Depuis une quinzaine de jours, des opérations de ramassage des « enfants de la rue » se déroulent à Dakar suite à une décision du chef de l’Etat. Mais, comment et pourquoi cette décision a été prise ? Nous ne pouvons pas répondre à cette question, ni faire un jugement de valeur de la décision. Nous constatons néanmoins que les appréciations et réactions n’ont pas manquées. Certaines approuvent, d’autres pas. On note même des appréciations teintées de menaces. Par exemple, nous avons entendus dans une radio de la place un responsable d’une association de maîtres coraniques dire : « c’est par les prières que nos anciens ont entrainé la disgrâce de certaines autorités administratives. Nous disposons encore de ce pouvoir et appelons à la lecture du coran le vendredi pour qu’on rétablisse le droit à nos écoles coraniques». Mais de quel droit parle –t-il ? Toute une question.
Il ne s’agit certainement pas de celui des ONG défenseurs des « droits de l’homme » et des « enfants » qui, bien que recevant des dons (financement venant de pays riches), ne reconnaissent pas aux pauvres le droit de recevoir des dons (aumône). Bien sûr, s’il existe « mendiants », c’est parce que le sénégalais a besoin de faire des aumônes et des sacrifices (voir la grève des battus de Aminata Sow Fall) ou vice versa. Mais, la question de déterminant entre l’offre et la demande de l’aumône nous renvoie à l’éternelle question sans réponse de savoir « entre l’œuf et la poule qui est venu le premier au monde ». Pour une décision politique de cette ampleur, la question de savoir où le sénégalais doivent envoyer l’aumône que lui sa rationalité serait réducteur. En fait, dans l’absolu tout Etat peut mettre en place des mécanismes de collecte de l’aumône et de sa redistribution. Mais dans la pratique, l’Etat du Sénégal en a –t- il les moyens ? L’Etat du Sénégal peut- il chasser tous les enfants dans la rue dans toutes les agglomérations du pays ? Il est difficile de répondre par l’affirmative si l’on considère au moins deux décisions avec des objectifs plus ou moins similaires (satisfaction des défenseurs des droits des femmes et des enfants). Premièrement, on se rappelle que la loi sur la parité a connu au moins une exception alors que nous crions partout que nous sommes dans une « république laïque et démocratique ». Deuxièmement, on se rappelle aussi qu’après l’incendie d’un immeuble abritant des élèves coraniques au quartier de la Médina, notre Etat avait aussi décidé de fermer toutes ces écoles qui ne respectent le « droits des enfants » de vivre sainement et dignement.
Dans cette troisième décision sur les « enfants de la rue », il est aussi question de les faire vivre « sainement et dignement ». Car, il faut clarifier que la décision concerne les « enfants de la rue » et non les mendiants même si ceux de Dakar-plateau ont aussi été déguerpis. Mais qui est « enfants de la rue » ? Est-ce que tous ces enfants dans la rue sont des « enfants de la rue » ? Pour les ONG qui les photographies et les envoient aux bailleurs de fonds ainsi que pour les exécutants de la décision du Chef de l’Etat sans distinction, la réponse est affirmative, pour d’autres elle est négative. Au Sénégal, beaucoup de responsables politiques, de députés, de PCA, de chefs religieux et de chefs d’entreprises du pays ont fréquentés, en tant que talibé, la rue rurale ou urbaine durant leur enfance sans se considérer comme « enfant de la rue ». Pour eux, la fréquentation de la rue a été formatrice. Alors comment en est- on arrivé à cette décision politique ? Est- elle inscrite dans le programme de candidature (yoonu yokkuté) ou de gouvernance (PSE) du Chef de l’Etat ? En tout cas pas de manière expressive. Alors, repose- t-elle à posteriori sur un diagnostic clair de la situation et une perspective étudiée du contexte ? Peut-être qu’il y’a eu des études et des notes à l’intention de qui de droit. Sans préjugé de la nature de ces études et notes, s’il y en a eu, on peut se poser une question sur le processus décisionnel. Un Etat doit-il prendre une décision de cette nature comme le fera une ONG à la recherche de bailleurs de fonds, à travers des études de consultance orientées ? Assurément Non. Mais, le vin est tiré, il faut le boire et ce n’est pas cette contribution qui va changer la décision qui est paradoxalement en droite ligne avec mes rêves de jeune élève. Je me rappelle- j’étais en classe de 5eme secondaire à Matam – après un cours d’instruction civique d’un enseignant militant de And-Jef MRDN, j’ai demandé à mon père qui donnait de l’aumône à un Almoudo (talibé) : « Que font ces enfants dans la rue ? Pourquoi les parents les laissent dans ces conditions ? ». Sans entrer dans les détails, il me répond que « Ko Ceerno sileymaani Baal adi njelari e fuuta » c'est-à -dire que « c’est Thierno Sileymani Baal qui introduit la demande de pitance ou de l’aumône par les élèves coraniques au Fouta ». Dans mon rêve d’élève endoctriné, je dirais que c’est une coïncidence heureuse que 200 ans après la révolution Torodo de 1776, Thierno Macky Sall décide de les sortir en 2016. Excusez- moi de cette petite liberté, car le sujet est très sérieux. Avant d’aller loin, constatons que dans cette échange, le fils faisait un jugement avec comme repères des valeurs apprises à l’école cependant que le père s’était cantonné de lui raconter un fait socio-historique. Ainsi, dans une situation d’éducation informelle (à la maison), le père a fait plus de « scientificité » que le fils qui, pourtant apprenait des théorèmes mathématiques, des théories de sciences sociales et des lois physico-chimiques/ biologiques. Revenons à nos moutons. Alors, Macky s’oppose –t-il à Thierno Sileymaani Baal (TSB) ? Plus précisément, leurs deux projets de société s’opposent-ils réellement ?
Plus que la destitution du régime déniyanké, plus que la lutte contre les maures, plus que la directive sur la gestion démocratique du pouvoir, le véritable projet de société de TSB peut et doit être analysé de manière systémique. TSB a proposé la reconstruction du système social foutanké à travers 3 composantes ou sous- système:
- le sous-système éducatif ou de socialisation. Il propose une éducation coranique formelle pour tous, tout en laissant une place à l’éducation non formelle (des castes) s’épanouir. Sa constitution proclame la gratuité de l’éducation coranique. Pour lui, l’instauration d’un système éducatif national et la scolarisation universelle est un des principes fondamentaux de la nation. Les érudits ont obligation d’enseigner le Coran à tous les fils du Foûta. Les enfants doivent faire leur scolarité loin des parents et être pris en charge, non pas par l’enseignant, mais par la communauté. Chaque foyer a obligation de faire aumône à trois élèves au moins à chaque repas. Celle-ci constituait une bourse d’étude attribuée par la communauté aux élèves qui viennent d’autres contrées et qui sont appelés à servir leur communauté à la fin de leurs études. C’est une autorisation de fréquenter la rue en parcourant les maisons à la recherche de pitance quotidienne. Dans cette rue, l’éducation informelle entre paire prenait le relais et forgé le caractère des jeunes (voir l’aventure ambiguë : bagarre entre Samba et Demba).
- le sous- système d’aménagement physique et social : Il propose la mise en place d’un système de sécurité et de justice centralisé et procède à la redistribution des terres. Le Foûta est divisé en sept provinces (Damga, Ngénar, Bosséa, Yiirlabé-hebbiyaabé, Lao et Toroo) assez autonomes dirigées par des souverains locaux. Chaque chef de localité a obligation de recruter un ou plusieurs enseignants coraniques, à l’installer dans un village et à lui donner une propriété foncière.
- le sous-système de production/consommation : il interdit l’esclavage et la traite négrière. chaque famille doit cultiver ses terres. La communauté et les élèves de l’école coranique doivent cultiver les champs du maitre coranique qui doit se consacrer entièrement à sa tâche éducative. La communauté est chargée de produire et de prendre en charge la consommation des élèves coraniques.
Dans la pensée de TSB, la présence des talibés dans la rue n’était qu’un élément du sous-système éducatif global et devait permettre l’atteinte de l’objectif de la scolarisation universelle. Cette dernière a été presque atteinte dans le Fouta qui l’a exporté dans les autres provinces du Sénégal et de l’Afrique occidentale, avec ses insuffisances bien sûr. Il faut dire que TSB avait bien étudié son sujet et savait que la société (pour ne dire le peuple) qui était islamisée très majoritairement en ces périodes de fin de règne des déniyanké, était preneuse d’une offre de scolarisation coranique universelle. Chacun voulait avoir un fils érudit et destiné à servir son pays dans les instances politiques en intégrant définitivement la classe des Torobé qui compte des membres originaires de l’ensemble des castes. Cela ne veut pas dire que ce système était parfait mais il était en concordance avec les besoins et aspirations du peuple et sa mise en place a résulté d’une dynamique interne avec l’adhésion des populations. TSB a construit sa vision à travers trois sous-systèmes (socialisation, aménagement physique et sociale et production/consommation) complémentaires permettant à la population d’acquérir une rationalité conforme et adaptée. En ce sens, on peut dire que Thierno était un visionnaire.
Dans la même perspective, l’école française qui résultait d’une vision impérialiste, était aussi un sous-système du système colonial. Son objectif, à travers ses internats et bourses, était de former et d’assimiler une élite sélectionnée, en leur donnant une autre rationalité occidentale. Les autres non sélectionnés devaient continuer de fonctionner avec leur rationalité traditionnelle en ne fréquentant que le système éducatif traditionnel. Après l’indépendance, le Sénégal a adopté le système de cette école coloniale comme composante formelle de son éducation nationale sans avoir les moyens de son universalisation. L’éducation coranique qui devait tomber dans le système non formel continua d’être universel en accord avec l’aspiration du sénégalais mais surtout en déterminant la rationalité de la quasi- totalité sénégalais. Elle est aidée en cela, de manière insidieuse, par la démultiplication des cérémonies (Aid, magal, maouloud) et prêches dans les radios et télévisions. Le système traditionnel a fait preuve de résistance et ses anticorps empêchent la « greffe » de rationalité occidentale de prendre entièrement.
Cette résistance a porté les fruits et ceux qui ont été l’école font preuve de cette rationalité traditionnelle dans plus de 70% de leurs relations. C’est ainsi que les sortants des daara disputent au sortant de l’école nationale, la légitimité d’occuper les responsabilités administratives et politiques de représentant de peuple. Aidé en cela, par l’incapacité du système formel de définir et mettre en place une éducation universelle prenant en compte les aspirations et déterminant la rationalité des sénégalais. Ces derniers qui continuent de fréquenter l’école coranique, sont convaincus que celle-ci est nécessaire à la formation de la rationalité de leurs enfants. Un système d’éducation dual s’est mis en place. Cette école coranique qui devait rester dans le non formelle, est redevenue quasi-formelle surtout avec les programmes dits de « modernisation des daara » au moment où le système formel se meut dans des crises.
Les Shows (assises, états généraux ou concertation) qui ont été organisés pour apporter des réponses à ces crises, passent toujours à côté de l’essentiel pour des raisons évidentes de sélection de participants. Etre un technicien de l’éducation (enseignant) ne veut absolument pas dire avoir les compétences de mener travail systémique pour la construction d’un sous- système éducatif adapté et inséré dans un système de développement du pays. Il nous faut une masse critique de chercheurs dans le domaine des systèmes et politiques d’éducation (pas seulement de pédagogie) en rapport avec d’autres dans le domaine du système de développement. Ils pourront se consacrer à un travail scientifique de terrain d’appréhension et de prospective pour un nouveau système d’éducation en rapport avec les aspirations et emportant l’adhésion des sénégalais. Ils pourront nous proposer un système qui, sans tambour ni trompette, feront quitter les enfants la rue avec une alternative plus crédible.
La présence des enfants dans la rue est, en partie, un résultat des politiques de développement du Sénégal, notamment de celle éducative. Dans le PSE, on ne voit pas dans l’intégration des trois axes (Transformation structurelle de l’économie et croissance ; Capital humain, Protection sociale et Développement durable ; Gouvernance, Institutions, Paix et sécurité), une orientation de mise en place d’un système d’éducation universelle capable de faire sortir les enfants de la rue. Alors la méthode par la force tiendra- t-il ? Si oui, que propose –t-on à ces enfants ? Si oui, atteindra- elle équitablement Woudourou, Matam, Kaolack, Yoff, Tivaoune et Touba ? Demain, si cette méthode échouait, ce serait facile de taxer les sénégalais de têtus et de réfractaires au changement, après avoir recueilli les chaleureuses félicitations de la CEDEAO et des pays occidentaux ainsi que de la ligue sénégalaise des droit de l’homme et de l’Amnistie internationale. Une ONG peut se permettre, suivant les conditionnalités des bailleurs de fonds, une telle attitude pas un Etat.
Amadou NDIAYE
UFR S2ATA-UGB
Il ne s’agit certainement pas de celui des ONG défenseurs des « droits de l’homme » et des « enfants » qui, bien que recevant des dons (financement venant de pays riches), ne reconnaissent pas aux pauvres le droit de recevoir des dons (aumône). Bien sûr, s’il existe « mendiants », c’est parce que le sénégalais a besoin de faire des aumônes et des sacrifices (voir la grève des battus de Aminata Sow Fall) ou vice versa. Mais, la question de déterminant entre l’offre et la demande de l’aumône nous renvoie à l’éternelle question sans réponse de savoir « entre l’œuf et la poule qui est venu le premier au monde ». Pour une décision politique de cette ampleur, la question de savoir où le sénégalais doivent envoyer l’aumône que lui sa rationalité serait réducteur. En fait, dans l’absolu tout Etat peut mettre en place des mécanismes de collecte de l’aumône et de sa redistribution. Mais dans la pratique, l’Etat du Sénégal en a –t- il les moyens ? L’Etat du Sénégal peut- il chasser tous les enfants dans la rue dans toutes les agglomérations du pays ? Il est difficile de répondre par l’affirmative si l’on considère au moins deux décisions avec des objectifs plus ou moins similaires (satisfaction des défenseurs des droits des femmes et des enfants). Premièrement, on se rappelle que la loi sur la parité a connu au moins une exception alors que nous crions partout que nous sommes dans une « république laïque et démocratique ». Deuxièmement, on se rappelle aussi qu’après l’incendie d’un immeuble abritant des élèves coraniques au quartier de la Médina, notre Etat avait aussi décidé de fermer toutes ces écoles qui ne respectent le « droits des enfants » de vivre sainement et dignement.
Dans cette troisième décision sur les « enfants de la rue », il est aussi question de les faire vivre « sainement et dignement ». Car, il faut clarifier que la décision concerne les « enfants de la rue » et non les mendiants même si ceux de Dakar-plateau ont aussi été déguerpis. Mais qui est « enfants de la rue » ? Est-ce que tous ces enfants dans la rue sont des « enfants de la rue » ? Pour les ONG qui les photographies et les envoient aux bailleurs de fonds ainsi que pour les exécutants de la décision du Chef de l’Etat sans distinction, la réponse est affirmative, pour d’autres elle est négative. Au Sénégal, beaucoup de responsables politiques, de députés, de PCA, de chefs religieux et de chefs d’entreprises du pays ont fréquentés, en tant que talibé, la rue rurale ou urbaine durant leur enfance sans se considérer comme « enfant de la rue ». Pour eux, la fréquentation de la rue a été formatrice. Alors comment en est- on arrivé à cette décision politique ? Est- elle inscrite dans le programme de candidature (yoonu yokkuté) ou de gouvernance (PSE) du Chef de l’Etat ? En tout cas pas de manière expressive. Alors, repose- t-elle à posteriori sur un diagnostic clair de la situation et une perspective étudiée du contexte ? Peut-être qu’il y’a eu des études et des notes à l’intention de qui de droit. Sans préjugé de la nature de ces études et notes, s’il y en a eu, on peut se poser une question sur le processus décisionnel. Un Etat doit-il prendre une décision de cette nature comme le fera une ONG à la recherche de bailleurs de fonds, à travers des études de consultance orientées ? Assurément Non. Mais, le vin est tiré, il faut le boire et ce n’est pas cette contribution qui va changer la décision qui est paradoxalement en droite ligne avec mes rêves de jeune élève. Je me rappelle- j’étais en classe de 5eme secondaire à Matam – après un cours d’instruction civique d’un enseignant militant de And-Jef MRDN, j’ai demandé à mon père qui donnait de l’aumône à un Almoudo (talibé) : « Que font ces enfants dans la rue ? Pourquoi les parents les laissent dans ces conditions ? ». Sans entrer dans les détails, il me répond que « Ko Ceerno sileymaani Baal adi njelari e fuuta » c'est-à -dire que « c’est Thierno Sileymani Baal qui introduit la demande de pitance ou de l’aumône par les élèves coraniques au Fouta ». Dans mon rêve d’élève endoctriné, je dirais que c’est une coïncidence heureuse que 200 ans après la révolution Torodo de 1776, Thierno Macky Sall décide de les sortir en 2016. Excusez- moi de cette petite liberté, car le sujet est très sérieux. Avant d’aller loin, constatons que dans cette échange, le fils faisait un jugement avec comme repères des valeurs apprises à l’école cependant que le père s’était cantonné de lui raconter un fait socio-historique. Ainsi, dans une situation d’éducation informelle (à la maison), le père a fait plus de « scientificité » que le fils qui, pourtant apprenait des théorèmes mathématiques, des théories de sciences sociales et des lois physico-chimiques/ biologiques. Revenons à nos moutons. Alors, Macky s’oppose –t-il à Thierno Sileymaani Baal (TSB) ? Plus précisément, leurs deux projets de société s’opposent-ils réellement ?
Plus que la destitution du régime déniyanké, plus que la lutte contre les maures, plus que la directive sur la gestion démocratique du pouvoir, le véritable projet de société de TSB peut et doit être analysé de manière systémique. TSB a proposé la reconstruction du système social foutanké à travers 3 composantes ou sous- système:
- le sous-système éducatif ou de socialisation. Il propose une éducation coranique formelle pour tous, tout en laissant une place à l’éducation non formelle (des castes) s’épanouir. Sa constitution proclame la gratuité de l’éducation coranique. Pour lui, l’instauration d’un système éducatif national et la scolarisation universelle est un des principes fondamentaux de la nation. Les érudits ont obligation d’enseigner le Coran à tous les fils du Foûta. Les enfants doivent faire leur scolarité loin des parents et être pris en charge, non pas par l’enseignant, mais par la communauté. Chaque foyer a obligation de faire aumône à trois élèves au moins à chaque repas. Celle-ci constituait une bourse d’étude attribuée par la communauté aux élèves qui viennent d’autres contrées et qui sont appelés à servir leur communauté à la fin de leurs études. C’est une autorisation de fréquenter la rue en parcourant les maisons à la recherche de pitance quotidienne. Dans cette rue, l’éducation informelle entre paire prenait le relais et forgé le caractère des jeunes (voir l’aventure ambiguë : bagarre entre Samba et Demba).
- le sous- système d’aménagement physique et social : Il propose la mise en place d’un système de sécurité et de justice centralisé et procède à la redistribution des terres. Le Foûta est divisé en sept provinces (Damga, Ngénar, Bosséa, Yiirlabé-hebbiyaabé, Lao et Toroo) assez autonomes dirigées par des souverains locaux. Chaque chef de localité a obligation de recruter un ou plusieurs enseignants coraniques, à l’installer dans un village et à lui donner une propriété foncière.
- le sous-système de production/consommation : il interdit l’esclavage et la traite négrière. chaque famille doit cultiver ses terres. La communauté et les élèves de l’école coranique doivent cultiver les champs du maitre coranique qui doit se consacrer entièrement à sa tâche éducative. La communauté est chargée de produire et de prendre en charge la consommation des élèves coraniques.
Dans la pensée de TSB, la présence des talibés dans la rue n’était qu’un élément du sous-système éducatif global et devait permettre l’atteinte de l’objectif de la scolarisation universelle. Cette dernière a été presque atteinte dans le Fouta qui l’a exporté dans les autres provinces du Sénégal et de l’Afrique occidentale, avec ses insuffisances bien sûr. Il faut dire que TSB avait bien étudié son sujet et savait que la société (pour ne dire le peuple) qui était islamisée très majoritairement en ces périodes de fin de règne des déniyanké, était preneuse d’une offre de scolarisation coranique universelle. Chacun voulait avoir un fils érudit et destiné à servir son pays dans les instances politiques en intégrant définitivement la classe des Torobé qui compte des membres originaires de l’ensemble des castes. Cela ne veut pas dire que ce système était parfait mais il était en concordance avec les besoins et aspirations du peuple et sa mise en place a résulté d’une dynamique interne avec l’adhésion des populations. TSB a construit sa vision à travers trois sous-systèmes (socialisation, aménagement physique et sociale et production/consommation) complémentaires permettant à la population d’acquérir une rationalité conforme et adaptée. En ce sens, on peut dire que Thierno était un visionnaire.
Dans la même perspective, l’école française qui résultait d’une vision impérialiste, était aussi un sous-système du système colonial. Son objectif, à travers ses internats et bourses, était de former et d’assimiler une élite sélectionnée, en leur donnant une autre rationalité occidentale. Les autres non sélectionnés devaient continuer de fonctionner avec leur rationalité traditionnelle en ne fréquentant que le système éducatif traditionnel. Après l’indépendance, le Sénégal a adopté le système de cette école coloniale comme composante formelle de son éducation nationale sans avoir les moyens de son universalisation. L’éducation coranique qui devait tomber dans le système non formel continua d’être universel en accord avec l’aspiration du sénégalais mais surtout en déterminant la rationalité de la quasi- totalité sénégalais. Elle est aidée en cela, de manière insidieuse, par la démultiplication des cérémonies (Aid, magal, maouloud) et prêches dans les radios et télévisions. Le système traditionnel a fait preuve de résistance et ses anticorps empêchent la « greffe » de rationalité occidentale de prendre entièrement.
Cette résistance a porté les fruits et ceux qui ont été l’école font preuve de cette rationalité traditionnelle dans plus de 70% de leurs relations. C’est ainsi que les sortants des daara disputent au sortant de l’école nationale, la légitimité d’occuper les responsabilités administratives et politiques de représentant de peuple. Aidé en cela, par l’incapacité du système formel de définir et mettre en place une éducation universelle prenant en compte les aspirations et déterminant la rationalité des sénégalais. Ces derniers qui continuent de fréquenter l’école coranique, sont convaincus que celle-ci est nécessaire à la formation de la rationalité de leurs enfants. Un système d’éducation dual s’est mis en place. Cette école coranique qui devait rester dans le non formelle, est redevenue quasi-formelle surtout avec les programmes dits de « modernisation des daara » au moment où le système formel se meut dans des crises.
Les Shows (assises, états généraux ou concertation) qui ont été organisés pour apporter des réponses à ces crises, passent toujours à côté de l’essentiel pour des raisons évidentes de sélection de participants. Etre un technicien de l’éducation (enseignant) ne veut absolument pas dire avoir les compétences de mener travail systémique pour la construction d’un sous- système éducatif adapté et inséré dans un système de développement du pays. Il nous faut une masse critique de chercheurs dans le domaine des systèmes et politiques d’éducation (pas seulement de pédagogie) en rapport avec d’autres dans le domaine du système de développement. Ils pourront se consacrer à un travail scientifique de terrain d’appréhension et de prospective pour un nouveau système d’éducation en rapport avec les aspirations et emportant l’adhésion des sénégalais. Ils pourront nous proposer un système qui, sans tambour ni trompette, feront quitter les enfants la rue avec une alternative plus crédible.
La présence des enfants dans la rue est, en partie, un résultat des politiques de développement du Sénégal, notamment de celle éducative. Dans le PSE, on ne voit pas dans l’intégration des trois axes (Transformation structurelle de l’économie et croissance ; Capital humain, Protection sociale et Développement durable ; Gouvernance, Institutions, Paix et sécurité), une orientation de mise en place d’un système d’éducation universelle capable de faire sortir les enfants de la rue. Alors la méthode par la force tiendra- t-il ? Si oui, que propose –t-on à ces enfants ? Si oui, atteindra- elle équitablement Woudourou, Matam, Kaolack, Yoff, Tivaoune et Touba ? Demain, si cette méthode échouait, ce serait facile de taxer les sénégalais de têtus et de réfractaires au changement, après avoir recueilli les chaleureuses félicitations de la CEDEAO et des pays occidentaux ainsi que de la ligue sénégalaise des droit de l’homme et de l’Amnistie internationale. Une ONG peut se permettre, suivant les conditionnalités des bailleurs de fonds, une telle attitude pas un Etat.
Amadou NDIAYE
UFR S2ATA-UGB