C’est l’histoire d’un mec, aurait dit Coluche. Un mec, qui depuis son Touba natal décide de forcer la main au destin en menant sa vie au turbo. Il y a tout juste 26 ans, Daouda Mbow, grand et frêle, débarquait à Dakar pour laver des voitures. À 44 ans aujourd’hui, le patron de Nouvelle vision de l’automobile (Nva), est aussi puissant qu’un « président ». Il est à la tête d’un véritable empire.
David, comme l’appelle les intimes, n’est pas un héritier. C’est un self-made man. Un homme qui a tiré sa vie avec les dents. Mais derrière la part d’ombre du géant de l’automobile, plane un incroyable destin.
« Sur mille choses »
L’interview ne va pas durer 10 minutes. « Je n’ai pas le temps. Je suis sur mille choses à la fois », balance David (accroché sur l’écriteau de sa porte) qui rentre avec fracas dans son bureau. Un chic type, qui prend soin de sa silhouette et aime les couleurs vives : barbichette bien taillée (on le prendrait facilement pour un ibadou), pantalon bordeaux, chemise rose, montre qui scintille à mille lieux.
Le téléphone n’arrête pas de sonner. Des clients aux États-Unis, au Burkina, en Allemagne, à Paris. Tantôt il discute en wolof, tantôt en français et en anglais. L’homme à la forte corpulence paraît timide.
Après de furtifs salamalecs, il se place derrière son bureau et plonge le regard sur l’écran de son ordinateur. D’habitude David, n’accorde pas d’interviews. Les journalistes, il les fuit comme la peste. « Je préfère partager mon expérience dans les écoles, indique-t-il avec un large sourire. On me propose assez souvent des interviews à la télé pour partager mon vécu, mais je finis toujours par les décliner. Vous avez de la chance. »
Il n’y va pas par quatre chemins. Et aborde la question qui fâche dès les premières minutes de l’interview. Passé par la case prison, il a su remonter la pente. « J’ai fait de la prison, mais j’estime que j’y étais en mission, philosophe-t-il. J’ai aidé énormément de gens là bas. J’ai purgé ma peine et tous les soupçons contre moi ont été levés. Tout ça c’est derrière moi. »
« 200 millions, des broutilles »
Sauf que dernièrement, l’homme d’affaires est de nouveau dans la nasse. Et quelle nasse ! Une affaire de gros sous, de grand banditisme. Des soupçons de blanchiment de capitaux en bande organisée. Un scénario digne des exploits de Meyer Lansky, ce mafieux américain d’origine russe.
Daouda Mbow n’en n’est pas à ses premiers déboires. En 2017, il est au centre d’un trafic international de véhicules de luxe et de motos volés en Europe. La Division des investigations criminelles qui se saisit de l’enquête parle de la plus « grosse affaire » de ces dernières années. Mais pour beaucoup, Mbow ne serait qu’une sorte d’homme-lige au service de gros bonnets tapis dans l’ombre.
Une histoire montée de toutes pièces, crie l’homme d’affaires. Qui accuse ses détracteurs, ses « ennemis ». « Cette affaire de blanchiment je l’ai appris dans la presse, réagit-il. J’étais en France quand des contacts m’ont appelé croyant que j’ai été de nouveau arrêté. Cette histoire ne tient pas. Qui connaît David Mbow sait que 200 millions ce sont des broutilles pour lui. »
À en croire Daouda Mbow, les louvoiements, les contorsions et les arrangements avec la loi qu’imposent souvent le business lui sont totalement étrangers. Il attache grand prix à l’image de son entreprise.
« Youssou Ndour me dit… »
La figure à laquelle David Mbow ne cesse de se référer est celle de Youssou Ndour, son ami et conseil. « Il ne cesse de me dire de ne pas répondre aux provocations. De me dire que j’ai une image à préserver et un destin à accomplir. Donc, je n’en ai que faire de ce que les gens peuvent dire. Au Sénégal, tu te fais des ennemis quand on sent que tu es quelqu’un. Donc, j’avance. »
Rencontrer David Mbow revient aussi à rencontrer toute une bande de gens qui lui veulent du bien. Abdou Khadim Cissé, le fréquente depuis 14 ans. « Je ne lui connais aucun ennemi, défend l’ami. À chaque fois que l’on parle de lui en mal, c’est le même journal et le même journaliste qui signe. Que lui veulent-ils ? On ne sait pas. Mais, ils cherchent à lui faire du tort. »
Les deux hommes se sont connus alors que l’un se débattait dans la galère tandis que l’autre commençait à voir le bout du tunnel. « Il venait de monter Nva, rembobine Cisse. Je vendais du café Touba et David m’a pris sous son aile. Il m’a aidé à monter mon propre business. Aujourd’hui, j’ai ma propre boutique et j’ai pu m’acheter une maison. David m’a même offert une voiture. Je lui dois tout. Sa générosité n’a pas de limite. Il s’est mis au service des gens. »
David Mbow paraît comme le patron le plus aimé de ses collaborateurs. Abdoulaye Diouf, un agent de la « maison » et proche de David. Il prend ses aises dans le bureau du boss, s’installe sur son fauteuil et lance : « Je travaille à Nva depuis 10 ans. David est un homme incroyable. Je dirai qu’il est le meilleur patron dont un employé puisse rêver. Il a offert à tous ses employés des voitures. Et nous tous ici avons des visas en cours pour l’Europe ou les Etats-Unis. Nva est devenue une maison pour moi. Même le dimanche, nous sentons le besoin d’y venir. »
Pour la petite histoire, Diouf raconte que récemment David a vidé sa penderie, il n’y a laissé que 3 chemises-pantalons. Il a tout donné à ses employés. « Des vêtements dont le moins cher vaut 100 mille francs Cfa », s’enflamme Abdoulaye Diouf. La générosité du patron de Nva n’aurait pas de limite. Mais, précision des uns et des autres : avant de bénéficier de toutes ces largesses, il faudra faire preuve d’une bonne dose de patience et de loyauté.
De prime abord, raide et glacial, David Mbow se montre sympathique au fur et à mesure qu’on le découvre. Il dirige son entreprise comme un foyer familial. En dépit d’un emploi du temps chargé, il aime perdre un temps fou en bavardages avec ses potes. Et surtout avec un grand sens de l’écoute. « La maison est un peu une sorte de Grand Place, souffle un employé. Tous s’y retrouvent à la descente du boulot. On voit toutes sortes de personnalités défiler ici. »
Le grand monde ne l’impressionne plus. David Mbow tutoie tous les « grands » de ce pays. « Dj Boub’s fréquentait chez nous à Guédiawaye. À cette époque, il n’était pas encore connu. Nous avions de profonds liens qui ne datent pas d’hier. »
David a un impressionnant carnet d’adresses. Il est un des rares hommes d’affaires à murmurer à l’oreille de toutes les grandes autorités. Il ne cache pas sa proximité avec Souleymane Ndéné Ndiaye, l’ancien Premier ministre de Wade, cité dans l’affaire de trafic de véhicules dans laquelle il était arrêté.
Derrière ses airs de faux mondain, David aime surtout s’entourer de gens vrais. Avant tout ses collègues, qu’il considère comme sa famille. Il a très tôt senti que la valeur d’un diplôme ne fait pas un bon patron. Alors, il a misé sur son expérience. Une vie en dents de scie.
Autodidacte
La vie n’a pas été rose pour Daouda Mbow. Né à Mbacké, il grandit entre Kaolack, Saint-Louis et Podor. Où il devient tour à tour photographe, vendeur de poissons, mécanicien. Lui qui fut un cancre à l’école- il jette l’éponge en classe de Cm2 et veux devenir apprenti ou chauffeur-, s’est très tôt frotté à la vie d’adulte. « Ma passion c’était la moto. Je n’ai jamais perdu mon temps à jouer au foot. Ce que je faisais à l’époque, c’était de monter à vélo. Donc, j’ai très tôt abandonné les cours pour me consacrer à ma passion. »
Son premier job, il le décroche dans un atelier comme mécano. C’était au Fouta avant que le destin ne le mène à Saint-Louis quelques années plus tard, où il officie comme photographe. Les rigueurs de la vie le conduisent au marché hebdomadaire où il vend du poisson séché. En 1992, il claque tout et décide de suivre sa bonne étoile à Dakar.
Les débuts sont chaotiques. « J’ai commencé à laver des voitures, le matin. Le soir, je faisais le sirou (taxi clandestin) avec des clandos. Et je mettais ainsi de l’argent de côté. »
L’achat pour trois fois rien de sa première voiture est à l’origine de son succès. Une Renault 20. « Je l’ai acheté à 235 000 F CFA. Je me rappelle je devais encore 90 000 F CFA au propriétaire. Je ne parvenais pas à les payer et ce dernier m’a amené à la police de Pikine. Je me souviens qu’on m’avait retenu toute la journée et on a mis la voiture sous scellé. Quand je quittais le commissariat j’ai pris un car rapide et j’ai payé 25 F CFA. C’est seulement après 2 semaines que j’ai pu réunir la somme et récupérer mon clando. »
Une année plus tard, il se paie une Renault 12 et se met au commerce de tablettes d’œufs.
Concessionnaire de la jet-set
De fil en aiguille, il tisse son réseau. Et se met à la vente de pièces détachées. « J’ai commencé à retaper et relooker des voitures que je vendais aux Libanais. Dans le même temps, j’organisais aussi des courses de moto pour eux. C’est ainsi que j’ai pu ouvrir ma boutique de pièces détachées à Guédiawaye avant de l’installer un peu plus tard à Petersen. Ma clientèle était essentiellement composée des Libanais et ils avaient parfois du mal à se déplacer à Guédiawaye. »
Grâce à son nouveau réseau d’ « amis », Daouda Mbow parvient à mettre de l’argent de côté. Et se paie sa première Mercedes. Aujourd’hui, si le boss de NVA ne roule pas en Dodge Start, il est au volant d’une Mercedes ML, sa préférée de toutes.
1995, début de la grande aventure. Daouda Mbow voit plus grand et décide d’installer son entreprise. Une Nouvelle vision est née. « Je suis venu à Sacré-Cœur. A l’époque, ce n’était qu’un terrain vague. La zone était quasi infréquentable. Nous avions l’habitude d’y organiser nos courses de voitures et de motos. J’ai acheté le terrain et installé mon entreprise. »
À l’époque, il écoutait Phil Collins ou encore Lionel Ritchie. Aujourd’hui, il s’est converti à Tekno, le chanteur nigérian qu’il appelle malicieusement « Aladji Tekno ». « Quand il est venu à Dakar, c’est moi qui suis allé le chercher à l’aéroport », dit-il fièrement.
Très vite, David Mbow s’impose comme une référence. Ministres, footballeurs, artistes, chanteurs, s’arrachent ses voitures. Il nous ouvre l’album photos et plonge dans les souvenirs. Une propension à se montrer en compagnie de célébrités.
Une Mercedes à 120 millions
Il vend des Américaines et des Allemandes pour l’essentiel. Des voitures de luxe, rares, et, bien sûr, chères. « La voiture la plus chère que j’ai vendue c’était une Mercedes, à 120 millions F CFA. Si je dévoile le nom de l’acheteur, deuk bi tothje (il se produira un séisme, en wolof). »
Celui que l’on dit milliardaire évolue aussi dans le domaine de l’immobilier. Il possède des appartements et villas dans des quartiers huppés de la capitale. Ils les louent à de grands hôteliers ou parfois des personnalités qui séjournent à Dakar. « Je ne gère pas que NVA. J’ai d’autres business mais je ne préfère pas en parler, esquive-t-il. Déjà qu’on me cherche noise pour NVA, imagine si je parle des autres business. »
Côté jardin, David reste discret. Homme de réseau, il se la joue même secret. Une culture du silence qui régit toute l’entreprise. Impossible d’arracher un mot sur ce domaine à ses employés. « Il est marié et est père de 3 enfants. Je ne préfère pas en dire plus », lâche un proche un peu gêné.
« Pour vivre heureux, vis caché », dit l’adage. David Mbow, personnage atypique, en a fait sa devise. Et jusque-là, apparemment, ça marche.
Auteur: Lala NDIAYE – Seneweb.com