C’est une image symbolique, à quelques jours d’un scrutin présidentiel qui s’annonce serré. Le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, candidat à sa propre succession, et son rival John Mahama ont signé vendredi un « pacte de paix » à Accra, s'engageant à ne promouvoir aucune violence lors du vote et à la proclamation des résultats. « J'ai confiance dans le processus électoral, et je suis heureux de dire que nous accepterons le souhait du peuple ghanéen », a déclaré le président sortant.
Les dix autres candidats en lice n’ont pas été conviés à cet événement symbolique, mais leurs chances d’emporter la magistrature suprême sont minces : il y a quatre ans, aucun n’avait reçu plus de 1% des voix. Le New Patriotic Party (NPP), défendu par Nana Akufo-Addo, et le National Democratic Congress (NDC), représenté par John Mahama, lui aussi ex-président, dominent la vie politique au Ghana depuis près de trois décennies. Il s’agira du troisième affrontement entre les deux rivaux : John Mahama l’avait emporté en 2012, Nana Akufo-Addo en 2016.
« Une adhésion populaire très forte aux idéaux et aux pratiques de la démocratie »
Les observateurs s’attendent pour ce lundi 7 décembre à des élections globalement pacifiques sur l’ensemble du territoire. La police a bien dressé la liste de quelques hotspots, pour l’essentiel dans des quartiers populaires d’Accra (Ayawaso, Odododiodoo) ou d’autres grandes villes du pays (Tamale au Nord, Nkwanta dans la région de la Volta, à l’Est). Mais depuis l'instauration de la démocratie, il y a 28 ans, les violences électorales sont rares au Ghana, et le résultat des urnes peu contesté. Il faut dire qu’en la matière, le Ghana est considéré comme un exemple en Afrique de l’Ouest. Selon le classement 2019 de l'Economist Intelligence Unit, il serait le 6e pays le plus démocratique du continent.
« Le modèle démocratique ghanéen, c’est une démocratie électorale qui aspire à devenir une démocratie libérale », analyse Emmanuel Gyimah-Boadi, politologue ghanéen et directeur du bureau de recherche panafricain Afrobarometer. La réussite de cette démocratie électorale n’est plus à prouver : en vingt-huit ans, le Ghana a connu sept élections pacifiques, dont trois alternances. « Il y a chez les Ghanéens une adhésion populaire très forte aux idéaux et aux pratiques de la démocratie, et un vrai attachement au vote. » Pourtant, relativise le Pr Gyimah-Boadi, les contre-pouvoirs institutionnels demeurent faibles, et la transparence politique insuffisante. « En tant que citoyen, explique le politologue, je ne peux par exemple pas savoir le salaire du président de la République, ni celui des membres du Parlement. Il reste encore beaucoup de zones d’ombres dans notre système politique. »
La transition démocratique puis l’alternance politique, de Kwame Nkrumah à Nana Akufo-Addo
Le Ghana a parcouru un long chemin depuis son indépendance, obtenue le 6 mars 1957 après plus de quatre-vingt ans de colonisation britannique. Sous l'autorité du Premier ministre Kwame Nkrumah, grande figure du panafricanisme, l’ancienne Gold Coast se rebaptise Ghana et devient une République en 1960. Kwame Nkrumah est renversé en 1966, et le pays entre dans une période d’instabilité politique, faite de coups d’État successifs, jusqu’à la prise de pouvoir de Jerry Rawlings en 1981. C’est ce dernier qui fait entrer le Ghana dans la démocratie en 1992, avec l’adoption d’une nouvelle Constitution qui limite notamment la longévité du président à deux mandats. Confirmé dans ses fonctions lors d’élections démocratiques, l’ex-militaire est réélu en 1996, puis cède pacifiquement sa place au candidat du parti d’opposition en 2000.
Depuis, Jerry Rawlings faisait figure d’arbitre dans la vie politique ghanéenne. En 2016, lors de la défaite du président sortant John Mahama, tête de file du National Democratic Congress (NDC) créé par Rawlings lui-même en 1992, il avait sèchement recadré son poulain, qui contestait la victoire de Nana Akufo-Addo. Pour « JJ », la défaite, quoique « humiliante » pour le NDC, était « méritée » en raison des nombreux scandales de corruption qui avaient entaché sa présidence. John Mahama avait fini par accepter la sanction des urnes. Et laissé sa place à la Jubilee House à Nana Akufo-Addo, qui se présentait alors comme le chevalier blanc de la lutte anti-corruption.
Un titre qu’il ne conservera pas longtemps, éclaboussé à son tour par des affaires de pots-de-vin et d’ingérence. La dernière en date a éclaté en novembre, à trois semaines du scrutin présidentiel, avec la démission-surprise du procureur anticorruption Martin Amidu. Ce dernier accusait alors le président d'avoir tenté de lui faire enterrer un rapport explosif sur une société offshore créée par le gouvernement pour gérer les redevances minières.
Malgré tout, souligne le Pr Gyimah-Boadi, le Ghana a pour lui « une société civile unifiée, en ce qui concerne la bonne gouvernance et la promotion de la démocratie ». Car contrairement à nombre de ses voisins d’Afrique de l’Ouest, le Ghana n’a jamais ou presque été le théâtre de conflits interethniques. « Chrétiens et musulmans, détaille le politologue, partagent le même désir d’une démocratie apaisée. Surtout, aucun groupe ethnique du Ghana n’a à se plaindre d’avoir été systématiquement et injustement écarté du pouvoir. Les Akans ont eu leur président, la région du Nord aussi, la Volta aussi. » Les principaux partis politiques prennent également soin de présenter une liste de candidats équilibrée, en termes d’ethnie et de religion – mais aussi, depuis peu, de genre.
Il est peu probable, donc, que le Ghana connaisse des violences interethniques dans le sillage des élections de lundi. En revanche, des accrochages sont possibles entre les militants, car la Commission électorale ne jouit pas d’une pleine confiance dans l’opinion publique. Durant la campagne, des opposants l’ont accusée de manquer de neutralité, le NDC l’accusant même clairement de faire le lit du NPP. Et certains observateurs ne se sont pas privés de critiquer un certain « amateurisme ».
« Je ne pense pas que la Commission électorale ait les compétences nécessaires pour jouer son rôle », tranche ainsi Franklin Cudjoe, président du think tank Imani, sans pour autant rejoindre les accusations du NDC. « Je ne crois pas non plus que les commissaires électoraux complotent avec le gouvernement. Ils sont juste terriblement incompétents. » Pour garantir une meilleure transparence, le dépouillement dans les bureaux de vote sera public ce lundi, à partir de 17h, et les candidats auront le droit de réclamer des recomptages.
En parallèle, une centaine d’observateurs internationaux et locaux ont été déployés sur l’ensemble du territoire. Parmi eux, une mission de l’Union européenne et une autre du Commonwealth, ainsi qu’un groupe d’observateurs de la Cédéao. La cheffe de ce dernier, l’ancienne présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf, a salué ce vendredi l'image démocratique du Ghana, un « modèle pour le reste de l'Afrique ».
Les dix autres candidats en lice n’ont pas été conviés à cet événement symbolique, mais leurs chances d’emporter la magistrature suprême sont minces : il y a quatre ans, aucun n’avait reçu plus de 1% des voix. Le New Patriotic Party (NPP), défendu par Nana Akufo-Addo, et le National Democratic Congress (NDC), représenté par John Mahama, lui aussi ex-président, dominent la vie politique au Ghana depuis près de trois décennies. Il s’agira du troisième affrontement entre les deux rivaux : John Mahama l’avait emporté en 2012, Nana Akufo-Addo en 2016.
« Une adhésion populaire très forte aux idéaux et aux pratiques de la démocratie »
Les observateurs s’attendent pour ce lundi 7 décembre à des élections globalement pacifiques sur l’ensemble du territoire. La police a bien dressé la liste de quelques hotspots, pour l’essentiel dans des quartiers populaires d’Accra (Ayawaso, Odododiodoo) ou d’autres grandes villes du pays (Tamale au Nord, Nkwanta dans la région de la Volta, à l’Est). Mais depuis l'instauration de la démocratie, il y a 28 ans, les violences électorales sont rares au Ghana, et le résultat des urnes peu contesté. Il faut dire qu’en la matière, le Ghana est considéré comme un exemple en Afrique de l’Ouest. Selon le classement 2019 de l'Economist Intelligence Unit, il serait le 6e pays le plus démocratique du continent.
« Le modèle démocratique ghanéen, c’est une démocratie électorale qui aspire à devenir une démocratie libérale », analyse Emmanuel Gyimah-Boadi, politologue ghanéen et directeur du bureau de recherche panafricain Afrobarometer. La réussite de cette démocratie électorale n’est plus à prouver : en vingt-huit ans, le Ghana a connu sept élections pacifiques, dont trois alternances. « Il y a chez les Ghanéens une adhésion populaire très forte aux idéaux et aux pratiques de la démocratie, et un vrai attachement au vote. » Pourtant, relativise le Pr Gyimah-Boadi, les contre-pouvoirs institutionnels demeurent faibles, et la transparence politique insuffisante. « En tant que citoyen, explique le politologue, je ne peux par exemple pas savoir le salaire du président de la République, ni celui des membres du Parlement. Il reste encore beaucoup de zones d’ombres dans notre système politique. »
La transition démocratique puis l’alternance politique, de Kwame Nkrumah à Nana Akufo-Addo
Le Ghana a parcouru un long chemin depuis son indépendance, obtenue le 6 mars 1957 après plus de quatre-vingt ans de colonisation britannique. Sous l'autorité du Premier ministre Kwame Nkrumah, grande figure du panafricanisme, l’ancienne Gold Coast se rebaptise Ghana et devient une République en 1960. Kwame Nkrumah est renversé en 1966, et le pays entre dans une période d’instabilité politique, faite de coups d’État successifs, jusqu’à la prise de pouvoir de Jerry Rawlings en 1981. C’est ce dernier qui fait entrer le Ghana dans la démocratie en 1992, avec l’adoption d’une nouvelle Constitution qui limite notamment la longévité du président à deux mandats. Confirmé dans ses fonctions lors d’élections démocratiques, l’ex-militaire est réélu en 1996, puis cède pacifiquement sa place au candidat du parti d’opposition en 2000.
Depuis, Jerry Rawlings faisait figure d’arbitre dans la vie politique ghanéenne. En 2016, lors de la défaite du président sortant John Mahama, tête de file du National Democratic Congress (NDC) créé par Rawlings lui-même en 1992, il avait sèchement recadré son poulain, qui contestait la victoire de Nana Akufo-Addo. Pour « JJ », la défaite, quoique « humiliante » pour le NDC, était « méritée » en raison des nombreux scandales de corruption qui avaient entaché sa présidence. John Mahama avait fini par accepter la sanction des urnes. Et laissé sa place à la Jubilee House à Nana Akufo-Addo, qui se présentait alors comme le chevalier blanc de la lutte anti-corruption.
Un titre qu’il ne conservera pas longtemps, éclaboussé à son tour par des affaires de pots-de-vin et d’ingérence. La dernière en date a éclaté en novembre, à trois semaines du scrutin présidentiel, avec la démission-surprise du procureur anticorruption Martin Amidu. Ce dernier accusait alors le président d'avoir tenté de lui faire enterrer un rapport explosif sur une société offshore créée par le gouvernement pour gérer les redevances minières.
Malgré tout, souligne le Pr Gyimah-Boadi, le Ghana a pour lui « une société civile unifiée, en ce qui concerne la bonne gouvernance et la promotion de la démocratie ». Car contrairement à nombre de ses voisins d’Afrique de l’Ouest, le Ghana n’a jamais ou presque été le théâtre de conflits interethniques. « Chrétiens et musulmans, détaille le politologue, partagent le même désir d’une démocratie apaisée. Surtout, aucun groupe ethnique du Ghana n’a à se plaindre d’avoir été systématiquement et injustement écarté du pouvoir. Les Akans ont eu leur président, la région du Nord aussi, la Volta aussi. » Les principaux partis politiques prennent également soin de présenter une liste de candidats équilibrée, en termes d’ethnie et de religion – mais aussi, depuis peu, de genre.
Il est peu probable, donc, que le Ghana connaisse des violences interethniques dans le sillage des élections de lundi. En revanche, des accrochages sont possibles entre les militants, car la Commission électorale ne jouit pas d’une pleine confiance dans l’opinion publique. Durant la campagne, des opposants l’ont accusée de manquer de neutralité, le NDC l’accusant même clairement de faire le lit du NPP. Et certains observateurs ne se sont pas privés de critiquer un certain « amateurisme ».
« Je ne pense pas que la Commission électorale ait les compétences nécessaires pour jouer son rôle », tranche ainsi Franklin Cudjoe, président du think tank Imani, sans pour autant rejoindre les accusations du NDC. « Je ne crois pas non plus que les commissaires électoraux complotent avec le gouvernement. Ils sont juste terriblement incompétents. » Pour garantir une meilleure transparence, le dépouillement dans les bureaux de vote sera public ce lundi, à partir de 17h, et les candidats auront le droit de réclamer des recomptages.
En parallèle, une centaine d’observateurs internationaux et locaux ont été déployés sur l’ensemble du territoire. Parmi eux, une mission de l’Union européenne et une autre du Commonwealth, ainsi qu’un groupe d’observateurs de la Cédéao. La cheffe de ce dernier, l’ancienne présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf, a salué ce vendredi l'image démocratique du Ghana, un « modèle pour le reste de l'Afrique ».