La polémique autour des questions de la Shari‘a, qui ne date pas de nos jours, demeure un fait qui a fait couler beaucoup de salive ces jours-ci, d'où la nécessité d’apporter quelques éclairages.
En effet, la culture de la pensée unique semble être le plus vilain défaut de la plupart de nos Oustaz, nos Imams et nos prêcheurs. Défaut qui gangrène une grande partie de la communauté musulmane sénégalaise.
Tout récemment, la diffusion des épisodes 33 et 34 de la fameuse série télévisée « Wiri Wiri » du mois de Juillet fut marquée par la prestation d’Oustaz Makhtar Sarr qui fut sollicité pour répondre à la question de Junior ou Jojo à savoir si, selon les principes de la Sharî‘a, il pouvait épouser sa fiancée Lalia de son vrai nom Soumboulou qui, auparavant, fut victime de viol de la part du père de Junior ?
Ainsi, après avoir consulté un ouvrage bien connu dans le domaine de la jurisprudence islamique : « La Risala », Oustaz Makhtar soutint que le mariage dans ce cas précis, selon le rite malikite est autorisé. Subséquemment, dans l’épisode suivant de la même série le Cheikh Ahmed Khalifa Niass fut également sollicité à son tour, pour répondre à la même question cette fois-ci de la part de Daddy Guèye alias Saanex. Mais celui-ci donna une réponse qui contredisait de manière formelle l’avis d’Oustaz Makhtar Sarr, en se fondant sur le verset coranique dans lequel Allah dit : « Et n’épousez pas les femmes que vos pères ont épousées, exception faite pour le passé » (Sourate An-nisâ Verset 22).
Dès le lendemain dudit épisode, on constata sur tous les réseaux sociaux et à travers les médias locaux, de lourdes controverses, qui parfois virèrent à des disputes voire même des insultes venant de toutes parts.
Toutefois, il est de notre devoir en tant que professeur et chercheur sur des domaines aussi divers que la civilisation arabo-islamique et l’Islam en Afrique noire, de rappeler à nos chers correligionnaires comme nous le recommande le verset coranique dans lequel Allah Le Très-Haut dit : « Et rappelle, car le rappel profite aux croyants » (Sourate 51 ; verset 55).
Pour diagnostiquer la situation, nous devons, avons tout, nous intéresser aux trois principales causes, qui la plupart du temps, entraînent des divergences doctrinales depuis les origines jusqu’aujourd’hui.
D’abord, force est de constater que tous les musulmans à l’unanimité s’accordent sur l’originalité des textes coraniques, les mêmes textes coraniques que nous avons au Sénégal sont pareils à ceux que l’on retrouve en Arabie Saoudite et partout dans le monde. Néanmoins, la diversité de la compréhension de certains versets du Coran ou des Hatith du Prophète (PSL), demeure une cause majeure de cette variété d’opinions au sein même des jurisconsultes.
A cela s’ajoute la différence entre les méthodes de raisonnement et d’interprétation des textes chez la plupart des grands penseurs musulmans. Au moment où certains Imam s’attachent à l’esprit du texte, d’autres semble s’en tenir strictement au sens littéral sans tenir compte du pourquoi de la règle et de sa finalité.
Et enfin, nous avons le souci d’authenticité des Hadith du fait de l’existence de Hadith jugés faibles et d’autres authentiques.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui pensent que lorsqu’il y a deux avis différents à propos d’une même question « Massala », un seul des deux est juste et l’autre, erroné.
Pourtant, du fait de la souplesse de la Sharî‘a et sa capacité à s’adapter à toutes les circonstances de temps et d’espace, l’Islam a toujours connu des divergences d’opinions sans tambour ni trompette. Et ce, depuis l’époque du Prophète (PSL) et des Califes orthodoxes ; l’on peut prendre l’exemple du célèbre Hadith selon lequel notre Messager Muhammad (PSL) dixit : « Que personne n’accomplisse la prière d’al- ‘Asr si ce n’est chez les Banû Qurayza ».
Ce Hadith révèle le silence du Prophète (PSL) face à deux interprétations du même propos venant de lui, l’une considérant qu’il fallait accomplir la prière d’al-‘Asr avant le coucher du soleil, même si on n’était pas arrivé chez les Banû Qurayza, l’autre qu’il ne fallait accomplir la prière d’al- ‘Asr que chez les Banû Qurayza, même si l’on aperçoit le coucher du soleil. Sachant bien que le silence du Prophète (PSL) demeure un synonyme de son approbation. Donc les deux interprétations de la même parole du Prophète s’avèrent justes dans ce Hadith et que chacun de ces deux groupes avaient raison.
Selon un autre Hadith du Prophète (PSL) : « Lorsque le juge va rendre le jugement, fait l’effort de réflexion (Ijtihâd) puis parvient à ce qui est juste (assâba), il a deux récompenses ; et si allant rendre le jugement, il fait l’effort puis se trompe (akhta’a), il a une récompense » (al-Bukhârî 6919, Muslim 1716).
Nous avons aussi le cas avec l’Imam as-Shâfi‘î qui après avoir appris la jurisprudence (fiqh) selon l’école malikite puis plus tard selon l’école hanafite, finit par s’opposer à certaines opinions de ces deux écoles et ses avis constituent les préceptes de l’une des plus célèbres écoles.
Ce fut le cas aussi avec nos guides religieux tels que le Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass et Cheikh Sidi El hadji Malick Sy qui malgré leur sympathie indiscutable, ne partageaient pas le même avis sur la zakabilité ou la non zakabilité de l’arachide. Même cas avec le Cheikh al-Islam El Hadji Ibrahima Niass qui n’était pas de même avis que son propre frère Mame Khalifa Niass sur la question de « Sadlou » (les mains libres) ou le Khadbou (les mains à la poitrine) et pourtant ils se vouaient un respect mutuel doublé d’admiration.
Ce fut le cas de la majorité des savants du pays. Les divergences ont toujours existé entre les savants d’une confrérie à une autre ou parfois au sein d’une même confrérie. Mais tout ceci n’avait pas d’impact sur leurs relations et le respect mutuel de chacun d’entre eux.
Ainsi, pour en revenir aux propos d’Ahmed Khalifa Niass contredisant Oustaz Sarr, nous avons le verbe Ù†ÙƒØ Â« Nakaha » en arabe qui selon la plupart des exégètes signifie dans le verset, « épouser ». N’empêche que certains parmi les Imam des écoles doctrinales tel que Abû Hanifa, soutiennent que ce terme fait allusion dans ce verset au rapport sexuel et que dans ce cas, quiconque commet un tel péché avec une femme que cela soit par consentement ou pas, son fils ne pourrais jamais épouser cette dernière.
Donc, même si les uns peuvent contester avec des arguments son opinion juridique pour n’avoir observé que les rites d’une seule et unique école à savoir celle Malikite, il faut aussi admettre que dans son raisonnement, il s’appuie non seulement sur un verset coranique mais partage également la même interprétation que l’Imam Abû Hanifa, dont l'école doctrinale demeure parmi les plus anciennes.
Par conséquent, il convient de distinguer entre les divergences portant sur le dogme et celles doctrinales. Les divergences portant sur le dogme de la religion engendrent souvent des conflits et des divisions au sein même de la communauté tandis que les divergences doctrinales doivent constituer l’expression d’une diversité qui fait la richesse de l’Islam. Il faut entendre par pluralité d’opinions, une pluralité de choix susceptibles de diminuer des excès ou manquements soit par oubli ou par ignorance.
Toutes ces divergences ne font que nous donner de nombreuses possibilités qui permettront aux uns et aux autres, de choisir la solution qui leur convient. Chose qui nous facilitera la pratique de la religion. D’où le sens de la parole des sages qui dit : « La divergence constitue une source de miséricorde divine, car elle contribue à la facilitation dans le cadre de la religion ».
Pr. Babacar Touré (Nayloul Maram)
Chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Directeur de l’Institut Islamique Nayloul Maram
Babacarcevok@gmail.com
En effet, la culture de la pensée unique semble être le plus vilain défaut de la plupart de nos Oustaz, nos Imams et nos prêcheurs. Défaut qui gangrène une grande partie de la communauté musulmane sénégalaise.
Tout récemment, la diffusion des épisodes 33 et 34 de la fameuse série télévisée « Wiri Wiri » du mois de Juillet fut marquée par la prestation d’Oustaz Makhtar Sarr qui fut sollicité pour répondre à la question de Junior ou Jojo à savoir si, selon les principes de la Sharî‘a, il pouvait épouser sa fiancée Lalia de son vrai nom Soumboulou qui, auparavant, fut victime de viol de la part du père de Junior ?
Ainsi, après avoir consulté un ouvrage bien connu dans le domaine de la jurisprudence islamique : « La Risala », Oustaz Makhtar soutint que le mariage dans ce cas précis, selon le rite malikite est autorisé. Subséquemment, dans l’épisode suivant de la même série le Cheikh Ahmed Khalifa Niass fut également sollicité à son tour, pour répondre à la même question cette fois-ci de la part de Daddy Guèye alias Saanex. Mais celui-ci donna une réponse qui contredisait de manière formelle l’avis d’Oustaz Makhtar Sarr, en se fondant sur le verset coranique dans lequel Allah dit : « Et n’épousez pas les femmes que vos pères ont épousées, exception faite pour le passé » (Sourate An-nisâ Verset 22).
Dès le lendemain dudit épisode, on constata sur tous les réseaux sociaux et à travers les médias locaux, de lourdes controverses, qui parfois virèrent à des disputes voire même des insultes venant de toutes parts.
Toutefois, il est de notre devoir en tant que professeur et chercheur sur des domaines aussi divers que la civilisation arabo-islamique et l’Islam en Afrique noire, de rappeler à nos chers correligionnaires comme nous le recommande le verset coranique dans lequel Allah Le Très-Haut dit : « Et rappelle, car le rappel profite aux croyants » (Sourate 51 ; verset 55).
Pour diagnostiquer la situation, nous devons, avons tout, nous intéresser aux trois principales causes, qui la plupart du temps, entraînent des divergences doctrinales depuis les origines jusqu’aujourd’hui.
D’abord, force est de constater que tous les musulmans à l’unanimité s’accordent sur l’originalité des textes coraniques, les mêmes textes coraniques que nous avons au Sénégal sont pareils à ceux que l’on retrouve en Arabie Saoudite et partout dans le monde. Néanmoins, la diversité de la compréhension de certains versets du Coran ou des Hatith du Prophète (PSL), demeure une cause majeure de cette variété d’opinions au sein même des jurisconsultes.
A cela s’ajoute la différence entre les méthodes de raisonnement et d’interprétation des textes chez la plupart des grands penseurs musulmans. Au moment où certains Imam s’attachent à l’esprit du texte, d’autres semble s’en tenir strictement au sens littéral sans tenir compte du pourquoi de la règle et de sa finalité.
Et enfin, nous avons le souci d’authenticité des Hadith du fait de l’existence de Hadith jugés faibles et d’autres authentiques.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui pensent que lorsqu’il y a deux avis différents à propos d’une même question « Massala », un seul des deux est juste et l’autre, erroné.
Pourtant, du fait de la souplesse de la Sharî‘a et sa capacité à s’adapter à toutes les circonstances de temps et d’espace, l’Islam a toujours connu des divergences d’opinions sans tambour ni trompette. Et ce, depuis l’époque du Prophète (PSL) et des Califes orthodoxes ; l’on peut prendre l’exemple du célèbre Hadith selon lequel notre Messager Muhammad (PSL) dixit : « Que personne n’accomplisse la prière d’al- ‘Asr si ce n’est chez les Banû Qurayza ».
Ce Hadith révèle le silence du Prophète (PSL) face à deux interprétations du même propos venant de lui, l’une considérant qu’il fallait accomplir la prière d’al-‘Asr avant le coucher du soleil, même si on n’était pas arrivé chez les Banû Qurayza, l’autre qu’il ne fallait accomplir la prière d’al- ‘Asr que chez les Banû Qurayza, même si l’on aperçoit le coucher du soleil. Sachant bien que le silence du Prophète (PSL) demeure un synonyme de son approbation. Donc les deux interprétations de la même parole du Prophète s’avèrent justes dans ce Hadith et que chacun de ces deux groupes avaient raison.
Selon un autre Hadith du Prophète (PSL) : « Lorsque le juge va rendre le jugement, fait l’effort de réflexion (Ijtihâd) puis parvient à ce qui est juste (assâba), il a deux récompenses ; et si allant rendre le jugement, il fait l’effort puis se trompe (akhta’a), il a une récompense » (al-Bukhârî 6919, Muslim 1716).
Nous avons aussi le cas avec l’Imam as-Shâfi‘î qui après avoir appris la jurisprudence (fiqh) selon l’école malikite puis plus tard selon l’école hanafite, finit par s’opposer à certaines opinions de ces deux écoles et ses avis constituent les préceptes de l’une des plus célèbres écoles.
Ce fut le cas aussi avec nos guides religieux tels que le Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass et Cheikh Sidi El hadji Malick Sy qui malgré leur sympathie indiscutable, ne partageaient pas le même avis sur la zakabilité ou la non zakabilité de l’arachide. Même cas avec le Cheikh al-Islam El Hadji Ibrahima Niass qui n’était pas de même avis que son propre frère Mame Khalifa Niass sur la question de « Sadlou » (les mains libres) ou le Khadbou (les mains à la poitrine) et pourtant ils se vouaient un respect mutuel doublé d’admiration.
Ce fut le cas de la majorité des savants du pays. Les divergences ont toujours existé entre les savants d’une confrérie à une autre ou parfois au sein d’une même confrérie. Mais tout ceci n’avait pas d’impact sur leurs relations et le respect mutuel de chacun d’entre eux.
Ainsi, pour en revenir aux propos d’Ahmed Khalifa Niass contredisant Oustaz Sarr, nous avons le verbe Ù†ÙƒØ Â« Nakaha » en arabe qui selon la plupart des exégètes signifie dans le verset, « épouser ». N’empêche que certains parmi les Imam des écoles doctrinales tel que Abû Hanifa, soutiennent que ce terme fait allusion dans ce verset au rapport sexuel et que dans ce cas, quiconque commet un tel péché avec une femme que cela soit par consentement ou pas, son fils ne pourrais jamais épouser cette dernière.
Donc, même si les uns peuvent contester avec des arguments son opinion juridique pour n’avoir observé que les rites d’une seule et unique école à savoir celle Malikite, il faut aussi admettre que dans son raisonnement, il s’appuie non seulement sur un verset coranique mais partage également la même interprétation que l’Imam Abû Hanifa, dont l'école doctrinale demeure parmi les plus anciennes.
Par conséquent, il convient de distinguer entre les divergences portant sur le dogme et celles doctrinales. Les divergences portant sur le dogme de la religion engendrent souvent des conflits et des divisions au sein même de la communauté tandis que les divergences doctrinales doivent constituer l’expression d’une diversité qui fait la richesse de l’Islam. Il faut entendre par pluralité d’opinions, une pluralité de choix susceptibles de diminuer des excès ou manquements soit par oubli ou par ignorance.
Toutes ces divergences ne font que nous donner de nombreuses possibilités qui permettront aux uns et aux autres, de choisir la solution qui leur convient. Chose qui nous facilitera la pratique de la religion. D’où le sens de la parole des sages qui dit : « La divergence constitue une source de miséricorde divine, car elle contribue à la facilitation dans le cadre de la religion ».
Pr. Babacar Touré (Nayloul Maram)
Chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Directeur de l’Institut Islamique Nayloul Maram
Babacarcevok@gmail.com