Macky Sall pour un troisième mandat inquiète de plus en plus la France et les Etats-Unis. Le sujet a été abordé directement par Emmanuel Macron avec son homologue sénégalais. Dans le même temps, la question embarrasse dans les capitales des Etats membres de la Cedeao.
Macky Sall, le 22 février 2019, pendant sa campagne électorale lors de l'élection présidentielle sénégalaise.
Peu d'informations ont filtré à l'issue du déjeuner de travail qui s'est tenu le 31 janvier entre les présidents Macky Sall et Emmanuel Macron, à Paris. Officiellement, il y a été question des relations bilatérales entre Paris et Dakar, du Sahel, ainsi que de l'adhésion de l'Union africaine au G20. Dans les faits, c'est pourtant l'épineux sujet d'un troisième mandat de Macky Sall, dont la perspective apparaît de plus en plus probable aux yeux des chancelleries occidentales, qui a dominé les échanges entre les deux présidents. Paris craint qu'un tel scénario n'envoie un énième signal de recul démocratique dans une région déjà fortement ébranlée par des coups d'Etat à répétition depuis 2020.
Usant de son traditionnel tutoiement, Emmanuel Macron a tenté de convaincre Macky Sall de renoncer à sa candidature. En des termes très directs, il a mis l'accent sur les multiples possibilités de reconversion s'offrant à lui sur la scène internationale, puisque l'actuel président n'est âgé - que - de 61 ans.
L'exemple Issoufou
De longue date, le pensionnaire de l'Elysée voit dans le président sénégalais la figure à même d'incarner l'alternance démocratique en Afrique de l'Ouest. Un rôle aujourd'hui occupé quasi exclusivement par l'ex-chef de l'Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, ardent défenseur d'une limitation à deux mandats pour les pays de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Emmanuel Macron a pu étayer son argumentaire avec un exemple que connaît bien Macky Sall : celui de l'ex-président sénégalais Abdou Diouf. Après son départ de la présidence en 2000, il avait été élu secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie(OIF), en 2002.
Si Emmanuel Macron appelle directement en privé Macky Sall à quitter le pouvoir, l'Elysée comme le Quai d'Orsay ne devraient pas pour autant "condamner", ni même se prononcer sur la question d'un éventuel troisième mandat. Une posture prudente, largement mise pratique en 2020 lors de la candidature d'Alassane Ouattara à la présidentielle ivoirienne. Officiellement, Paris ne souhaite pas intervenir publiquement dans des affaires de politiques intérieures et se range derrière les recommandations des organisations régionales. Une approche qui permet également d'éviter tout dogmatisme sur la question des troisièmes mandats à l'échelle du continent, à l'heure où la France est régulièrement accusée de mener une diplomatie "à géométrie variable".
Les doutes de Washington
Le Quai d'Orsay a évoqué le sujet à plusieurs reprises avec le Département d'Etat américain, ces dernières semaines. Si pour Paris, de nombreux signaux laissent à penser que Macky Sall pourrait selon toute vraisemblance briguer un troisième mandat en 2024, Washington continue d'espérer qu'il puisse y renoncer. La diplomatie US reste très marquée par les émeutes de mars 2021 après l'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko. Or ce dernier a multiplié les appels à faire barrage à toute future candidature de Macky Sall.
Une partie de la société civile sénégalaise est par ailleurs en contact avec le National Democratic Institute (NDI), une ONG proche de l'establishment démocrate, qui finance et encadre une myriade d'acteurs de la vie publique africaine, parmi lesquels l'ONG Tournons la page. Cette dernière a fait de la limitation des mandats présidentiels sur le continent l'une de ses priorités. La situation au Sénégal est également scrutée de près par l'Africa Center for Strategic Studies (ACSS), un think-tank rattaché au Pentagone. Dans une publication datant d'août 2022, ce dernier avait jugé la perspective d'un troisième mandat du président Sall "inconstitutionnelle" et "risquée pour le pays".
La Cedeao mise à mal
Interrogé par Emmanuel Macron sur ses intentions, Macky Sall est resté évasif. Lors de son tête-à-tête, il s'est ainsi rangé derrière la position de ses pairs de la Cedeao, lesquels souhaiteraient selon lui le voir rempiler. Dans les faits, une poignée de chefs d'Etat ouest-africains appellent effectivement de leurs vœux une candidature de Macky Sall, au nom de la "stabilité régionale". Le chef de l'Etat ivoirien, Alassane Ouattara, ou encore le président togolais, Faure Gnassingbé, verraient ainsi d'un bon œil une réélection de Macky Sall.
La question est autrement délicate pour le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, actuellement à la tête de la Cedeao. Ce dernier s'est plusieurs fois exprimé contre la pratique du troisième mandat en Afrique, comme lors de l'élection présidentielle guinéenne de 2020 face à la candidature d'Alpha Condé. Mais Embalo jouit d'une forte proximité avec Macky Sall, qui l'a largement soutenu et avec lequel il continue de collaborer activement sur plusieurs dossiers, en particulier celui de la rébellion casamançaise (AI du 17/02/23). Connu pour ses positions légalistes, le président du Niger, Mohamed Bazoum, pourrait se retrouver lui aussi dans une situation inconfortable. Surtout, une candidature de Macky Sall mettrait plus que jamais à mal les projets portés par la Cedeao depuis plusieurs années visant à encadrer le nombre de mandats successifs et viendrait un peu plus complexifier la déjà délicate équation régionale.
Africa Intelligence
Macky Sall, le 22 février 2019, pendant sa campagne électorale lors de l'élection présidentielle sénégalaise.
Peu d'informations ont filtré à l'issue du déjeuner de travail qui s'est tenu le 31 janvier entre les présidents Macky Sall et Emmanuel Macron, à Paris. Officiellement, il y a été question des relations bilatérales entre Paris et Dakar, du Sahel, ainsi que de l'adhésion de l'Union africaine au G20. Dans les faits, c'est pourtant l'épineux sujet d'un troisième mandat de Macky Sall, dont la perspective apparaît de plus en plus probable aux yeux des chancelleries occidentales, qui a dominé les échanges entre les deux présidents. Paris craint qu'un tel scénario n'envoie un énième signal de recul démocratique dans une région déjà fortement ébranlée par des coups d'Etat à répétition depuis 2020.
Usant de son traditionnel tutoiement, Emmanuel Macron a tenté de convaincre Macky Sall de renoncer à sa candidature. En des termes très directs, il a mis l'accent sur les multiples possibilités de reconversion s'offrant à lui sur la scène internationale, puisque l'actuel président n'est âgé - que - de 61 ans.
L'exemple Issoufou
De longue date, le pensionnaire de l'Elysée voit dans le président sénégalais la figure à même d'incarner l'alternance démocratique en Afrique de l'Ouest. Un rôle aujourd'hui occupé quasi exclusivement par l'ex-chef de l'Etat nigérien, Mahamadou Issoufou, ardent défenseur d'une limitation à deux mandats pour les pays de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Emmanuel Macron a pu étayer son argumentaire avec un exemple que connaît bien Macky Sall : celui de l'ex-président sénégalais Abdou Diouf. Après son départ de la présidence en 2000, il avait été élu secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie(OIF), en 2002.
Si Emmanuel Macron appelle directement en privé Macky Sall à quitter le pouvoir, l'Elysée comme le Quai d'Orsay ne devraient pas pour autant "condamner", ni même se prononcer sur la question d'un éventuel troisième mandat. Une posture prudente, largement mise pratique en 2020 lors de la candidature d'Alassane Ouattara à la présidentielle ivoirienne. Officiellement, Paris ne souhaite pas intervenir publiquement dans des affaires de politiques intérieures et se range derrière les recommandations des organisations régionales. Une approche qui permet également d'éviter tout dogmatisme sur la question des troisièmes mandats à l'échelle du continent, à l'heure où la France est régulièrement accusée de mener une diplomatie "à géométrie variable".
Les doutes de Washington
Le Quai d'Orsay a évoqué le sujet à plusieurs reprises avec le Département d'Etat américain, ces dernières semaines. Si pour Paris, de nombreux signaux laissent à penser que Macky Sall pourrait selon toute vraisemblance briguer un troisième mandat en 2024, Washington continue d'espérer qu'il puisse y renoncer. La diplomatie US reste très marquée par les émeutes de mars 2021 après l'arrestation de l'opposant Ousmane Sonko. Or ce dernier a multiplié les appels à faire barrage à toute future candidature de Macky Sall.
Une partie de la société civile sénégalaise est par ailleurs en contact avec le National Democratic Institute (NDI), une ONG proche de l'establishment démocrate, qui finance et encadre une myriade d'acteurs de la vie publique africaine, parmi lesquels l'ONG Tournons la page. Cette dernière a fait de la limitation des mandats présidentiels sur le continent l'une de ses priorités. La situation au Sénégal est également scrutée de près par l'Africa Center for Strategic Studies (ACSS), un think-tank rattaché au Pentagone. Dans une publication datant d'août 2022, ce dernier avait jugé la perspective d'un troisième mandat du président Sall "inconstitutionnelle" et "risquée pour le pays".
La Cedeao mise à mal
Interrogé par Emmanuel Macron sur ses intentions, Macky Sall est resté évasif. Lors de son tête-à-tête, il s'est ainsi rangé derrière la position de ses pairs de la Cedeao, lesquels souhaiteraient selon lui le voir rempiler. Dans les faits, une poignée de chefs d'Etat ouest-africains appellent effectivement de leurs vœux une candidature de Macky Sall, au nom de la "stabilité régionale". Le chef de l'Etat ivoirien, Alassane Ouattara, ou encore le président togolais, Faure Gnassingbé, verraient ainsi d'un bon œil une réélection de Macky Sall.
La question est autrement délicate pour le président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, actuellement à la tête de la Cedeao. Ce dernier s'est plusieurs fois exprimé contre la pratique du troisième mandat en Afrique, comme lors de l'élection présidentielle guinéenne de 2020 face à la candidature d'Alpha Condé. Mais Embalo jouit d'une forte proximité avec Macky Sall, qui l'a largement soutenu et avec lequel il continue de collaborer activement sur plusieurs dossiers, en particulier celui de la rébellion casamançaise (AI du 17/02/23). Connu pour ses positions légalistes, le président du Niger, Mohamed Bazoum, pourrait se retrouver lui aussi dans une situation inconfortable. Surtout, une candidature de Macky Sall mettrait plus que jamais à mal les projets portés par la Cedeao depuis plusieurs années visant à encadrer le nombre de mandats successifs et viendrait un peu plus complexifier la déjà délicate équation régionale.
Africa Intelligence