Confessions de Malick, un gordjiguène sénégalais, qui choquent la toile: » Dééé moma gueneul … »


Rédigé le Mercredi 4 Septembre 2019 à 16:52 | Lu 189 fois | 0 commentaire(s)




Migrant, Malick se confie: « Quand on découvre un homosexuel dans mon pays, au Sénégal, c’est un événement souvent médiatisé, c’est très grave, bien plus grave qu’un meurtre.» 

J’ai fait la connaissance de Malick* il y a plus d’un an; il est Sénégalais, venu en France pour échapper aux violences dont sont encore victimes les homosexuels en de nombreux endroits. Je ne l’ai jamais vu serein; il me raconte ses nuits courtes et incommodes, devenues obsédantes, ses angoisses et, plus que tout, l’effroi d’un possible retour au pays. Car il n’est nulle part en sécurité, pourchassé où qu’il aille, chez lui et ici. 

Malick est sans cesse sur les routes, à la recherche d’un soutien juridique, d’un travail, ou pour remplir des dossiers administratifs. Il déménage aussi fréquemment, dormant là où se présentent de rares opportunités, toutes d’une extrême précarité. Forcé de quitter la France, Malick sera bientôt présenté au juge qui statuera sur son recours. 

Aujourd’hui, il a le courage de témoigner de son vécu; il s’agit d’une énième tentative pour échapper au cercle infernal de la violence et de la pauvreté. Il veut s’en sortir, parmi nous, et retrouver la dignité qui lui fut volée. 

« La foule » reviendra souvent dans son témoignage. Il s’agit des voisins, de leurs proches, des habitants du quartier; elle est composée d’hommes et de femmes et semble rôder, tourbillonner et s’abattre. Frapper. La foule c’est cette entité mue par la passion et par le goût du sang, cette meute qui nous concerne, car elle incarne, partout dans le monde, nos excitations grégaires, arbitraires et punitives. Elle est un souffle meurtrier dont se nourrissent les bûchers, en tout lieu et à toute époque. Tapie dans l’ombre, elle s’apprête encore et toujours à bondir. 

J’ai maintenant une quarantaine d’années et je viens d’un village au Sénégal. A 18 ans, comme beaucoup de jeunes, je quitte mon village pour rejoindre la capitale Dakar et y apprendre la couture. A 26 ans, les choses roulent bien: j’ai un associé avec lequel je gère un atelier de couture composé de trois employés et nous organisons des défilés jusqu’à Pékin. De nombreux projets s’accumulent et nous songeons à moderniser notre entreprise pour notre business. Nous investissons alors dans de nouvelles technologies onéreuses. Chaque machine coûte 3000€; on en a pour près de 10.000€. 

En cachette -car l’homosexualité est sévèrement punie au Sénégal-, je me suis mis en couple avec mon associé. Malgré ce risque, il n’y a aucune raison que je quitte mon pays, j’y suis heureux et tout semble aller pour le mieux. 

Je n’ai jamais souhaité me séparer de mon pays mais c’était devenu une question de vie ou de mort. 

À cette époque, je suis déjà en couple avec une femme mais notre relation n’est pas officielle. Au Sénégal, une union sans mariage n’est pas tolérée et l’arrivée imprévue de ma fille crée une rupture familiale et sentimentale. Des rumeurs faisant état de ma liaison avec mon associé viennent aux oreilles de la mère de mon enfant. Alertés, ses trois frères défoncent un soir la porte de mon appart'. 

Les voisins, massés en foule, sont rapidement prévenus: il y a un homo dans le quartier. Ils arrivent de toutes parts, s’ajoutent au tumulte et même le chef de quartier, celui qui est chargé du bien-être de la population, prend part aux violences. Quand on découvre un homosexuel au Sénégal, c’est un événement souvent médiatisé, c’est très grave, bien plus grave qu’un meurtre. Mes assaillants décident de m’enfermer chez moi, avec mon copain, en attendant le pick-up de la police. Quand on nous sort de l’appartement, la foule chante, nous insulte, crie, hurle « à mort! ». Dans le camion, la police nous force à nous allonger pour mieux nous humilier, en nous piétinant. Nous ne serons plus jamais en sécurité. 

Arrivés au commissariat, on nous installe dans une cellule dans laquelle sont déjà enfermés plusieurs malfrats. Ces derniers s’opposent vigoureusement à notre présence; il est hors de question de partager leur espace avec des homos. Face au risque de violence, on nous fait dormir derrière le comptoir. On y passe trois jours. Quand l’inspecteur arrive, je nie en bloc notre homosexualité. Il me répond que ses services connaissent déjà mon compagnon mais, à part quelques rumeurs, il n’ont aucune preuve tangible de notre liaison et nous sommes finalement relâchés. 

Les autorités m’ordonnent de quitter mon quartier, ce que je fais immédiatement. Dehors, pour nous, c’était le chaos: mon ancien atelier était déjà en partie démoli, la foule s’étant arbitrairement chargée de sa destruction. Pendant quatre ou six mois, je vis donc ailleurs. Un soir, par hasard, je croise une personne de mon précédent quartier. Il m’agresse, me brise le pied, me casse une dent, et la foule se joint à lui… elle continue à me tabasser, c’est interminable. 

Euphorique et rassasiée, elle me laisse au sol, inanimé, baignant dans mon sang, me croyant enfin mort. J’ai passé trois jours à l’hôpital dans le coma. Le jour de ma sortie, un médecin m’avertit que mon nom est cité à la radio, qu’on parle de moi partout dans le pays et que, de nouveau, la foule me traque (Malick me montre à ce moment un article récent de la presse sénégalaise le mentionnant et faisant état de sa probable fuite vers l’Europe). Cette fois-ci elle s’assurera que je ne puisse plus jamais me relever, elle souhaite que ça soit définitif. Elle veut ma mort. Je quitte aussitôt Dakar pour rejoindre mon copain. Ensemble, nous organisons mon départ pour l’Europe; je n’ai jamais souhaité me séparer de mon pays mais c’était devenu une question de vie ou de mort. 

En 2015,j’arrive en France. Je n’y avais jamais mis les pieds, j’en connais à peine la langue, je balbutie quelques mots et je lis très mal, ce n’est pas suffisant; ici je suis ce qu’on appelle un « illettré ». Jusqu’à peu je travaillais illégalement dans une discothèque. J’y étais trois nuits par semaine, pendant dix heures chaque nuit. Je ramassais les verres, nettoyais les déchets, les sols, pour 600€ par mois. Je vivais alors en collocation en banlieue parisienne, nous étions deux dans 10m². 

Il faut que tu comprennes bien une chose: quand tu arrives en France, quelle que soit ta situation, tu es seul, livré à toi-même. Si tu ne maîtrises pas bien la langue, tu es incapable de remplir un formulaire, sans ressource, tu ne peux même pas te payer un ticket de métro pour honorer un rendez-vous et pour chercher un travail. Tu es complètement déstabilisé, c’est un monde inconnu et complexe. Quand tu es dans ma situation, tu dors mal et tu es constamment angoissé; tu n’es jamais reposé, jamais serein. Dans ces conditions, comment avancer? Aujourd’hui je ne trouve plus de travail, c’est dur, vraiment dur. 

J’ai eu la chance de réussir à m’approcher de l’ARDHIS, une association qui s’occupe des homos exilés et qui leur apporte un soutien juridique et moral. Sans elle, je ne sais pas ce que je serais devenu… J’ai fait une demande d’asile mais la situation n’est pas toujours évidente à expliquer et le juge a droit de vie ou de mort sur toi. S’il te croit, tant mieux, tu vas pouvoir respirer et imaginer un avenir paisible. Par contre, s’il ne te croit pas, on te renvoie chez toi et là, que va-t-il m’arriver? Je vais mourir, franchement. 

Je vis en foyer et passe mes journées à remplir des papiers, à me déplacer pour régler des formalités administratives, j’accumule les amendes dans les transports; je n’ai aucun moyen de payer, je ne possède rien. Je ne parviens pas à me défendre devant le juge. Que répondre quand on me déclare: « Je ne crois pas en ton homosexualité! Pourquoi es-tu devenu homosexuel à ton âge? » J’ai récemment reçu une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Je suis vraiment dans la merde… Je ne demande rien de plus que la permission de vivre en France, enfin je pourrais gagner ma vie honnêtement, vivre librement mes amours, contribuer au pays et m’y intégrer. Je fais de mon mieux, je prends des cours de français, deux heures par semaine, mais je souhaiterais en suivre davantage afin d’être plus autonome et admis dans la société française. 

Je suis venu en France pour retrouver ma dignité et je préfère mourir ici que de retourner là-bas. 

*Le prénom a été modifié


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