Le vote de la proposition de la loi n°04/2024 portant dérogation à l’article 31 de la Constitution fait l’objet de contestation devant le Conseil constitutionnel, juridiction habilitée à contrôler la constitutionnalité des lois votées conformément à l’article 92 de la Constitution. Il s’agit d’un contrôle a priori ou abstrait de la loi votée avant la promulgation. Ce qui fait du juge constitutionnel un acteur clé dans la fabrication de la loi ; puis que le sort des dispositions législatives dépend de la technique de contrôle utilisée qui peut déboucher sur une déclaration de conformité ou non ; ou une interprétation sous réserve (art. 19 et 20 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016).
La possibilité pour le Conseil constitutionnel de contrôler les lois révisant la Constitution reste controversée. D’aucuns ont défendu « la justificabilité incontestable de loi n°04/2024 » devant la juridiction constitutionnelle. D’autres ont soutenu « l’injusticiabilité des lois de révisions. Ces postures doctrinales ne devraient pas prendre les atours d’une injonction troublante adressée aux juges qui doivent statuer en dehors de toute influence positive ou négative. Certes, la doctrine peut contribuer à la systématisation des décisions du juge, mais, elle ne peut pas se substituer à ce dernier.
Le ton impérieux et le style directif de la doctrine juridique ne sont pas souhaitables. Tout alignement idéologique de la doctrine sur les questions politiques est à bannir. L’examen des textes régissant le Conseil constitutionnel et sa pratique jurisprudentielle ne permettent d’affirmer que le juge constitutionnel pourrait assumer la tâche de censurer une loi de révision. Au-delà des évolutions jurisprudentielles, le Conseil, de manière rituelle, a assumé son incompétenceà vérifier une loi révisant la Constitution (I). Ainsi, la loi constitutionnelle votée bénéficierait d’une immunité contentieuse évidenteconsacrée (II).
I. Une incompétenceassumée
L’intervention du Conseil dans le champ de la révision constitutionnelle ne transparait ni dans les textes ni dans sa pratique. Il ressort de sa jurisprudence que « l’alinéa premier de l’article 92 de la Constitution et l’article 1 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel donnent compétence au Conseil pour connaitre de la constitutionnalité des lois ordinaires et des lois organiques ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de ces textes, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une loi de révision constitutionnelle » (Cf. Décision N° 1/C/2018 du 09 mai 2018).
Cette position du juge constitutionnel est constamment réitérée dans sa pratique antérieure (Cf. Décisions N° 9/C/1998 du 09 octobre 1998 ; N° 1/C.2003 du 11 juin 2003 ; N° 3/C/2005 du 18 janvier 2006 ; N° 2/C/2009 du 18 juin 2009). Dès lors, la justificatibilité de loi constitutionnelle querellée ne saurait être soutenue. A l’état actuel, le Conseil ne peut pas contrôler une loi de révision sous réserve de statuer « ultra vires ».
II. Une immunité contentieuse consacrée
Certaines juridictions constitutionnelles ont admis la possibilité de contrôler la conformité des lois de révision par à rapport à la Constitution. Le juge sénégalais refuse de s’y engager et reconnaître le principe d’un tel contrôle. Le pouvoir normatif du conseil constitutionnel reste circonscrit dans le périmètre des lois organiques et ordinaires et non constitutionnelles. Les limites matérielles de la révision prévues à l’article 103 de la Constitution protègent le noyau dur constitutionnel.
En tout état de cause, le Conseil ne pourrait pas examiner une loi de révision constitutionnelle sans porter atteinte au pouvoir du constituant, que lui-même a qualifié de souverain. Interdire le pouvoir constituant de déroger à une norme constitutionnelle, limiterait ce pouvoir. Le Conseil a, par ailleurs, souligné qu’il est loisible au pouvoir souverain « d’abroger, de modifier ou de compléter les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il est estime appropriée ; qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui dérogent implicitement ou expressément à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle, sous réserve des interdictions de révision prévue par elle-même » (Cf. Décision n°1/C/2018 du 09 mai 2018).
La loi n°04/2024 portant dérogation à l’article 31 de la Constitution ne relève de la catégorie d’actes pouvant être neutralisés par le Conseil Constitutionnel. La pratique jurisprudentielle atteste une immunité contentieuse des lois de révision. A ce jour, aucune censure n’a été enregistrée.
Dr Moustapha Fall,
Docteur en Droit public
La possibilité pour le Conseil constitutionnel de contrôler les lois révisant la Constitution reste controversée. D’aucuns ont défendu « la justificabilité incontestable de loi n°04/2024 » devant la juridiction constitutionnelle. D’autres ont soutenu « l’injusticiabilité des lois de révisions. Ces postures doctrinales ne devraient pas prendre les atours d’une injonction troublante adressée aux juges qui doivent statuer en dehors de toute influence positive ou négative. Certes, la doctrine peut contribuer à la systématisation des décisions du juge, mais, elle ne peut pas se substituer à ce dernier.
Le ton impérieux et le style directif de la doctrine juridique ne sont pas souhaitables. Tout alignement idéologique de la doctrine sur les questions politiques est à bannir. L’examen des textes régissant le Conseil constitutionnel et sa pratique jurisprudentielle ne permettent d’affirmer que le juge constitutionnel pourrait assumer la tâche de censurer une loi de révision. Au-delà des évolutions jurisprudentielles, le Conseil, de manière rituelle, a assumé son incompétenceà vérifier une loi révisant la Constitution (I). Ainsi, la loi constitutionnelle votée bénéficierait d’une immunité contentieuse évidenteconsacrée (II).
I. Une incompétenceassumée
L’intervention du Conseil dans le champ de la révision constitutionnelle ne transparait ni dans les textes ni dans sa pratique. Il ressort de sa jurisprudence que « l’alinéa premier de l’article 92 de la Constitution et l’article 1 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel donnent compétence au Conseil pour connaitre de la constitutionnalité des lois ordinaires et des lois organiques ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de ces textes, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une loi de révision constitutionnelle » (Cf. Décision N° 1/C/2018 du 09 mai 2018).
Cette position du juge constitutionnel est constamment réitérée dans sa pratique antérieure (Cf. Décisions N° 9/C/1998 du 09 octobre 1998 ; N° 1/C.2003 du 11 juin 2003 ; N° 3/C/2005 du 18 janvier 2006 ; N° 2/C/2009 du 18 juin 2009). Dès lors, la justificatibilité de loi constitutionnelle querellée ne saurait être soutenue. A l’état actuel, le Conseil ne peut pas contrôler une loi de révision sous réserve de statuer « ultra vires ».
II. Une immunité contentieuse consacrée
Certaines juridictions constitutionnelles ont admis la possibilité de contrôler la conformité des lois de révision par à rapport à la Constitution. Le juge sénégalais refuse de s’y engager et reconnaître le principe d’un tel contrôle. Le pouvoir normatif du conseil constitutionnel reste circonscrit dans le périmètre des lois organiques et ordinaires et non constitutionnelles. Les limites matérielles de la révision prévues à l’article 103 de la Constitution protègent le noyau dur constitutionnel.
En tout état de cause, le Conseil ne pourrait pas examiner une loi de révision constitutionnelle sans porter atteinte au pouvoir du constituant, que lui-même a qualifié de souverain. Interdire le pouvoir constituant de déroger à une norme constitutionnelle, limiterait ce pouvoir. Le Conseil a, par ailleurs, souligné qu’il est loisible au pouvoir souverain « d’abroger, de modifier ou de compléter les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il est estime appropriée ; qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui dérogent implicitement ou expressément à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle, sous réserve des interdictions de révision prévue par elle-même » (Cf. Décision n°1/C/2018 du 09 mai 2018).
La loi n°04/2024 portant dérogation à l’article 31 de la Constitution ne relève de la catégorie d’actes pouvant être neutralisés par le Conseil Constitutionnel. La pratique jurisprudentielle atteste une immunité contentieuse des lois de révision. A ce jour, aucune censure n’a été enregistrée.
Dr Moustapha Fall,
Docteur en Droit public