Pierre Servent, expert en stratégie militaire et auteur du livre Les Présidents et la guerre (éditions Perrin), répond aux questions de franceinfo.
Franceinfo : La crise entre le président de la République et le général de Villiers est-elle historique ?
Pierre Servent : Dans l'histoire de la Ve République, je ne vois pas d'autres exemples d'une crise aussi publique, aussi ouverte et aussi violente, qui se termine par la démission du chef d'état-major des armées. Il y a bien eu, à certaines époques, des tensions très fortes entre des présidents de la République et leurs chefs d'état-major des armées.
En 1995, quand Jacques Chirac est élu président, il s'entend très mal avec l'amiral Lanxade. Lors des Conseils de défense, il y avait des tensions très fortes et Jacques Chirac avait même fait un bras d'honneur dans le dos de l'amiral Lanxade. Mais ça restait à huis clos.
Le second exemple, c'est quand Nicolas Sarkozy est élu président : son intention est alors de virer le colonel Georgelin. Il en parle avec son ministre de la Défense, Hervé Morin, puis décide finalement de ne pas le faire. Même Sarkozy, qui n'a jamais été très respectueux des us et coutumes, avait compris qu'il faut respecter l'institution militaire et qu'on ne peut pas virer les grands chefs militaires comme ça.
Il peut y avoir des tensions, de l'incompréhension réciproque, mais la tradition veut que le nouveau président conserve les grands commandeurs qui ont été mis en place par les prédécesseurs. C'est la continuité républicaine.
Le recadrage public de Macron lors du discours aux armées le 13 juillet a-t-il poussé le général de Villiers à la démission ?
A ma connaissance, c'est la première fois qu'un président de la République fait une déclaration aussi brutale vis-à -vis de son chef d'état-major des armées. Et une telle déclaration ne peut conduire qu'à sa démission.
Ce n'est pas possible d'accuser son chef d'état-major des armées d'un comportement indigne, devant tous ses subordonnés. Dans le monde militaire, ce sont des choses qui ne se font pas.
Pierre Serventà franceinfo
Si le président de la République a des reproches à faire à son chef d'état-major des armées, il le fait entre quatre yeux ! Mais il ne peut pas faire une telle déclaration la veille du 14-Juillet. A mon sens, c'est une faute politique importante de la part du président de la République, qui traduit un manque de connaissance du monde militaire.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Le président de la République va nommer un nouveau chef d'état-major des armées qui va se trouver dans une position très difficile, parce qu'il va devoir accepter une réduction budgétaire. La ministre des Armées, Florence Parly, va, elle aussi, se retrouver dans une position délicate. D'après son CV, elle n'a aucune compétence sur les questions militaires, mais elle maîtrise les questions budgétaires puisqu'elle était secrétaire d'Etat au Budget. Elle va se retrouver en porte-à -faux pour faire ce qu'ont toujours fait les ministres de la Défense : défendre bec et ongles le budget de ce ministère.
Quel sera l'impact de cette crise sur les militaires ?
Il ne va y avoir aucun impact sur la manière de servir et sur l'engagement des militaires. Mais sur le plan psychologique, il y a un changement. Emmanuel Macron était parvenu dès le début de son mandat à investir les questions militaires dans la forme et dans le fond, et ce, d'une façon remarquable. Remonter les Champs-Elysées en char militaire, aller à Gao (Mali)... Il avait fait un sans-faute exceptionnel, alors que c'est le premier président sous la Ve République à n'avoir jamais porté l'uniforme.
Les militaires vont avoir l'impression qu'ils ont été nourris de belles paroles pendant des semaines. Puis, quand on arrive aux rendez-vous difficiles, aux questions de budget, d'un coup, il y a rupture.
Pierre Serventà franceinfo
Par ailleurs, le général de Villiers a toujours été très aimé dans l'armée car il était très proche des troupes. Cela peut avoir un impact moral, psychologique et affectif.