Des « Sargal » durant la COVID aux arrestations pour le personnel de santé : que se passe-t-il au Sénégal ?


Rédigé le Lundi 5 Septembre 2022 à 12:32 | Lu 164 fois | 4 commentaire(s)



La perte d’une vie humaine est toujours un drame quelles que soient les circonstances. l’AFEMS présente ses sincères condoléances à la famille de la défunte. Le décès de Doura Diallo nous rappelle douloureusement qu’aucune femme ne devrait perdre la vie en donnant la vie.


Quelques mois après que les agents de santé aient payé un lourd tribut et reçu des félicitations pour leur professionnalisme dans la gestion de la Covid 19, mieux gérée au Sénégal que dans beaucoup de pays y compris les plus nantis, voici que suite à des drames survenus dans les structures sanitaires du pays, ce même personnel de santé est systématiquement placé en garde à vue.

Que s’est-il passé à Kédougou ?

Une femme et le bébé qu'elle portait sont décédés dans la nuit de mardi 30 août lors de l'accouchement au Centre de Santé de Kédougou. Trois professionnels de santé (Gynécologue, Infirmier Anesthésiste et Infirmier du bloc opératoire) ont été placés en garde à vue et un communiqué de presse du procureur a été diffusé faisant état « d’homicide volontaire, de complicité et forte négligence ».

La défunte, diabétique, a eu 3 accouchements dont le dernier par césarienne. Elle a débuté son suivi prénatal au poste de Santé de Dalaba dans la commune, d’où elle a été référée au centre de santé pour une prise en charge par le gynécologue. Ce dernier a prescrit 45 jours auparavant, un accouchement par césarienne qui a été programmé car elle ne devait pas entrer en travail compte tenu de sa situation médicale durant cette grossesse.

Cette prescription n’a pas été suivie, puisque le jour du drame, elle est arrivée en travail au Centre de santé, après plusieurs tentatives pour être prise en charge au poste de santé. A son arrivée au Centre de santé, le pronostic vital de la mère et du bébé était engagé.

L’équipe médicale l’a admise au Bloc chirurgical et a communiqué avec la famille durant l’intervention. Malgré le traitement effectué, les décès de la mère et du bébé ont été constatés.

Le procureur, informé des décès, a déclenché une procédure plaçant l’équipe médicale en garde à vue et a diffusé un communiqué de presse dont voici quelques extraits :
« … les manœuvres du gynécologue pour extraire le nouveau-né ont causé le décès du nouveau-né. Le billet de mort de l’enfant venait d’être froidement acté par ces actes dits médicaux pour ne pas dire radicaux».

« A l’analyse des faits, une forte négligence médicale, une incompétence notoire ainsi qu’un manquement manifeste aux règles élémentaires de la médecine ont été relevés»…

S’agit-il d’une faute médicale ?

Il n’y a aucune faute médicale ! Ceci a été confirmé par l’audit commandité par le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale et par le comité d’experts de l’ASGO.

Devant le tableau clinique présenté par la patiente à l’arrivée au centre de santé, toutes les techniques utilisées rentrent dans le cadre des procédures de prise en charge reconnues et validées par la pratique obstétricale. Rappelons que l’Article 36 du code de déontologie médicale de 1966 de l'Ordre National des médecins du Sénégal stipule que :

« Au cours d’un accouchement dystocique ou prolongé, le médecin doit se considérer comme étant le seul juge des intérêts de la mère et de l’enfant, sans se laisser influencer par des considérations d’ordre familial »…

Le retard à la consultation a été déterminant dans la cascade morbide. Malgré les injonctions du personnel de santé et la prescription de césarienne avant le travail par le spécialiste, l’arrivée tardive au centre de santé a considérablement réduit les chances de survie de la mère et du bébé.

Quelles sont les conditions de travail ?

Il est important de rappeler également les conditions de travail difficiles du personnel de santé dans les régions comme Kédougou qualifiées de déserts médicaux : insuffisance de personnel qualifié entrainant une surcharge de travail considérable pour ceux qui y servent, faiblesse du plateau technique, défis socioculturels à l’utilisation des services, etc…

Malgré ce contexte, les prestataires de santé de ces régions, après des études longues et ardues consentent à des sacrifices personnels et familiaux et y officient avec tous les risques (surmenage, burn out...). Un lourd tribut est payé par le personnel de santé dans ces régions...

L’équipe du Centre de Santé de Kédougou, en particulier Dr Léonce Faye a apporté une contribution notable et reconnue y compris par la population, dans la réduction de la mortalité maternelle dans la région.

L’urgence est de libérer l’équipe soignante !

Le préjudice à la population est énorme avec l’interruption des soins exposant les femmes de Kédougou à une recrudescence de la mortalité maternelle. Au moment où nous couchons ces lignes, le bloc est non fonctionnel alors que des femmes ont besoin d’interventions chirurgicales urgentes, et se trouvent ainsi en sursis.

Cette détention inadmissible porte atteinte aux membres d’une équipe compétente et engagée qui risquent de porter à jamais les séquelles de cette procédure injuste.
Au-delà, cette situation affecte l’ensemble du personnel de santé qui est discrédité et dévalorisé aux yeux du public.

Le rétablissement de la relation de confiance soignants-soignés s’annonce très difficile, ouvrant la porte aux pratiques à risque (prise de décoctions, recours tardif aux soins…).
Cette dérive d’arrestations systématiques du personnel de santé dès qu’il y a un drame dans une structure sanitaire doit cesser. Au vu de la gravité du préjudice subi par toute la
profession, des excuses publiques sont exigées, ainsi qu’une réparation du préjudice aux concernés : Dr Léonce Mbada Faye, Abdou Aziz Dioum, Bakary Diabakhaté.
Le personnel de santé n’est pas l’ennemi de la population, son sacerdoce après de longues et difficiles études, est de soigner et sauver des vies.

C’est ensemble, population et personnel de santé que nous arriverons à éviter que de tels drames ne se reproduisent.

Cette tribune est signée par l’Association des Femmes Médecins du Sénégal



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