On ne vous a pas entendu depuis votre nomination à la tête de la Commission nationale de la réforme foncière. Qu’est-ce qui a été fait depuis ?
Lorsque le président de la République m’a demandé d’étudier comment réformer le foncier aux mois de juillet et août 2012, j’ai donné mon accord. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois dans son bureau pendant des heures et, Dieu merci, personne n’a diffusé ces rencontres-là parce que je sais travailler dans la discrétion et garder les secrets. C’est moi qui ai écrit le projet et le lui ai présenté. Il l’a gardé deux mois- c’est normal- ; il a réfléchi et peut-être fait réfléchir d’autres personnes. Ensuite, il l’a sorti et signé comme décret, mais après y avoir ajouté ses propres pensées. J’ai été moi-même nommé président de la Commission nationale de réforme foncière au mois de novembre 2012 et c’est un mois plus tard que la commission a été créée officiellement par décret du 16 décembre 2012 qui dit comment les membres doivent être recrutés.
C’est ainsi que j’ai demandé à rencontrer tous les membres du gouvernement. Je suis allé rendre visite au Premier ministre, à tous les ministres et à tous les directeurs des entreprises d’Etat : la Sones, l’Apix, la Sde, la Senelec, etc., parce que toutes ces sociétés-là touchent la terre. Mais aussi des visites à tous les corps professionnels : les avocats, les notaires, les architectes, l’association des conseils ruraux dirigée par Alé Lô. Donc, j’ai fait le tour du Sénégal, tout seul. Il fallait des mois pour faire cela et jusqu’au mois de février.
Cela ne servait à rien de parler. Je suis en train de bâtir et de discuter avec des autorités publiques et chaque organisme de l’Etat a désigné par écrit son représentant. Au bout du rouleau, nous étions un peu plus de 70, tous désignés sur la base de critères : compétence, technique, moralité, engagement. Une fois cela fait, nous nous sommes enfermés pendant deux jours, les 27 et 28 février, de 9h à 18h pour savoir où nous voulons aller. Au sortir de ces journées d’études, nous sommes tombés d’accord sur tout et nous avons élaboré un règlement intérieur. Sur près de 75 membres de la commission, nous avons divisé en dix groupes avec un président et un secrétaire.
C’est à partir de ce moment que nous pouvions dire que la commission existe. Nous avons demandé au Président de nous accorder une journée le 28 mars 2012 pour l’installation de cette commission par le Premier ministre. Nous avons donc fini l’œuvre de préparation et savons ce que nous devons faire, qui doit le faire, où nous devons aller et comment y aller. Un travail comme celui-ci nécessite des moyens énormes, mais j’ai demandé un tout petit budget.
Combien ?
Pour le reste de l’année 2013, l’ensemble du budget, c’est-à -dire les frais des voitures, les chauffeurs, les secrétaires, les assistants, les directeurs, les dirigeants, les voyages, les salaires…, n’atteint même pas 700 millions de francs Cfa. Je puis vous dire que la Banque mondiale m’a dit qu’il faut dix fois plus, mais je me contente de ça pour cette première année parce qu’il faut que les Africains puissent prouver qu’ils sont capables de faire sans l’argent des autres pour le moment et, ensuite demander l’argent des autres pour leur donner la garantie que nous n’allons pas gaspiller leur argent.
Que peut-on attendre de cette commission ?
La commission est chargée de vérifier les conditions d’occupation de tout le domaine national qui fait 80% du Sénégal. Rien que pour cela, plusieurs milliards ne peuvent suffire. Il faut des génies pour trouver des méthodes de vérification parce qu’on ne peut pas le faire pour chaque mètre carré quand même ! La commission est chargée de régler tous les conflits qui existent au Sénégal et qui touchent la terre. C’est énorme ! Elle doit aussi aider l’administration à transformer tous les papiers des maisons, des villes, en titres fonciers et étudier toutes les lois du Sénégal pour faire modifier- et au mieux- tout ce qui touche la terre. Enfin, elle doit faire en sorte que tous les investisseurs rêvent de venir au Sénégal. Donc, faire le meilleur mariage possible entre les intérêts de ces investisseurs et ceux des Sénégalais. Mais ça, c’est de la construction.
Finalement, c’est plus qu’un ministère…
Ça n’a rien à voir avec un ministère. C’est la vie du pays, la vie tout court.
Et le budget doit dépasser…
Ce n’est pas un budget ; c’est tout l’argent du Sénégal qu’on doit mettre à notre disposition parce qu’il s’agit du pays et même de l’Afrique.
Comment ?
De l’Afrique du Sud au Sénégal, c’est le même problème qui se pose. Et l’Union africaine a aujourd’hui un département spécial consacré aux réformes foncières parce que tous les territoires étaient colonisés depuis le 19ème siècle. Tous les territoires ont vécu sous les lois de l’Angleterre, du Portugal, des Pays-Bas et de la France qui viennent prendre nos terres et utiliser nos autorités coutumières. Quand nous sommes devenus indépendants, ce sont eux qui nous ont conseillés, mais dans le sens de garder leurs intérêts et qui nous ont formés à oublier nos Peuples. Aujourd’hui, nous prenons tous conscience de cela.
Qui a la solution à ces problèmes-là ?
La Banque mondiale, l’Union africaine, tous les pays du monde sont engagés à cent pour cent pour ces réformes foncières. L’Afrique est redevenue l’avenir du monde. Mais chacun y va avec ses intérêts. La question n’est plus de diviser les intérêts, mais de les unir et c’est là où nous appelons à notre génie collectif à résoudre ces problèmes-là pour que le monde entier puisse dire : «Nous allons en Afrique, mais cette fois-ci pour partager avec les Africains.»
Vous semblez tenir un discours contesté par d’autres qui disent que les autres n’ont pas le droit de venir investir sur nos terres.
Ils n’ont qu’à donner de l’argent à leurs tantes, sœurs afin que ces dernières soient riches ! A partir de ce moment, ils pourront dire cela.
On a vu ce qui s’est passé à Fanaye, Mbane…
Quand ils pourront empêcher leurs enfants d’aller mourir en mer pour émigrer, quand ils pourront faire en sorte que leurs territoires soient des paradis sur terre avec beaucoup d’arbres ou de pelouses, ce jour-là , je dirai oui. Mais tant que nos pays sont désertiques, que nos cousines, sœurs, mères meurent de faim dans le désert, ils ont tort. Ils n’ont pas raison.
Les multinationales sont les bienvenues…
Ce ne sont pas seulement les multinationales. Vous oubliez les Sénégalais qui vivent à Dakar et qui sont riches. Les Sénégalais ingénieurs agronomes, il y en a des centaines qui en ont les moyens ou qui peuvent recevoir des banques les moyens d’aller cultiver la terre. Les multinationales viendront prendre leur part, mais partagée avec nous ? Nous allons le faire. Nous allons créer l’ordonnance qui soigne la maladie. Tout ce que disent tous les Africains, c’est ce que je dis ; je l’ai écrit bien avant eux. Qui vous a encore donné leurs remèdes ? En tant que Commission nationale de réforme foncière au Sénégal, nous avons les remèdes.
Il faudra bien convaincre les populations qui sont réticentes…
Elles seront convaincues. Ce sont des personnes qui les rendent réticentes.
Si on prend l’exemple de Fanaye, c’est un peu ce qui s’était passé. Et puis, le Conseil rural a pris une décision, d’autres n’étaient pas d’accord…
Cette question est dépassée. Lorsque les histoires de Fanaye ont commencé, la Commission nationale de réforme foncière n’existait pas encore. Si le président de la République nous dit, il faut résoudre tous les conflits qui existent, c’est parce qu’ils en existent. Nous sommes là pour les conflits et nous allons les résoudre. Vous ne voulez pas croire qu’on peut faire quelque chose pour le pays. Nous, nous le croyons. Laissez-nous deux ans et vous allez voir.
Quels remèdes proposez-vous alors ?
Nous allons inventer des systèmes. Et nous sommes en train de nous y atteler. Il faut d’abord que nous recevions les moyens pour travailler. Ici, vous êtes dans mon bureau, pas dans une propriété qui appartient au Sénégal. Depuis le mois de juillet 2012, tout ce qui se passe vient de ma poche et de ceux qui travaillent avec moi. Mes collaborateurs sont de vieux fonctionnaires retraités, très expérimentés. Les gens qui travaillent avec moi sont d’actuels fonctionnaires qui sont dans leur bureau, gagnent leur salaire. Ils viennent aussi du privé et ils y gagnent leur vie. D’autres ne travaillent même pas, mais ont beaucoup de compétences. Je les appelle partout et ils me suivent. Les voitures, l’essence, les secrétaires, le papier, même l’adresse et le numéro de téléphone, ce sont les miens.
C’est une dette que l’on vous doit pour le moment…
Non, je l’offre à mon pays. Je me suis toujours donné pour mon pays. Personne ne me doit rien. Mais je dis, ce que le pays attend de nous ne peut plus venir de mes seules forces. C’est tout. J’ai fait cadeau de tout cela. Donc, c’est pour vous dire qu’aujourd’hui, il faut bien faire le tour du Sénégal pour aller à Fanaye et dans d’autres lieux. Il faut aussi que ces gens viennent à notre rencontre mais où ? Dans mon bureau ? Dans ma chambre ? Ce n’est pas normal ! C’est au nom de l’Etat que nous nous exprimons. Monsieur le président de la République a indiqué avec moi un bâtiment qui doit être notre siège et ce petit budget insignifiant que j’ai proposé pour débuter le travail. Mais cela fait plusieurs mois que je cours et personne n’a exécuté ce qu’il a dit. Personne dans l’Administration n’arrive à dire : «Voilà le peu pour commencer.»
Ce n’est pas très encourageant ça…
Rien et personne ne sera à même de me décourager dans ce travail qui est l’un des plus grands combats historiques de l’Afrique que le président de la République prend en charge. C’est le Peuple sénégalais qui peut rater une occasion historique et non Doudou Ndoye. Nous sommes 82 personnes depuis hier. Je suis affirmatif : Vous ne trouverez pas sur tout le continent africain un groupe plus compétent que celui-ci et dans ce domaine-là . C’est moi qui suis allé les chercher. Donc, deÂvant l’histoire, je me glorifierai d’avoir ce mérite. Le Sénégal a tout ce qu’il faut pour réussir.
Les moyens ne suivent pas…
Ce sera dommage pour le Peuple sénégalais.
Est-ce que sur le plan foncier et en tant que juriste, vous aiderez le Sénégal à ne pas être floué davantage dans la révision de certaines conventions minières ?
Le ministère des Mines a son représentant dans la Commission. Les mines, les carrières, le bâtiment, l’architecture, les constructions, les routes, les lotissements, le voisinage, la mer, le loyer, le sous-sol de la mer jusqu’au ciel…, tout ce qui touche à la terre concerne la commission de réforme foncière. Il y a aujourd’hui un Code minier, un Code pastoral en préparation. Ce sont ces ministères-là qui sont les organes exécutifs de la politique du président de la RépubliÂÂque. Nous sommes, en amont, l’organe de réflexion et de régulation destiné au président de la République qui va le diffuser à ces ministères qui vont l’exécuter.
Mais pour l’instant, si nous ne sommes pas assis dans un siège avec assistants, secrétaires, directeurs, voitures, lieu où l’on peut se réunir du matin au soir, mais où est-ce qu’ils vont le faiÂre? Dans mon cabinet d’avocat ? Nous avons dépassé le stade de la pensée. Nous sommes capables de révolutionner le monde pour le SéÂnégal et au nom du Président Macky Sall. Je n’ai pas demandé les moyens pour commencer. Je dis que les moyens qui nous permettent d’appliquer toute cette pensée-là sont ceux de l’Etat. Je ne peux pas prendre ma voiture pour faire le tour du Sénégal alors que je suis en panne presque tous les matins.
Comment qualifierez-vous le système foncier sénégalais ?
On ne qualifie pas un système foncier. Il y a une expression juridique qu’on appelle classification du système foncier. En France, il n’y a même pas de système foncier. Par contre, il y a le Code civil français qui régularise et parle du droit de propriété, c’est tout. (…) Aujourd’hui, le Sénégal a une classification des biens fonciers et non un système foncier. A partir des lois françaises, il y a les biens fonciers qui relèvent de la propriété privée, c’est-à -dire comme les biens français qu’on fait sur du papier. Mais notre papier de type privé s’appelle titre foncier qui n’existe pas en France, qui doit passer chez un notaire. L’Etat a des biens de titres fonciers. Senghor vient et dit que tout le reste c’est le domaine national, c’est-à -dire que ça n’appartient à personne, mais à la Nation. Ça, c’est de la sociologie et non du droit ! Qui est la Nation ? Personne.
Ou l’Etat…
Non, la Nation. L’Etat est un organe pour gérer les intérêts des populations d’une Nation. C’est pourquoi l’Etat se met souvent en conflit avec les citoyens d’ailleurs. Avant, c’étaient des rois, maintenant c’est devenu une République. Et Senghor dit que l’Etat a ses biens privés, comme nous, nous en disposons. On crée une catégorie nouvelle de 1972 qui s’appelle le conseiller rural chargé de gérer les biens de la Nation. Mais l’Etat peut, quand il le souhaite, prendre les biens de la Nation et en faire sa propriété privée.
Et donc exproprier des privés…
Même pas. Les privés, c’est autre chose. L’expropriation peut se porter ici, là où vous êtes. Mais parlons seulement des biens nationaux qu’on ne peut pas exproprier. Si, à tout moment, l’Etat peut prendre vos terres et y mettre son nom ou le donner à qui il veut, est-ce que vous allez investir sur cette terre ? Vous n’allez pas le faire. Ce qui fait que tout le monde a abandonné la terre. Vous finissez par partir parce que vous êtes chômeur pendant 10 mois. Vous n’avez aucune espérance d’être propriétaire de votre terre où d’y faire quoi que ce soit. En plus, l’Etat laisse aux conseillers ruraux la gestion des terres sans aucun moyen. De sorte qu’aujourd’hui, nous trouvons les terres des domaines privés qui nous appartiennent, comme nos maisons dans la ville. L’Etat peut prendre n’importe quoi et donner à n’importe qui sans aucune explication, sans aucune indemnité. C’est cela la question juridique qui se pose fondamentalement.
Qu’il faudra réformer ?
Disons, il faudra corriger le mal et le remplacer par le bien et pour le bien de tout le monde. En tout cas, nous n’avons pas l’intention d’être des redresseurs du tort, mais de considérer la situation qui existe dans ces mauvais côtés et de faire en sorte que nous apportions les compléments qui permettent à notre Peuple de souffler. Si on peut appeler cela réforme foncière, oui. On parle de la terre, mais il y a aussi les constructions, les maisons, tous les lotissements qui se font au Sénégal. Le voisin ne s’occupe pas du voisin, mais dans tous les pays civilisés du monde, lorsqu’il y a 200 maisons qui se construisent quelque part, il y a des règlements de copropriété et de voisinage. Vous sortez de votre maison, vous êtes dans une rue qui est propre avec des arbres, vos enfants vivent dans un environnement saint qui a beaucoup d’oxygène. Nous n’avons pas de vie urbaine. Si vous allez dans les grandes capitales européennes, vous pouvez marcher toute la journée dans les rues et vous êtes heureux de regarder les trottoirs, les magasins, de vous asseoir sur des bancs. Est-ce que vous avez une promenade à Dakar ? On n’a pas droit au bonheur !
Autrement dit, il n’y a plus d’espace ?
Il n’y a que de l’espace. A Paris, il n’y avait pas d’espace. Paris était l’une des villes les plus malfamées d’EuÂrope ; aujourd’hui c’est la ville la plus prisée d’Europe. Aujourd’hui, si vous allez au quartier du Panier à MarÂseille, vous êtes heureux. Pourtant, c’était le lieu le plus malfamé de MarÂseille. Donc, l’espace existe toujours et existera toujours ; c’est nous qui l’utilisons mal. On doit donc réformer pour que les gens vivent bien.
Tout est occupé, tout est vendu, il n’y a plus d’espace par exemple sur le domaine public maritime…
(Il insiste) Il y aura toujours de l’espace ; nous ne quitterons jamais la terre. C’est à nous de réformer, de réorganiser notre espace et nous en sommes capables. Il ne faut pas être défaitiste ; moi je ne le suis pas.
Et la transformation des baux en titres fonciers ?
C’est la transformation des permis d’occuper mais les baux sont concernés aussi pour deux raisons. Les baux portent sur des biens de l’Etat faisant l’objet d’un titre foncier et l’Etat vous donne un bail emphytéotique qui est inscrit sur le titre foncier et qui vous donne des droits réels que vous pouvez hypothéquer. Alors que le permis d’habiter est une autorisation précaire sans aucun droit de vivre sur une terre qui appartient à l’Etat. Ce n’est pas inscrit sur le titre foncier, vous ne pouvez pas emprunter avec et aujourd’hui l’Etat a dit que ces papiers peuvent être déchirés et jetés parce qu’ils sont nuls, donc vous n’avez plus rien.
Que peut-on dire aujourd’hui de votre compagnonnage politique avec le président de la République ?
Je n’aime pas le mot «compagnonnage» ; je l’ai souvent dit dans toutes les interviews. Je ne suis pas un compagnon du président de la RépubliÂque. Je l’ai choisi comme candidat, je l’ai accompagné, je suis solidaire avec lui dans sa conquête du pouvoir et dans son exercice du pouvoir.
Si vous l’avez accompagné, c’est un compagnonnage non ?
Non, nous sommes un. Macky Sall et Doudou Ndoye constituent la même personne du point de vue politique pour la conÂquêÂte du pouvoir et dans l’exercice du pouvoir (Il se répète). Je suis lui et je veux qu’il soit moi aussi.
Vous n’êtes pas son allié ?
Non.
Vous avez votre parti et lui le sien ?
Oui, mais c’est plus qu’une alliance. Vous savez, les mots sont très délicats pour moi. Je vais m’expliquer un peu : nous étions tous des rivaux parce que nous étions tous des candidats. Au deuxième tour, il n’y avait plus que deux rivaux qui étaient Abdoulaye Wade et Macky Sall. Ensemble, nous avons constitué un groupe pour porter Macky Sall à la présidence de la République. Ce groupe s’est appelé Benno bokk yaakaar. Notre Président avait un programme qu’on a épousé, chacun avec sa sensibilité. Mais quand même, je suis sur le terrain politique depuis 1958 ! J’ai vu Senghor marcher et moi, assis sous ses pieds.
Donc, ce n’est pas par les idées de Macky Sall que je suis arrivé à la politique. C’est peut-être par nos idées qu’il est arrivé, lui, à la politique ; donc nous sommes porteurs de nos propres idées. La preuve est que depuis 30 ans, je me bats pour cette Commission nationale de la réforme foncière que je considère comme étant le Sénégal et même l’Afrique. Donc, ce n’est pas parce que Macky Sall existe que je m’occupe de foncier, mais je le lui donne parce que nous avons voulu qu’il porte le destin de notre Nation. Maintenant, comment ça se passe sur le plan pratique ? Comme dans tous les mariages, dans tous les couples, vous vous êtes livré l’un à l’autre pour l’avenir et le destin de vos enfants et petits enfants. Et comment ça marche dans la maison ? Aujourd’hui bien, demain mal, après demain un peu mieux mais nous sommes ensemble.
Il y a des incompatibilités d’humeur comme on dit ?
Non, il n’y a pas d’humeur entre le Président et moi ; il n’y en a jamais eu parce que vous ne m’avez jamais entendu parler…
Mais vous avez fait un peu avec la métaphore du mariage ?
(Rires) Oui, mais dans le mariage, s’il y avait des incompatibilités d’humeur, on aurait divorcé depuis longtemps.
Il y en a quand même parfois en politique, des désaccords par exemple…
Mais il n’y a aucun désaccord entre le Président Macky Sall et moi. Par contre, il y a un groupe qui s’appelle Benno bokk yaakaar, qui s’est scindé en deux, malheureusement. Un premier qui s’est dit politiquement plus représentatif. Je dis oui en termes d’électorat. Mais si ce n’était qu’en termes d’électorat, tous les pays africains seraient développés.
Vous parlez de ce groupe que Idrissa Seck qualifie de «bande à 4»?
Oui, mais lui aussi en fait partie. La quantité n’est qu’animalité sans la qualité. Merci Macky Sall pour avoir mis la quantité et la qualité pour accéder au pouvoir. Maintenant, la qualité et la quantité se sont séparées et c’est cela le mal de Bby. Que chacun en tire les conséquences qu’il veut.
Même dans la gestion de l’Etat il a plus pris en compte la quantité que la qualité ?
Que chacun en tire les conséquences qu’il veut ! Pasteur, Einstein, Hugo, Lamartine sont ceux qui ont fabriqué le monde. Et Napoléon Bonaparte lui-même a dit que ce qui l’a le plus impressionné dans sa vie, c’est que le savoir finit toujours par triompher sur les armes. MaÂlheuÂreusement, Bby a fait une dissociation entre la qualité et la quantité. Macky Sall et moi-même nous sommes ensemble et nous le resterons.
Est-ce que vous partagez la méthode de Idrissa Seck qui critique et garde sa liberté d’expression ?
Et la méthode Doudou Ndoye ? Elle a toujours été de créer des concepts scientifiques pour faire progresser son Peuple. C’est la réforme foncière qui a apporté le bonheur à l’Afrique.
Il y a aussi les questions d’actualité ?
L’actualité, c’est de manger, de boire, de dormir, de vivre dans une maison qui vous appartient. Il n’y a pas d’autres actualités sur terre. Quand on meurt de faim, quand on dort dans la rue, quand vos enfants ne vont pas à l’école, quelle est alors la bonne actualité ? Tout à l’heure, nous avons dit que nous allons donner des titres fonciers à ceux qui ont des permis d’habiter, près de 200 000 maisons sont concernées et pourront accéder au crédit bancaire. Vous savez ce que ça représente comme argent dans le pays ? C’est cela l’avenir d’un pays, mais tout le reste c’est du blabla !
Les critiques contre le gouvernement sont du blabla ?
Il n’y a pas un gouvernement qui ne soit pas critiquable sur terre et il n’y en aura jamais. Il n’y a jamais eu d’homme parfait et il n’y en aura jamais sur terre.
Donc, il faut tolérer les critiques ?
Bien entendu. Si on ne vous critique pas, vous ne progresserez pas. Aujourd’hui, à mon âge, la plus grande chose qui m’est arrivée, c’est de savoir que ma seule voix ne compte pas. Le groupe auquel j’appartiens (Ndlr : Bby) doit discuter pour arriver à un résultat. La critique est la meilÂleure des choses pour un être humain et pour un gouvernement. Et un gouvernement, c’est un jeu d’intérêts dans tous les pays du monde. Mais ce sont les gens qui n’ont aucun intérêt qui pensent bien et peuvent aider ce gouvernement à faire du bien.
Lorsque le président de la République m’a demandé d’étudier comment réformer le foncier aux mois de juillet et août 2012, j’ai donné mon accord. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois dans son bureau pendant des heures et, Dieu merci, personne n’a diffusé ces rencontres-là parce que je sais travailler dans la discrétion et garder les secrets. C’est moi qui ai écrit le projet et le lui ai présenté. Il l’a gardé deux mois- c’est normal- ; il a réfléchi et peut-être fait réfléchir d’autres personnes. Ensuite, il l’a sorti et signé comme décret, mais après y avoir ajouté ses propres pensées. J’ai été moi-même nommé président de la Commission nationale de réforme foncière au mois de novembre 2012 et c’est un mois plus tard que la commission a été créée officiellement par décret du 16 décembre 2012 qui dit comment les membres doivent être recrutés.
C’est ainsi que j’ai demandé à rencontrer tous les membres du gouvernement. Je suis allé rendre visite au Premier ministre, à tous les ministres et à tous les directeurs des entreprises d’Etat : la Sones, l’Apix, la Sde, la Senelec, etc., parce que toutes ces sociétés-là touchent la terre. Mais aussi des visites à tous les corps professionnels : les avocats, les notaires, les architectes, l’association des conseils ruraux dirigée par Alé Lô. Donc, j’ai fait le tour du Sénégal, tout seul. Il fallait des mois pour faire cela et jusqu’au mois de février.
Cela ne servait à rien de parler. Je suis en train de bâtir et de discuter avec des autorités publiques et chaque organisme de l’Etat a désigné par écrit son représentant. Au bout du rouleau, nous étions un peu plus de 70, tous désignés sur la base de critères : compétence, technique, moralité, engagement. Une fois cela fait, nous nous sommes enfermés pendant deux jours, les 27 et 28 février, de 9h à 18h pour savoir où nous voulons aller. Au sortir de ces journées d’études, nous sommes tombés d’accord sur tout et nous avons élaboré un règlement intérieur. Sur près de 75 membres de la commission, nous avons divisé en dix groupes avec un président et un secrétaire.
C’est à partir de ce moment que nous pouvions dire que la commission existe. Nous avons demandé au Président de nous accorder une journée le 28 mars 2012 pour l’installation de cette commission par le Premier ministre. Nous avons donc fini l’œuvre de préparation et savons ce que nous devons faire, qui doit le faire, où nous devons aller et comment y aller. Un travail comme celui-ci nécessite des moyens énormes, mais j’ai demandé un tout petit budget.
Combien ?
Pour le reste de l’année 2013, l’ensemble du budget, c’est-à -dire les frais des voitures, les chauffeurs, les secrétaires, les assistants, les directeurs, les dirigeants, les voyages, les salaires…, n’atteint même pas 700 millions de francs Cfa. Je puis vous dire que la Banque mondiale m’a dit qu’il faut dix fois plus, mais je me contente de ça pour cette première année parce qu’il faut que les Africains puissent prouver qu’ils sont capables de faire sans l’argent des autres pour le moment et, ensuite demander l’argent des autres pour leur donner la garantie que nous n’allons pas gaspiller leur argent.
Que peut-on attendre de cette commission ?
La commission est chargée de vérifier les conditions d’occupation de tout le domaine national qui fait 80% du Sénégal. Rien que pour cela, plusieurs milliards ne peuvent suffire. Il faut des génies pour trouver des méthodes de vérification parce qu’on ne peut pas le faire pour chaque mètre carré quand même ! La commission est chargée de régler tous les conflits qui existent au Sénégal et qui touchent la terre. C’est énorme ! Elle doit aussi aider l’administration à transformer tous les papiers des maisons, des villes, en titres fonciers et étudier toutes les lois du Sénégal pour faire modifier- et au mieux- tout ce qui touche la terre. Enfin, elle doit faire en sorte que tous les investisseurs rêvent de venir au Sénégal. Donc, faire le meilleur mariage possible entre les intérêts de ces investisseurs et ceux des Sénégalais. Mais ça, c’est de la construction.
Finalement, c’est plus qu’un ministère…
Ça n’a rien à voir avec un ministère. C’est la vie du pays, la vie tout court.
Et le budget doit dépasser…
Ce n’est pas un budget ; c’est tout l’argent du Sénégal qu’on doit mettre à notre disposition parce qu’il s’agit du pays et même de l’Afrique.
Comment ?
De l’Afrique du Sud au Sénégal, c’est le même problème qui se pose. Et l’Union africaine a aujourd’hui un département spécial consacré aux réformes foncières parce que tous les territoires étaient colonisés depuis le 19ème siècle. Tous les territoires ont vécu sous les lois de l’Angleterre, du Portugal, des Pays-Bas et de la France qui viennent prendre nos terres et utiliser nos autorités coutumières. Quand nous sommes devenus indépendants, ce sont eux qui nous ont conseillés, mais dans le sens de garder leurs intérêts et qui nous ont formés à oublier nos Peuples. Aujourd’hui, nous prenons tous conscience de cela.
Qui a la solution à ces problèmes-là ?
La Banque mondiale, l’Union africaine, tous les pays du monde sont engagés à cent pour cent pour ces réformes foncières. L’Afrique est redevenue l’avenir du monde. Mais chacun y va avec ses intérêts. La question n’est plus de diviser les intérêts, mais de les unir et c’est là où nous appelons à notre génie collectif à résoudre ces problèmes-là pour que le monde entier puisse dire : «Nous allons en Afrique, mais cette fois-ci pour partager avec les Africains.»
Vous semblez tenir un discours contesté par d’autres qui disent que les autres n’ont pas le droit de venir investir sur nos terres.
Ils n’ont qu’à donner de l’argent à leurs tantes, sœurs afin que ces dernières soient riches ! A partir de ce moment, ils pourront dire cela.
On a vu ce qui s’est passé à Fanaye, Mbane…
Quand ils pourront empêcher leurs enfants d’aller mourir en mer pour émigrer, quand ils pourront faire en sorte que leurs territoires soient des paradis sur terre avec beaucoup d’arbres ou de pelouses, ce jour-là , je dirai oui. Mais tant que nos pays sont désertiques, que nos cousines, sœurs, mères meurent de faim dans le désert, ils ont tort. Ils n’ont pas raison.
Les multinationales sont les bienvenues…
Ce ne sont pas seulement les multinationales. Vous oubliez les Sénégalais qui vivent à Dakar et qui sont riches. Les Sénégalais ingénieurs agronomes, il y en a des centaines qui en ont les moyens ou qui peuvent recevoir des banques les moyens d’aller cultiver la terre. Les multinationales viendront prendre leur part, mais partagée avec nous ? Nous allons le faire. Nous allons créer l’ordonnance qui soigne la maladie. Tout ce que disent tous les Africains, c’est ce que je dis ; je l’ai écrit bien avant eux. Qui vous a encore donné leurs remèdes ? En tant que Commission nationale de réforme foncière au Sénégal, nous avons les remèdes.
Il faudra bien convaincre les populations qui sont réticentes…
Elles seront convaincues. Ce sont des personnes qui les rendent réticentes.
Si on prend l’exemple de Fanaye, c’est un peu ce qui s’était passé. Et puis, le Conseil rural a pris une décision, d’autres n’étaient pas d’accord…
Cette question est dépassée. Lorsque les histoires de Fanaye ont commencé, la Commission nationale de réforme foncière n’existait pas encore. Si le président de la République nous dit, il faut résoudre tous les conflits qui existent, c’est parce qu’ils en existent. Nous sommes là pour les conflits et nous allons les résoudre. Vous ne voulez pas croire qu’on peut faire quelque chose pour le pays. Nous, nous le croyons. Laissez-nous deux ans et vous allez voir.
Quels remèdes proposez-vous alors ?
Nous allons inventer des systèmes. Et nous sommes en train de nous y atteler. Il faut d’abord que nous recevions les moyens pour travailler. Ici, vous êtes dans mon bureau, pas dans une propriété qui appartient au Sénégal. Depuis le mois de juillet 2012, tout ce qui se passe vient de ma poche et de ceux qui travaillent avec moi. Mes collaborateurs sont de vieux fonctionnaires retraités, très expérimentés. Les gens qui travaillent avec moi sont d’actuels fonctionnaires qui sont dans leur bureau, gagnent leur salaire. Ils viennent aussi du privé et ils y gagnent leur vie. D’autres ne travaillent même pas, mais ont beaucoup de compétences. Je les appelle partout et ils me suivent. Les voitures, l’essence, les secrétaires, le papier, même l’adresse et le numéro de téléphone, ce sont les miens.
C’est une dette que l’on vous doit pour le moment…
Non, je l’offre à mon pays. Je me suis toujours donné pour mon pays. Personne ne me doit rien. Mais je dis, ce que le pays attend de nous ne peut plus venir de mes seules forces. C’est tout. J’ai fait cadeau de tout cela. Donc, c’est pour vous dire qu’aujourd’hui, il faut bien faire le tour du Sénégal pour aller à Fanaye et dans d’autres lieux. Il faut aussi que ces gens viennent à notre rencontre mais où ? Dans mon bureau ? Dans ma chambre ? Ce n’est pas normal ! C’est au nom de l’Etat que nous nous exprimons. Monsieur le président de la République a indiqué avec moi un bâtiment qui doit être notre siège et ce petit budget insignifiant que j’ai proposé pour débuter le travail. Mais cela fait plusieurs mois que je cours et personne n’a exécuté ce qu’il a dit. Personne dans l’Administration n’arrive à dire : «Voilà le peu pour commencer.»
Ce n’est pas très encourageant ça…
Rien et personne ne sera à même de me décourager dans ce travail qui est l’un des plus grands combats historiques de l’Afrique que le président de la République prend en charge. C’est le Peuple sénégalais qui peut rater une occasion historique et non Doudou Ndoye. Nous sommes 82 personnes depuis hier. Je suis affirmatif : Vous ne trouverez pas sur tout le continent africain un groupe plus compétent que celui-ci et dans ce domaine-là . C’est moi qui suis allé les chercher. Donc, deÂvant l’histoire, je me glorifierai d’avoir ce mérite. Le Sénégal a tout ce qu’il faut pour réussir.
Les moyens ne suivent pas…
Ce sera dommage pour le Peuple sénégalais.
Est-ce que sur le plan foncier et en tant que juriste, vous aiderez le Sénégal à ne pas être floué davantage dans la révision de certaines conventions minières ?
Le ministère des Mines a son représentant dans la Commission. Les mines, les carrières, le bâtiment, l’architecture, les constructions, les routes, les lotissements, le voisinage, la mer, le loyer, le sous-sol de la mer jusqu’au ciel…, tout ce qui touche à la terre concerne la commission de réforme foncière. Il y a aujourd’hui un Code minier, un Code pastoral en préparation. Ce sont ces ministères-là qui sont les organes exécutifs de la politique du président de la RépubliÂÂque. Nous sommes, en amont, l’organe de réflexion et de régulation destiné au président de la République qui va le diffuser à ces ministères qui vont l’exécuter.
Mais pour l’instant, si nous ne sommes pas assis dans un siège avec assistants, secrétaires, directeurs, voitures, lieu où l’on peut se réunir du matin au soir, mais où est-ce qu’ils vont le faiÂre? Dans mon cabinet d’avocat ? Nous avons dépassé le stade de la pensée. Nous sommes capables de révolutionner le monde pour le SéÂnégal et au nom du Président Macky Sall. Je n’ai pas demandé les moyens pour commencer. Je dis que les moyens qui nous permettent d’appliquer toute cette pensée-là sont ceux de l’Etat. Je ne peux pas prendre ma voiture pour faire le tour du Sénégal alors que je suis en panne presque tous les matins.
Comment qualifierez-vous le système foncier sénégalais ?
On ne qualifie pas un système foncier. Il y a une expression juridique qu’on appelle classification du système foncier. En France, il n’y a même pas de système foncier. Par contre, il y a le Code civil français qui régularise et parle du droit de propriété, c’est tout. (…) Aujourd’hui, le Sénégal a une classification des biens fonciers et non un système foncier. A partir des lois françaises, il y a les biens fonciers qui relèvent de la propriété privée, c’est-à -dire comme les biens français qu’on fait sur du papier. Mais notre papier de type privé s’appelle titre foncier qui n’existe pas en France, qui doit passer chez un notaire. L’Etat a des biens de titres fonciers. Senghor vient et dit que tout le reste c’est le domaine national, c’est-à -dire que ça n’appartient à personne, mais à la Nation. Ça, c’est de la sociologie et non du droit ! Qui est la Nation ? Personne.
Ou l’Etat…
Non, la Nation. L’Etat est un organe pour gérer les intérêts des populations d’une Nation. C’est pourquoi l’Etat se met souvent en conflit avec les citoyens d’ailleurs. Avant, c’étaient des rois, maintenant c’est devenu une République. Et Senghor dit que l’Etat a ses biens privés, comme nous, nous en disposons. On crée une catégorie nouvelle de 1972 qui s’appelle le conseiller rural chargé de gérer les biens de la Nation. Mais l’Etat peut, quand il le souhaite, prendre les biens de la Nation et en faire sa propriété privée.
Et donc exproprier des privés…
Même pas. Les privés, c’est autre chose. L’expropriation peut se porter ici, là où vous êtes. Mais parlons seulement des biens nationaux qu’on ne peut pas exproprier. Si, à tout moment, l’Etat peut prendre vos terres et y mettre son nom ou le donner à qui il veut, est-ce que vous allez investir sur cette terre ? Vous n’allez pas le faire. Ce qui fait que tout le monde a abandonné la terre. Vous finissez par partir parce que vous êtes chômeur pendant 10 mois. Vous n’avez aucune espérance d’être propriétaire de votre terre où d’y faire quoi que ce soit. En plus, l’Etat laisse aux conseillers ruraux la gestion des terres sans aucun moyen. De sorte qu’aujourd’hui, nous trouvons les terres des domaines privés qui nous appartiennent, comme nos maisons dans la ville. L’Etat peut prendre n’importe quoi et donner à n’importe qui sans aucune explication, sans aucune indemnité. C’est cela la question juridique qui se pose fondamentalement.
Qu’il faudra réformer ?
Disons, il faudra corriger le mal et le remplacer par le bien et pour le bien de tout le monde. En tout cas, nous n’avons pas l’intention d’être des redresseurs du tort, mais de considérer la situation qui existe dans ces mauvais côtés et de faire en sorte que nous apportions les compléments qui permettent à notre Peuple de souffler. Si on peut appeler cela réforme foncière, oui. On parle de la terre, mais il y a aussi les constructions, les maisons, tous les lotissements qui se font au Sénégal. Le voisin ne s’occupe pas du voisin, mais dans tous les pays civilisés du monde, lorsqu’il y a 200 maisons qui se construisent quelque part, il y a des règlements de copropriété et de voisinage. Vous sortez de votre maison, vous êtes dans une rue qui est propre avec des arbres, vos enfants vivent dans un environnement saint qui a beaucoup d’oxygène. Nous n’avons pas de vie urbaine. Si vous allez dans les grandes capitales européennes, vous pouvez marcher toute la journée dans les rues et vous êtes heureux de regarder les trottoirs, les magasins, de vous asseoir sur des bancs. Est-ce que vous avez une promenade à Dakar ? On n’a pas droit au bonheur !
Autrement dit, il n’y a plus d’espace ?
Il n’y a que de l’espace. A Paris, il n’y avait pas d’espace. Paris était l’une des villes les plus malfamées d’EuÂrope ; aujourd’hui c’est la ville la plus prisée d’Europe. Aujourd’hui, si vous allez au quartier du Panier à MarÂseille, vous êtes heureux. Pourtant, c’était le lieu le plus malfamé de MarÂseille. Donc, l’espace existe toujours et existera toujours ; c’est nous qui l’utilisons mal. On doit donc réformer pour que les gens vivent bien.
Tout est occupé, tout est vendu, il n’y a plus d’espace par exemple sur le domaine public maritime…
(Il insiste) Il y aura toujours de l’espace ; nous ne quitterons jamais la terre. C’est à nous de réformer, de réorganiser notre espace et nous en sommes capables. Il ne faut pas être défaitiste ; moi je ne le suis pas.
Et la transformation des baux en titres fonciers ?
C’est la transformation des permis d’occuper mais les baux sont concernés aussi pour deux raisons. Les baux portent sur des biens de l’Etat faisant l’objet d’un titre foncier et l’Etat vous donne un bail emphytéotique qui est inscrit sur le titre foncier et qui vous donne des droits réels que vous pouvez hypothéquer. Alors que le permis d’habiter est une autorisation précaire sans aucun droit de vivre sur une terre qui appartient à l’Etat. Ce n’est pas inscrit sur le titre foncier, vous ne pouvez pas emprunter avec et aujourd’hui l’Etat a dit que ces papiers peuvent être déchirés et jetés parce qu’ils sont nuls, donc vous n’avez plus rien.
Que peut-on dire aujourd’hui de votre compagnonnage politique avec le président de la République ?
Je n’aime pas le mot «compagnonnage» ; je l’ai souvent dit dans toutes les interviews. Je ne suis pas un compagnon du président de la RépubliÂque. Je l’ai choisi comme candidat, je l’ai accompagné, je suis solidaire avec lui dans sa conquête du pouvoir et dans son exercice du pouvoir.
Si vous l’avez accompagné, c’est un compagnonnage non ?
Non, nous sommes un. Macky Sall et Doudou Ndoye constituent la même personne du point de vue politique pour la conÂquêÂte du pouvoir et dans l’exercice du pouvoir (Il se répète). Je suis lui et je veux qu’il soit moi aussi.
Vous n’êtes pas son allié ?
Non.
Vous avez votre parti et lui le sien ?
Oui, mais c’est plus qu’une alliance. Vous savez, les mots sont très délicats pour moi. Je vais m’expliquer un peu : nous étions tous des rivaux parce que nous étions tous des candidats. Au deuxième tour, il n’y avait plus que deux rivaux qui étaient Abdoulaye Wade et Macky Sall. Ensemble, nous avons constitué un groupe pour porter Macky Sall à la présidence de la République. Ce groupe s’est appelé Benno bokk yaakaar. Notre Président avait un programme qu’on a épousé, chacun avec sa sensibilité. Mais quand même, je suis sur le terrain politique depuis 1958 ! J’ai vu Senghor marcher et moi, assis sous ses pieds.
Donc, ce n’est pas par les idées de Macky Sall que je suis arrivé à la politique. C’est peut-être par nos idées qu’il est arrivé, lui, à la politique ; donc nous sommes porteurs de nos propres idées. La preuve est que depuis 30 ans, je me bats pour cette Commission nationale de la réforme foncière que je considère comme étant le Sénégal et même l’Afrique. Donc, ce n’est pas parce que Macky Sall existe que je m’occupe de foncier, mais je le lui donne parce que nous avons voulu qu’il porte le destin de notre Nation. Maintenant, comment ça se passe sur le plan pratique ? Comme dans tous les mariages, dans tous les couples, vous vous êtes livré l’un à l’autre pour l’avenir et le destin de vos enfants et petits enfants. Et comment ça marche dans la maison ? Aujourd’hui bien, demain mal, après demain un peu mieux mais nous sommes ensemble.
Il y a des incompatibilités d’humeur comme on dit ?
Non, il n’y a pas d’humeur entre le Président et moi ; il n’y en a jamais eu parce que vous ne m’avez jamais entendu parler…
Mais vous avez fait un peu avec la métaphore du mariage ?
(Rires) Oui, mais dans le mariage, s’il y avait des incompatibilités d’humeur, on aurait divorcé depuis longtemps.
Il y en a quand même parfois en politique, des désaccords par exemple…
Mais il n’y a aucun désaccord entre le Président Macky Sall et moi. Par contre, il y a un groupe qui s’appelle Benno bokk yaakaar, qui s’est scindé en deux, malheureusement. Un premier qui s’est dit politiquement plus représentatif. Je dis oui en termes d’électorat. Mais si ce n’était qu’en termes d’électorat, tous les pays africains seraient développés.
Vous parlez de ce groupe que Idrissa Seck qualifie de «bande à 4»?
Oui, mais lui aussi en fait partie. La quantité n’est qu’animalité sans la qualité. Merci Macky Sall pour avoir mis la quantité et la qualité pour accéder au pouvoir. Maintenant, la qualité et la quantité se sont séparées et c’est cela le mal de Bby. Que chacun en tire les conséquences qu’il veut.
Même dans la gestion de l’Etat il a plus pris en compte la quantité que la qualité ?
Que chacun en tire les conséquences qu’il veut ! Pasteur, Einstein, Hugo, Lamartine sont ceux qui ont fabriqué le monde. Et Napoléon Bonaparte lui-même a dit que ce qui l’a le plus impressionné dans sa vie, c’est que le savoir finit toujours par triompher sur les armes. MaÂlheuÂreusement, Bby a fait une dissociation entre la qualité et la quantité. Macky Sall et moi-même nous sommes ensemble et nous le resterons.
Est-ce que vous partagez la méthode de Idrissa Seck qui critique et garde sa liberté d’expression ?
Et la méthode Doudou Ndoye ? Elle a toujours été de créer des concepts scientifiques pour faire progresser son Peuple. C’est la réforme foncière qui a apporté le bonheur à l’Afrique.
Il y a aussi les questions d’actualité ?
L’actualité, c’est de manger, de boire, de dormir, de vivre dans une maison qui vous appartient. Il n’y a pas d’autres actualités sur terre. Quand on meurt de faim, quand on dort dans la rue, quand vos enfants ne vont pas à l’école, quelle est alors la bonne actualité ? Tout à l’heure, nous avons dit que nous allons donner des titres fonciers à ceux qui ont des permis d’habiter, près de 200 000 maisons sont concernées et pourront accéder au crédit bancaire. Vous savez ce que ça représente comme argent dans le pays ? C’est cela l’avenir d’un pays, mais tout le reste c’est du blabla !
Les critiques contre le gouvernement sont du blabla ?
Il n’y a pas un gouvernement qui ne soit pas critiquable sur terre et il n’y en aura jamais. Il n’y a jamais eu d’homme parfait et il n’y en aura jamais sur terre.
Donc, il faut tolérer les critiques ?
Bien entendu. Si on ne vous critique pas, vous ne progresserez pas. Aujourd’hui, à mon âge, la plus grande chose qui m’est arrivée, c’est de savoir que ma seule voix ne compte pas. Le groupe auquel j’appartiens (Ndlr : Bby) doit discuter pour arriver à un résultat. La critique est la meilÂleure des choses pour un être humain et pour un gouvernement. Et un gouvernement, c’est un jeu d’intérêts dans tous les pays du monde. Mais ce sont les gens qui n’ont aucun intérêt qui pensent bien et peuvent aider ce gouvernement à faire du bien.