Dans la nuit du 13 au 14 mars dernier, les autorités sénégalaises ont lancé une opération militaire dans le sud du pays, en vue de démanteler les bases du MFDC, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Cette offensive intervient deux mois après la mort de quatre soldats sénégalais et la capture de sept autres par les rebelles dans la zone frontalière avec la Gambie. Depuis, les sept soldats ont été relâchés, mais les opérations militaires se poursuivent. Comment expliquer cette résurgence des violences ? Le dialogue est-il toujours possible avec les rebelles de Casamance ? Réponses de Madiambal Diagne, journaliste, chroniqueur pour le journal sénégalais Le Quotidien et président international de L’Union internationale de la presse francophone. Entretien.
TV5MONDE : Pour quelles raisons l’armée sénégalaise a-t-elle lancé une opération contre les rebelles de Casamance dans la nuit du 13 au 14 mars dernier ?
Madiambal Diagne : En s’attaquant il y a deux mois environ, à un détachement de l’armée sénégalaise qui était en mission en Gambie dans le cadre de la mission militaire ouest-africaine (Ecomig), Salif Sadio, le leader d’une des factions du MFDC, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance, a commis une très grave imprudence.
Cette attaque a en effet entraîné la mort de quatre soldats sénégalais et sept autres ont été pris en otage. Il y a eu des pourparlers pour la libération de ces otages. Ce qui a été fait depuis, avec en particulier la médiation de la Communauté de Sant’Egidio, basée en Italie et qui intervient très souvent dans ce conflit.
Après cette libération, l’armée sénégalaise a organisé une opération que certains ont qualifié de « vengeance de l’humiliation », parce que les soldats sénégalais avaient été exhibés par les rebelles ; des soldats à genoux et qui avaient subi des mauvais traitements. Bref, des soldats humiliés par des chefs rebelles. Ça été un choc pour l’opinion publique sénégalaise. L’armée sénégalaise est donc intervenue sur instruction des autorités sénégalaises, pour laver l’affront, mais aussi pour en finir avec le contentieux.
TV5MONDE : Comment expliquer cette résurgence des violences après plusieurs mois d’accalmie ?
Madiambal Diagne : Le Sénégal avait procédé à des opérations de ratissage de certaines bases ou sanctuaires rebelles. Et depuis, la faction favorable à Salif Sadio, le chef de guerre qui contrôle le front nord, c’est-à -dire le front qui est à la lisière de la frontière gambienne, s’était calmé. Il s’est trouvé aussi que le Sénégal a pu déplorer le trafic de bois de vène qui était prélevé dans les forêts sénégalaises pour l’exporter à l’étranger via la Gambie.
Lire aussi : "Opération en Casamance : des Gambiens fuient la zone frontalière"
Les services des eaux et forêts, rattachées au ministère de l’Environnement, ont intercepté des cargaisons de bois. Et le Sénégal avait interpellé les autorités gambiennes sur ce trafic. Parce que la Gambie passait pour un des plus grands exportateurs de bois de vène. Or, toutes les exportations ou presque étaient prélevées dans les forêts sénégalaises. Il y a donc eu des arraisonnements de convois de bois de vène. L’économie de guerre de Salif Sadio est entretenue par le trafic de chanvre et l’exportation du bois de vène.
TV5MONDE : Il y a quelques mois Salif Sadio était un interlocuteur des autorités sénégalaises. Cette attaque contre ses troupes signifie-t-elle qu’il n’y a plus de dialogue entre les différentes factions du MFDC et les autorités sénégalaises ?
Madiambal Diagne : A partir du moment où les armes crépitent encore, on ne peut pas vraiment parler de dialogue. Et je ne crois pas que le gouvernement du Sénégal soit dans une logique de dialogue. Il y a eu plusieurs rounds de dialogue, des situations où on parlait de réinsertion des combattants, d’amnistie, de faveurs accordées à d’anciens rebelles…
Aujourd’hui, la population est exaspérée par cette situation. C’est sans doute aussi le cas des autorités sénégalaises. Et à l’heure actuelle, les autorités sénégalaises semblent déterminées à avoir Salif Sadio, mort ou vif. Et ce sentiment est très largement partagé au sein de la population sénégalaise.
TV5MONDE : Est-ce à dire que la stratégie militaire constitue aujourd’hui la seule alternative aux yeux des autorités sénégalaise ?
Madiambal Diagne : Je crois que de guerre lasse, la seule solution aujourd’hui semble être la stratégie militaire. De nombreuses initiatives ont été tentées, des financements d’opérations de désarmement et de réinsertion ont été lancées, des opérations de déminage ont été lancées, des opérations de réimplantation de populations déplacées ont été effectuées… Pendant de nombreuses années, beaucoup d’efforts ont été consentis dans le but d’atteindre la paix.
Aujourd’hui, le constat est que malgré tout cela, 7 soldats ont été pris en otage, exhibés à la face du monde et quatre autres ont été tués lors d’une attaque unilatérale, décidée par Salif Sadio. Du coup, l’état d’esprit des autorités sénégalaises et d’une majorité des populations, c’est qu’on en finisse avec ce contentieux. Je crois que la carte militaire est en train d’être jouée, et peut-être qu’elle sera suivie de négociations. Mais pour le moment, il y a une résolution ferme de démanteler toutes les bases rebelles qui sont implantées le long de la frontière entre le Sénégal et la Gambie.
TV5MONDE : La Gambie et la Guinée-Bissau ont souvent joué un rôle important dans ce conflit. Ces deux pays soutiennent-ils la stratégie militaire actuelle des autorités sénégalaises ?
Madiambal Diagne : En Guinée-Bissau comme en Gambie, il y a deux régimes qui sont très proches du gouvernement du Sénégal, et qui semblent jouer dans le sens d’aider le Sénégal à éradiquer la rébellion. Le Sénégal ne manquera pas de profiter de cette situation. Après l’attaque des troupes de Salif Sadio contre l’armée sénégalaise, le gouvernement gambien a été très ferme. Il s’est engagé à ne pas laisser les rebelles faire de la Gambie un territoire de repli. La même logique semble de mise du côté de la Guinée-Bissau. Le Sénégal semble donc avoir les cartes en main pour pouvoir peut-être mener ses opérations militaires avec succès.
TV5MONDE : Au-delà de cette stratégie militaire, les autorités sénégalaises pourraient-elles répondre malgré tout à certaines revendications des rebelles ?
Madiambal Diagne : En réalité, le temps joue contre la rébellion. Leurs rangs se dégarnissent, elles s’affaiblissent, et elles ont de moins en moins de légitimité politique dans leur combat. Je ne crois pas que les autorités sénégalaises soient dans les dispositions de satisfaire cette revendication de fond qui est l’indépendance.
Maintenant, il y a des palliatifs proposés par les autorités sénégalaises, comme la réinsertion des rebelles considérés comme des enfants égarés de la République. C’est la seule option qu’offre le Sénégal, parce que même la question du statut particulier de la Casamance que certains hommes politiques sénégalais avaient brandi avait été rejetée par tous les régimes au Sénégal. Et aujourd’hui, personne n’envisage ce statut particulier pour la Casamance, encore moins l’indépendance.
Située au sud du Sénégal, la Casamance est une région isolée du reste du pays par la Gambie. Ce qui crée une certaine distance par rapport au pouvoir central. Sur le plan démographique, la région est majoritairement peuplée de Diolas qui ne représentent qu’environ 5% de la population totale du pays. Le Mouvement des forces démocratiques de Casamance est créé en 1947, avec comme figure de proue, feu l’abbé Augustin Diamacoune Senghor.
Ce dernier est embastillé après les manifestations pacifiques du 26 décembre 1982, à Ziguinchor, la capitale régionale de la Basse-Casamance. Les motifs de revendication sont alors : la faible représentation des Diolas dans l’administration publique, l’expropriation des terres ou encore le traitement inéquitable de Dakar.
Le 18 décembre 1983, après des violences consécutives à une autre manifestation populaire, des militants se radicalisent et un bras armé du MFDC, l’Atika, voit le jour. C’est le début de la rébellion armée. Celle-ci prend une dimension régionale avec l’implication dans le conflit de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Le conflit en Casamance aurait fait à ce jour entre 3000 et 5000 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
TV5MONDE : Pour quelles raisons l’armée sénégalaise a-t-elle lancé une opération contre les rebelles de Casamance dans la nuit du 13 au 14 mars dernier ?
Madiambal Diagne : En s’attaquant il y a deux mois environ, à un détachement de l’armée sénégalaise qui était en mission en Gambie dans le cadre de la mission militaire ouest-africaine (Ecomig), Salif Sadio, le leader d’une des factions du MFDC, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance, a commis une très grave imprudence.
Cette attaque a en effet entraîné la mort de quatre soldats sénégalais et sept autres ont été pris en otage. Il y a eu des pourparlers pour la libération de ces otages. Ce qui a été fait depuis, avec en particulier la médiation de la Communauté de Sant’Egidio, basée en Italie et qui intervient très souvent dans ce conflit.
Après cette libération, l’armée sénégalaise a organisé une opération que certains ont qualifié de « vengeance de l’humiliation », parce que les soldats sénégalais avaient été exhibés par les rebelles ; des soldats à genoux et qui avaient subi des mauvais traitements. Bref, des soldats humiliés par des chefs rebelles. Ça été un choc pour l’opinion publique sénégalaise. L’armée sénégalaise est donc intervenue sur instruction des autorités sénégalaises, pour laver l’affront, mais aussi pour en finir avec le contentieux.
TV5MONDE : Comment expliquer cette résurgence des violences après plusieurs mois d’accalmie ?
Madiambal Diagne : Le Sénégal avait procédé à des opérations de ratissage de certaines bases ou sanctuaires rebelles. Et depuis, la faction favorable à Salif Sadio, le chef de guerre qui contrôle le front nord, c’est-à -dire le front qui est à la lisière de la frontière gambienne, s’était calmé. Il s’est trouvé aussi que le Sénégal a pu déplorer le trafic de bois de vène qui était prélevé dans les forêts sénégalaises pour l’exporter à l’étranger via la Gambie.
Lire aussi : "Opération en Casamance : des Gambiens fuient la zone frontalière"
Les services des eaux et forêts, rattachées au ministère de l’Environnement, ont intercepté des cargaisons de bois. Et le Sénégal avait interpellé les autorités gambiennes sur ce trafic. Parce que la Gambie passait pour un des plus grands exportateurs de bois de vène. Or, toutes les exportations ou presque étaient prélevées dans les forêts sénégalaises. Il y a donc eu des arraisonnements de convois de bois de vène. L’économie de guerre de Salif Sadio est entretenue par le trafic de chanvre et l’exportation du bois de vène.
TV5MONDE : Il y a quelques mois Salif Sadio était un interlocuteur des autorités sénégalaises. Cette attaque contre ses troupes signifie-t-elle qu’il n’y a plus de dialogue entre les différentes factions du MFDC et les autorités sénégalaises ?
Madiambal Diagne : A partir du moment où les armes crépitent encore, on ne peut pas vraiment parler de dialogue. Et je ne crois pas que le gouvernement du Sénégal soit dans une logique de dialogue. Il y a eu plusieurs rounds de dialogue, des situations où on parlait de réinsertion des combattants, d’amnistie, de faveurs accordées à d’anciens rebelles…
Aujourd’hui, la population est exaspérée par cette situation. C’est sans doute aussi le cas des autorités sénégalaises. Et à l’heure actuelle, les autorités sénégalaises semblent déterminées à avoir Salif Sadio, mort ou vif. Et ce sentiment est très largement partagé au sein de la population sénégalaise.
TV5MONDE : Est-ce à dire que la stratégie militaire constitue aujourd’hui la seule alternative aux yeux des autorités sénégalaise ?
Madiambal Diagne : Je crois que de guerre lasse, la seule solution aujourd’hui semble être la stratégie militaire. De nombreuses initiatives ont été tentées, des financements d’opérations de désarmement et de réinsertion ont été lancées, des opérations de déminage ont été lancées, des opérations de réimplantation de populations déplacées ont été effectuées… Pendant de nombreuses années, beaucoup d’efforts ont été consentis dans le but d’atteindre la paix.
Aujourd’hui, le constat est que malgré tout cela, 7 soldats ont été pris en otage, exhibés à la face du monde et quatre autres ont été tués lors d’une attaque unilatérale, décidée par Salif Sadio. Du coup, l’état d’esprit des autorités sénégalaises et d’une majorité des populations, c’est qu’on en finisse avec ce contentieux. Je crois que la carte militaire est en train d’être jouée, et peut-être qu’elle sera suivie de négociations. Mais pour le moment, il y a une résolution ferme de démanteler toutes les bases rebelles qui sont implantées le long de la frontière entre le Sénégal et la Gambie.
TV5MONDE : La Gambie et la Guinée-Bissau ont souvent joué un rôle important dans ce conflit. Ces deux pays soutiennent-ils la stratégie militaire actuelle des autorités sénégalaises ?
Madiambal Diagne : En Guinée-Bissau comme en Gambie, il y a deux régimes qui sont très proches du gouvernement du Sénégal, et qui semblent jouer dans le sens d’aider le Sénégal à éradiquer la rébellion. Le Sénégal ne manquera pas de profiter de cette situation. Après l’attaque des troupes de Salif Sadio contre l’armée sénégalaise, le gouvernement gambien a été très ferme. Il s’est engagé à ne pas laisser les rebelles faire de la Gambie un territoire de repli. La même logique semble de mise du côté de la Guinée-Bissau. Le Sénégal semble donc avoir les cartes en main pour pouvoir peut-être mener ses opérations militaires avec succès.
TV5MONDE : Au-delà de cette stratégie militaire, les autorités sénégalaises pourraient-elles répondre malgré tout à certaines revendications des rebelles ?
Madiambal Diagne : En réalité, le temps joue contre la rébellion. Leurs rangs se dégarnissent, elles s’affaiblissent, et elles ont de moins en moins de légitimité politique dans leur combat. Je ne crois pas que les autorités sénégalaises soient dans les dispositions de satisfaire cette revendication de fond qui est l’indépendance.
Maintenant, il y a des palliatifs proposés par les autorités sénégalaises, comme la réinsertion des rebelles considérés comme des enfants égarés de la République. C’est la seule option qu’offre le Sénégal, parce que même la question du statut particulier de la Casamance que certains hommes politiques sénégalais avaient brandi avait été rejetée par tous les régimes au Sénégal. Et aujourd’hui, personne n’envisage ce statut particulier pour la Casamance, encore moins l’indépendance.
Située au sud du Sénégal, la Casamance est une région isolée du reste du pays par la Gambie. Ce qui crée une certaine distance par rapport au pouvoir central. Sur le plan démographique, la région est majoritairement peuplée de Diolas qui ne représentent qu’environ 5% de la population totale du pays. Le Mouvement des forces démocratiques de Casamance est créé en 1947, avec comme figure de proue, feu l’abbé Augustin Diamacoune Senghor.
Ce dernier est embastillé après les manifestations pacifiques du 26 décembre 1982, à Ziguinchor, la capitale régionale de la Basse-Casamance. Les motifs de revendication sont alors : la faible représentation des Diolas dans l’administration publique, l’expropriation des terres ou encore le traitement inéquitable de Dakar.
Le 18 décembre 1983, après des violences consécutives à une autre manifestation populaire, des militants se radicalisent et un bras armé du MFDC, l’Atika, voit le jour. C’est le début de la rébellion armée. Celle-ci prend une dimension régionale avec l’implication dans le conflit de la Gambie et de la Guinée-Bissau. Le conflit en Casamance aurait fait à ce jour entre 3000 et 5000 morts et des dizaines de milliers de déplacés.