamment en lien avec la banque ou des experts mandatés, traiter des séquences médiatiques avec l’Agence France-Presse, assurer (par deux fois) des rendez-vous clients, alors qu’elle n’est ni avocate ni même juriste. Le tout dépassant largement le volume des 35 heures de travail fixé, sans jamais se voir payer d’heures supplémentaires. «J’étais tellement noyée par les tâches à réaliser et les injonctions que je n’avais jamais de pauses déjeuner. Mes soirées, mes nuits et mes week-ends étaient également régulièrement impactés, sans jamais de reconnaissance ni de remerciements.» «Mais Eva, cela faisait partie du deal en bossant avec lui, que d’être dévouée», lui rétorque plus tard, une des étudiantes du cabinet, quand Lecomte lui fait part de son sentiment d’avoir été exploitée

Ce rythme infernal fait ressurgir une anxiété diagnostiquée par le passé. Les crises d’angoisse se succèdent, s’enchaînent de plus en plus fréquemment, au point de handicaper ses journées et de nuire à son travail. Quand elle annonce s’en tenir désormais à ses heures rémunérées, «Juan m’a demandé de partir», explique Eva Lecomte. La jeune femme quitte la structure dans l’été, après seulement trois mois d’activité, qu’elle décrit aujourd’hui comme «un calvaire» dont elle ne voit plus le bout. Branco lui impose d’abord de rédiger les termes de sa propre rupture conventionnelle, puis rejette successivement toutes les versions qu’elle lui propose. «Un processus particulièrement humiliant, confie-t-elle, dépitée, lors d’une rencontre avec "Libération". Il se présente en défenseur de la veuve et de l’orphelin, mais derrière, il exploite ses employés. Il n’a aucune limite.»

De longues semaines à réclamer des fiches de paie

Ecœurée, elle finit par démissionner fin août, pour pouvoir légalement passer à autre chose. S’ensuivent de longues semaines à réclamer ses documents de fin de contrat : attestation de travail et fiches de paie nécessaires pour régulariser sa situation. Aux nombreuses relances pour toucher plus de 600 euros de solde de tout compte, il répond qu’il paiera à la réception des honoraires d’un prochain contrat. En besoin de cet argent malgré un nouvel emploi, elle double les mails de réclamations par des SMS, jusqu’à l’envoi d’une lettre recommandée, le 28 septembre. «Vous m’avez demandé de quitter mes fonctions suite à mes problèmes personnels, j’ai exécuté sans broncher alors que je n’étais plus en période d’essai – j’ai tout fait pour être la plus arrangeante pour vous», lui rappelle la jeune femme.

Echaudée par son expérience, et «particulièrement démunie», Eva Lecomte contacte plusieurs de nos confrères puis échange avec le cofondateur du média Blast, Denis Robert – dont le propre management a depuis été mis en cause dans une enquête d’"Arrêt sur images". Touché par son récit, ce dernier lui conseille de s’accompagner d’Elise Van Beneden, avocate en droit du travail, seconde cofondatrice de Blast et présidente d’Anticor.

En raison du conflit d’intérêts qui affleure, la décision est prise de ne pas médiatiser l’affaire. Informée sur ses droits mais prise de culpabilité, Eva Lecomte demande à voir Juan Branco dans l’espoir d’une ultime rencontre professionnelle apaisée. «Je voulais simplement obtenir des excuses», assure-t-elle, presque honteuse de sa naïveté. Le 7 octobre, le paiement du solde de tout compte fait, l’avocat somme L., une autre de ses assistantes, de la joindre pour lui dire de ne plus contacter le cabinet.

Lecomte mentionne ses rendez-vous avec les journalistes mais manifeste encore «sa loyauté» à son ancien employeur. L’appel est enregistré à son insu par Branco, qui s’en sert pour porter plainte le jour même pour «chantage». Dans sa déposition, il dépeint une ancienne salariée «qui avait accès aux archives, aux dossiers, aux messageries du cabinet» et chercherait désormais «à faire pression», en menaçant de «divulguer des informations» à la presse.

«Une expérience professionnelle extrêmement négative»

«Je n’ai jamais eu accès au fond des affaires du cabinet, hallucine Eva Lecomte auprès de nous, comme lors de son audition par la police. Tout comme aujourd’hui, mon témoignage porte sur ses manquements en tant qu’employeur.» Selon nos informations, cette procédure pour «chantage» a été classée sans suite le 9 janvier, pour «absence d’infraction».

Eva Lecomte a par ailleurs décidé de porter son cas devant le conseil de prud’hommes de Paris, pour obtenir la requalification de sa démission en licenciement abusif, le paiement d’heures supplémentaires ainsi que la reconnaissance et une indemnisation du préjudice subi. «La plainte pour “chantage” déposée contre elle par son ancien employeur, immédiatement classée sans suite, est un exemple d’un relationnel défaillant. Le rythme de travail et le non-paiement de ses heures supplémentaires ajoutés à une ambiance qu’elle jugeait délétère, ont porté atteinte à son état de santé», affirme Elise Van Beneden.

Nous avons pu voir l’attestation de la psychologue d’Eva Lecomte, «consultée suite à une expérience professionnelle extrêmement négative», des mots même de la thérapeute, dans les dossiers judiciaires qui l’opposent à Juan Branco. «Il appartient au conseil de prud’hommes de dire si M. Branco a commis des fautes en qualité d’employeur», complète Me Van Beneden. L’audience de jugement est fixée au 9 octobre.

Profitant de la lutte interne qui se joue concomitamment autour de l’agrément d’Anticor, Branco va subitement diffuser en juin une lettre incendiaire sur son site – Aurores, sa vitrine promotionnelle sur le Web – visant Elise Van Beneden et instrumentalisant au passage le conflit avec Eva Lecomte. Une méthode caractéristique des coups d’éclat de l’avocat : attaquer le premier sur les réseaux sociaux, pour mieux s’arroger la primeur du récit et se poser en victime expiatoire d’ennemis fantasmés – son obsession pour «l’oligarchie médiatique». C’est ainsi qu’Eva Lecomte se voit publiquement accusée «de menaces et de tentatives d’extorsion».

Soit une parfaite réécriture judiciaire de la procédure classée pour «chantage». Au passage, son identité complète est diffusée en ligne, ce qui la livre en pâture aux «fans» de l’avocat.

.Excès de dénigrement

Lorsque Juan Branco emploie le terme «extorsion» dans le courrier diffusé, «il présente sciemment les choses de façon fallacieuse, souligne Caroline Chenal Trapes, l’avocate d’Eva Lecomte investie, elle, du volet pénal. Ma cliente a subi une séquence professionnelle très éprouvante, au sortir de laquelle elle se voit attaquer en justice pour des faits qu’elle n’a jamais commis». «Dans cette affaire, reprend Eva Lecomte, qui cède à quelques larmes, c’est moi la victime. Il est extrêmement manipulateur et prêt à tout pour préserver son image, qui n’est qu’une illusion. Je sors de ces épisodes blessée et abîmée, avec le sentiment d’une maltraitance totalement disproportionnée.»

Dans un mail comminatoire adressé à "Libération", Branco nie les faits et s’étonne de voir du crédit accordé au récit d’Eva Lecomte, «i[restée moins de deux mois [en réalité quatre, ndlr] au sein de la structure d’exercice professionnel]i». L’avocat souligne par ailleurs que les stagiaires exerçant au cabinet sur la même période, «i[ont attesté par écrit et sous serment […] de la normalité de leur condition d’exercice]i», ce qui nous a été confirmé par une concernée, qui ne souhaitait pas commenter davantage.

Pour Me Chenal Trapes, la lettre publique visant sa cliente marque néanmoins un excès de dénigrement : «Cette hostilité, pour ne pas dire cet acharnement à son encontre, fait déjà l’objet d’une plainte pour “harcèlement moral, discrimination” que nous avons déposée le 27 juin. Nous nous réservons par ailleurs le droit d’informer à nouveau le parquet sur d’autres infractions, de toute évidence caractérisées.»

Branco devra enfin s’expliquer prochainement devant la Commission harcèlement et discrimination du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris (Comhadis). Initialement prévu mardi 11 juillet, le débat contradictoire a été repoussé à une date ultérieure, le temps que d’autres différends ordinaux soient tranchés entre Anticor et Juan Branco. Concernant Eva Lecomte, la Comhadis rendra un avis sur la réalité du harcèlement subi, voire, si le cas le nécessite, pourra décider d’un renvoi en vue de poursuites disciplinaires.

Branco cerné par les procédures

Des photos de la plaignante dénudée, un surnom dégradant – «Tchoincita», «petite pute» dans une sorte d’argot hispanisant et une publication de certaines pièces issues de l’instruction en cours, c’est peu dire que début juin, dans un énième thread sur Twitter dont il a le secret, Juan Branco a suscité un grand sentiment de malaise.

Le procédé se voulait efficace, afin d’assurer publiquement sa défense dans un dossier sensible. L’avocat a été mis en examen pour «viol» en novembre 2021, à la suite d’une main courante déposée quelques mois plus tôt par Nissia Benghazi, une jeune femme affirmant avoir pris de la la maline, un antalgique à effet antidouleur, en compagnie de Branco avant d’avoir une relation sexuelle. Depuis l’émergence de l’affaire, Juan Branco nie toute contrainte et raille avec virulence le travail de la justice. «Une posture honteuse et indigne», a réagi Me Nicolas Paganelli, conseil de la jeune femme, qui demande aux différents magistrats, de «réagir fermement à ces publications».

Son comportement problématique sur le réseau social fait aujourd’hui, l’objet de deux procédures. Selon nos informations, Juan Branco est visé par une enquête disciplinaire du conseil de l’ordre du barreau de Paris, pour des manquements aux règles déontologiques de la profession d’avocat, suite à sa diatribe sur Benghazi .

Présumé innocent, il n’a pas répondu aux questions posées par "Libération" sur cette affaire. Ce mercredi, Europe 1 a par ailleurs révélé une plainte du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères visant l’avocat, déposée auprès du procureur de la République, suite à plusieurs de ses tweets révélant les données personnelles de fonctionnaires français au Sénégal, les mettant ainsi en danger dans une séquence de violentes manifestations dans le pays.







Libération



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