Le 09 mars 2018, au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, alors que plusieurs d’entre nous poursuivions nos réflexions sur les combats à mener et le chemin restant à parcourir, voici ce que Monsieur Songué, professeur de philosophie au lycée, affirmait à l’endroit des femmes sur le plateau de l’émission "Jaakarlo": « Nous devrions porter plainte parce que vous faites tout pour que nous vous violons, et quand nous vous violons , nous allons en prison et vous qui avez tout fait pour qu’on vous viole, vous continuez à être libres. J’assume pleinement et entièrement ce que je dis, je coupe la poire en deux, le pauvre qui est tombé dans le panneau prendra 10 ans et celle qui a tout fait pour être violée continue à être libre. Même au sein de la maison, celle qu’on a violée, c’est celle qui a des formes généreuses ».
Inversion des rôles : les agresseurs deviennent les victimes. Les femmes et filles coupables des agressions qu’elles ont subies. Rires dans le public. Cette émission qui se voulait, à l’occasion du 08 mars, une “célébration” des femmes, est devenue le théâtre d’une apologie du viol. Ce discours d’une violence inouïe, proféré sur la place publique, est révélateur de la violence systémique et systématique que subissent les femmes au quotidien. Cette violence devenue ordinaire est présente partout et à toute heure de la journée. Elle se traduit par de nombreuses agressions des plus ténues au plus violentes, incluant le harcèlement dans la rue et au travail, la violence (tant physique que psychologique) qui s’exerce aux niveaux conjugal et familial, ou encore les agressions sexuelles, viols et incestes.
Nous souhaitons alerter et susciter le débat sur l’ampleur de ces violences à l’encontre des femmes et des filles mais aussi sur l’indifférence qu’elles suscitent hélas encore trop souvent dans notre pays.
Qu’ont ces violences en commun et qu’est ce que cela nous révèle? Ces violences ne sont pas des actes isolés. Elles surviennent dans un climat d’impunité généralisée où des hommes tout puissants peuvent disposer du corps des femmes sans avoir à répondre de leurs actes. Une loi contre le viol existe bel et bien au Sénégal mais nous savons que son application est plus que limitée. Aussi, est-il important de préciser que la capacité de mobiliser l’appareil judiciaire dépend de ressources que de nombreuses victimes n’ont pas. Il faut connaître l’existence de la loi, comprendre le processus judiciaire, et surtout être prête à faire face à un système dans lequel les femmes restent considérées comme les seules responsables de leur sécurité.
Au Sénégal comme ailleurs, les victimes d’abus sexuels et d’autres formes de violences ne dénoncent que très peu leurs agresseurs. Elles sont habitées par un sentiment de honte créé et renforcé par le blâme imputé à la victime. On leur reproche leur apparence, leur habillement, leur démarche, leurs heures de sortie, leur fréquentation de certains lieux. De tels messages sont reçus et enregistrés par toutes celles qui, un jour, feront le choix douloureux de se taire, parce que se sentant profondément honteuses et se disant, non sans raison, qu’on ne les croira pas.
La honte “doit changer de camp”. Les femmes devraient pouvoir dénoncer la violence, quelle que soit sa forme, et se sentir accueillies dans leur démarche. Nous devons collectivement dénoncer ces violences et les inégalités structurelles qui leur permettent d’exister et d’être légitimées. Si des individus comme Songué Diouf peuvent se permettre de proférer de telles obscénités à la télévision sénégalaise, à un moment où les femmes du monde entier se soulèvent pour dénoncer d’une seule voix, les agressions sexuelles et leur banalisation, c’est bien parce qu’ils mesurent la force de l’impunité qui est le propre même de la culture du viol. #metoo, #balancetonporc, #moiaussi et #domasiif (depuis le 12 mars 2018) ne sont pas des hashtag vides de sens. Ils traduisent une volonté de libérer et de décomplexer enfin la parole féminine.
Dans le cas du Sénégal, ce message n’est pas, jusqu’à ce jour, entendu. Le silence des autorités, notamment celui de la Ministre de la Famille et du Genre, pendant que les femmes et leurs alliés se mobilisent, en est la preuve. Sa voix aurait dû être la première à condamner publiquement et fermement ce type de discours et à rappeler aux victimes qu’elles ne sont pas seules, que l’Etat a le devoir de les protéger.
En tant que collectif de femmes du Sénégal et de la diaspora, nous dénonçons vigoureusement toutes les formes de violence à l’égard des femmes et appelons à une réaction des pouvoirs publics. Dans un Sénégal qui a ratifié les conventions internationales et régionales en matière d’égalité entre les sexes, il est impératif d’assurer l’application du droit et de promouvoir de manière effective une éducation à la sexualité et au respect de l’intégrité physique et psychologique de tous les individus, en particulier des femmes et des enfants. À ce sujet, nous pensons que la création d’une commission d’enquête nationale sur les violences faites aux femmes est une étape non négligeable.
En 2008, l’Association des Juristes Sénégalaises soumettait un rapport expliquant de façon détaillée comment l’on pourrait s’inspirer du Rwanda pour l’éradication des violences basées sur le genre (VBG). L’association recommandait notamment de “faire des VBG une priorité en santé publique”, désigner un “procureur spécial chargé des violences basées sur le genre” et renforcer le “dispositif législatif et réglementaire sur l’équité, l’égalité du genre et sur la prévention et l’élimination des VBG” Ces recommandations font état de la nécessité d’une intervention systémique ne pouvant s’opérationnaliser sans la présence, dans nos institutions, de personnes préoccupées par l’égalité entre les femmes et les hommes. L’application de ces recommandations serait un pas dans la bonne direction impliquant la mise en place d’un réseau de soutien des victimes au-delà du judiciaire. Cela se traduirait notamment par:
La création d’espaces de parole sécuritaires organisés par et pour les femmes sénégalaises·
L’implication de groupes de santé psychosociaux pour développer des ressources d’accueil et d’hébergement, des ressources thérapeutiques appropriées et accessibles pour les victimes de viol et d’abus sexuels qui intègre une approche féministe, intersectionnelle et décoloniale.
La prise d’initiatives concertées pour développer l’estime de soi des femmes qui ont été victimes de violences sexuelles afin qu’elles reprennent pas à pas le pouvoir sur leur vie et leur avenir.
Ce sont là un ensemble de pistes qui nous permettront d’offrir un meilleur soutien aux victimes qui vivent avec les traumatismes des viols et abus sexuels dans un contexte où le support psychologique ou affectif dans la communauté et dans le milieu de la santé est quasi inexistant.
Signataires
Mame-Penda Ba, enseignante - chercheur UGB
Marie-Eveline Belinga, chercheure féministe indépendante
Renée-Chantal Belinga, conseillère municipale
Oumou Cathy Beye, sociologue
Fatou Kiné Camara, juriste
Oulimata Coulibaly, grand-mère au foyer
Gagnesiry Coundoul, badiénou gokh
Fatou Bintou Dial, sociologue IFAN
Bintou Diallo, politologue
Coumba Diallo, Fonctionnaire
Mame Seynabou Diop, étudiante
Rosalie Aduayi Diop, chercheure IPDSR/IFAN
Sokhna Diop, manager des entreprises en business administration
Aïda Diouf, présidente badiénou gokh
Maimouna Faty, étudiante stagiaire en communication
Mame khady Gning, Conseillère en ventes et Marketing
Nafissatou Penda Gning, entrepreneure
Sadio Ba Gning, enseignante - chercheure UGB
Yaye Ramatoulaye Gning, étudiante
Nafy Gueye, Arboricultrice
Ndack Kane, économiste et éditrice
Coumba Lacouture, préposée aux renseignements Retraite Québec
Oumou Nayelle Ly, sociologue
Oumy Mbengue, retraitée et grand-mère au foyer
Marième N’Diaye, sociologue chargée de recherche au CNRS/ISP
Ndèye Aly Khoudia Ndiaye, mère au foyer
Ndèye Laïty Ndiaye, sociologue et chargée de cours
Yaye Mbayang Ndiaye, étudiante
Adama Ndoye, badiénou gokh et conseillère municipale
Alice Niang, entrepreneure sociale
Fatima Sall, juriste
Salimata Sall, travailleuse sociale
Touty Samb, assistante administrative et financière
Régina Sambou, journaliste
Fatou Sow, sociologue au CNRS
Cécile Thiakane CMO, actrice du développement social
Khaira Thiam, psychologue clinicienneb[
Inversion des rôles : les agresseurs deviennent les victimes. Les femmes et filles coupables des agressions qu’elles ont subies. Rires dans le public. Cette émission qui se voulait, à l’occasion du 08 mars, une “célébration” des femmes, est devenue le théâtre d’une apologie du viol. Ce discours d’une violence inouïe, proféré sur la place publique, est révélateur de la violence systémique et systématique que subissent les femmes au quotidien. Cette violence devenue ordinaire est présente partout et à toute heure de la journée. Elle se traduit par de nombreuses agressions des plus ténues au plus violentes, incluant le harcèlement dans la rue et au travail, la violence (tant physique que psychologique) qui s’exerce aux niveaux conjugal et familial, ou encore les agressions sexuelles, viols et incestes.
Nous souhaitons alerter et susciter le débat sur l’ampleur de ces violences à l’encontre des femmes et des filles mais aussi sur l’indifférence qu’elles suscitent hélas encore trop souvent dans notre pays.
Qu’ont ces violences en commun et qu’est ce que cela nous révèle? Ces violences ne sont pas des actes isolés. Elles surviennent dans un climat d’impunité généralisée où des hommes tout puissants peuvent disposer du corps des femmes sans avoir à répondre de leurs actes. Une loi contre le viol existe bel et bien au Sénégal mais nous savons que son application est plus que limitée. Aussi, est-il important de préciser que la capacité de mobiliser l’appareil judiciaire dépend de ressources que de nombreuses victimes n’ont pas. Il faut connaître l’existence de la loi, comprendre le processus judiciaire, et surtout être prête à faire face à un système dans lequel les femmes restent considérées comme les seules responsables de leur sécurité.
Au Sénégal comme ailleurs, les victimes d’abus sexuels et d’autres formes de violences ne dénoncent que très peu leurs agresseurs. Elles sont habitées par un sentiment de honte créé et renforcé par le blâme imputé à la victime. On leur reproche leur apparence, leur habillement, leur démarche, leurs heures de sortie, leur fréquentation de certains lieux. De tels messages sont reçus et enregistrés par toutes celles qui, un jour, feront le choix douloureux de se taire, parce que se sentant profondément honteuses et se disant, non sans raison, qu’on ne les croira pas.
La honte “doit changer de camp”. Les femmes devraient pouvoir dénoncer la violence, quelle que soit sa forme, et se sentir accueillies dans leur démarche. Nous devons collectivement dénoncer ces violences et les inégalités structurelles qui leur permettent d’exister et d’être légitimées. Si des individus comme Songué Diouf peuvent se permettre de proférer de telles obscénités à la télévision sénégalaise, à un moment où les femmes du monde entier se soulèvent pour dénoncer d’une seule voix, les agressions sexuelles et leur banalisation, c’est bien parce qu’ils mesurent la force de l’impunité qui est le propre même de la culture du viol. #metoo, #balancetonporc, #moiaussi et #domasiif (depuis le 12 mars 2018) ne sont pas des hashtag vides de sens. Ils traduisent une volonté de libérer et de décomplexer enfin la parole féminine.
Dans le cas du Sénégal, ce message n’est pas, jusqu’à ce jour, entendu. Le silence des autorités, notamment celui de la Ministre de la Famille et du Genre, pendant que les femmes et leurs alliés se mobilisent, en est la preuve. Sa voix aurait dû être la première à condamner publiquement et fermement ce type de discours et à rappeler aux victimes qu’elles ne sont pas seules, que l’Etat a le devoir de les protéger.
En tant que collectif de femmes du Sénégal et de la diaspora, nous dénonçons vigoureusement toutes les formes de violence à l’égard des femmes et appelons à une réaction des pouvoirs publics. Dans un Sénégal qui a ratifié les conventions internationales et régionales en matière d’égalité entre les sexes, il est impératif d’assurer l’application du droit et de promouvoir de manière effective une éducation à la sexualité et au respect de l’intégrité physique et psychologique de tous les individus, en particulier des femmes et des enfants. À ce sujet, nous pensons que la création d’une commission d’enquête nationale sur les violences faites aux femmes est une étape non négligeable.
En 2008, l’Association des Juristes Sénégalaises soumettait un rapport expliquant de façon détaillée comment l’on pourrait s’inspirer du Rwanda pour l’éradication des violences basées sur le genre (VBG). L’association recommandait notamment de “faire des VBG une priorité en santé publique”, désigner un “procureur spécial chargé des violences basées sur le genre” et renforcer le “dispositif législatif et réglementaire sur l’équité, l’égalité du genre et sur la prévention et l’élimination des VBG” Ces recommandations font état de la nécessité d’une intervention systémique ne pouvant s’opérationnaliser sans la présence, dans nos institutions, de personnes préoccupées par l’égalité entre les femmes et les hommes. L’application de ces recommandations serait un pas dans la bonne direction impliquant la mise en place d’un réseau de soutien des victimes au-delà du judiciaire. Cela se traduirait notamment par:
La création d’espaces de parole sécuritaires organisés par et pour les femmes sénégalaises·
L’implication de groupes de santé psychosociaux pour développer des ressources d’accueil et d’hébergement, des ressources thérapeutiques appropriées et accessibles pour les victimes de viol et d’abus sexuels qui intègre une approche féministe, intersectionnelle et décoloniale.
La prise d’initiatives concertées pour développer l’estime de soi des femmes qui ont été victimes de violences sexuelles afin qu’elles reprennent pas à pas le pouvoir sur leur vie et leur avenir.
Ce sont là un ensemble de pistes qui nous permettront d’offrir un meilleur soutien aux victimes qui vivent avec les traumatismes des viols et abus sexuels dans un contexte où le support psychologique ou affectif dans la communauté et dans le milieu de la santé est quasi inexistant.
Signataires
Mame-Penda Ba, enseignante - chercheur UGB
Marie-Eveline Belinga, chercheure féministe indépendante
Renée-Chantal Belinga, conseillère municipale
Oumou Cathy Beye, sociologue
Fatou Kiné Camara, juriste
Oulimata Coulibaly, grand-mère au foyer
Gagnesiry Coundoul, badiénou gokh
Fatou Bintou Dial, sociologue IFAN
Bintou Diallo, politologue
Coumba Diallo, Fonctionnaire
Mame Seynabou Diop, étudiante
Rosalie Aduayi Diop, chercheure IPDSR/IFAN
Sokhna Diop, manager des entreprises en business administration
Aïda Diouf, présidente badiénou gokh
Maimouna Faty, étudiante stagiaire en communication
Mame khady Gning, Conseillère en ventes et Marketing
Nafissatou Penda Gning, entrepreneure
Sadio Ba Gning, enseignante - chercheure UGB
Yaye Ramatoulaye Gning, étudiante
Nafy Gueye, Arboricultrice
Ndack Kane, économiste et éditrice
Coumba Lacouture, préposée aux renseignements Retraite Québec
Oumou Nayelle Ly, sociologue
Oumy Mbengue, retraitée et grand-mère au foyer
Marième N’Diaye, sociologue chargée de recherche au CNRS/ISP
Ndèye Aly Khoudia Ndiaye, mère au foyer
Ndèye Laïty Ndiaye, sociologue et chargée de cours
Yaye Mbayang Ndiaye, étudiante
Adama Ndoye, badiénou gokh et conseillère municipale
Alice Niang, entrepreneure sociale
Fatima Sall, juriste
Salimata Sall, travailleuse sociale
Touty Samb, assistante administrative et financière
Régina Sambou, journaliste
Fatou Sow, sociologue au CNRS
Cécile Thiakane CMO, actrice du développement social
Khaira Thiam, psychologue clinicienneb[