Dans un entretien, Rama Yade a défini le wokisme comme «un noble combat» et dénoncé le «privilège blanc». De par son parcours, l'ancienne secrétaire d'État est pourtant la preuve que les privilèges sociaux, et non raciaux, déterminent les trajectoires, analyse Céline Pina.
Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).
Dans une interview accordée à L'Express, Rama Yade explique vivre «comme une micro-agression» le fait qu'il y ait une statue de Colbert à Paris. Se faisant l'égérie du mouvement «woke», elle explique qu'en France le racisme est partout, dénonce le «privilège blanc» et explique qu'à cause de sa couleur de peau, «certaines portes (lui) sont fermées». Le problème est que son parcours témoigne exactement du contraire et rend sa complainte victimaire d'autant plus inaudible que celle qui tire à boulet rouge sur la France et voudrait déboulonner la statue de Colbert, ne voit aucun problème à vivre dans une ville qui porte le nom de Georges Washington, lequel posséda nombre d'esclaves.
Mais la victimisation ne s'embarrasse jamais de cohérence puisque l'essentiel n'est pas le rapport à la vérité et à l'histoire, mais la détermination à faire le procès des peuples et Nations que l'on choisit de cibler. Rama Yade déroule donc son catéchisme «woke» sans même se rendre compte qu'elle est l'exemple même du fait que les privilèges sociaux et non raciaux sont prépondérants dans les trajectoires. Elle en est l'illustration mais refuse de l'assumer et pour satisfaire son ego victimaire oublie même qu'au lieu d'alimenter la haine raciale, elle pourrait être au contraire l'exemple même d'une France où la couleur de peau n'est pas un obstacle aux ambitions individuelles.
"Rama Yade aurait pu être un modèle. Certes pas d'ascension sociale, elle est issue d'un milieu privilégié et a fait un parcours tout à fait représentatif de sa classe sociale."
Céline Pina
Car Rama Yade aurait pu être un modèle. Certes pas d'ascension sociale, elle est issue d'un milieu privilégié et a fait un parcours tout à fait représentatif de sa classe sociale. Fille de diplomate, elle a intégré Sciences Po puis réussit le concours prestigieux des administrateurs du Sénat. Elle est devenue ministre alors qu'elle était à peine trentenaire, puis a été nommée ambassadrice à l'Unesco avant de partir aux États-Unis, dans un de ces postes dorés où se recasent les privilégiés du pouvoir. Entre-temps elle aura même ambitionné de se présenter à la présidence de la République après avoir créé son propre parti. Bref un parcours marqué par la faveur et les avantages où on a peine à distinguer une quelconque violence raciale.
Ce serait même plutôt l'inverse. Au vu de sa jeunesse et de son très maigre bilan politique au moment de sa nomination, il est probable qu'elle a été choisie comme ministre justement par souci de montrer qu'en République, la couleur de peau ne limitait pas les ambitions, encore moins l'exercice de responsabilités au plus haut niveau. Il n'y a pas à lui en faire reproche, lorsqu'un ministre est choisi, il l'est autant parce qu'on parie sur un potentiel ou une expérience, que parce qu'il représente ou symbolise quelque chose qui le dépasse.
Tant de privilèges donnent des devoirs normalement, l'un des premiers est d'essayer de transformer des avantages personnels en opportunités pour ceux qui ne bénéficient pas des mêmes chances. C'est ainsi que l'on explique souvent que les personnes les plus défavorisées ont du mal à se projeter vers des parcours scolaires et professionnels ambitieux car elles manquent de modèles de réussite auxquels s'identifier. En leur temps, l'arrivée de femmes ministres dans les gouvernements a fait avancer la cause des femmes, simplement parce qu'elles démontraient dans les faits que c'était possible et que le chemin qu'elles avaient emprunté pouvait être suivi par d'autres.
Le fait de nommer des personnalités d'origine africaine, arabe ou des outremers au gouvernement est aussi une manière d'envoyer un message d'égalité et de rappeler que l'on ne juge pas un être humain sur sa couleur de peau mais sur ses capacités et ses mérites. Ce message-là est un des plus républicains qui soit. C'est ainsi que Léopold Sédar Senghor, dont le père de Rama Yade fut très proche ou Félix Houphouet Boigny ont été ministres de la IVe République, Gaston Monnerville fut président du Sénat entre 1946 et 1968, la liste de ministres noirs s'est étoffée sous la Ve République avec Roger Bambuck, Kofi Yamgnane, Sibeth N'diaye, Christiane Taubira, Hélène Geoffroy, Georges-Pau Langevin, Laura Flessel, Elisabeth Moreno… Dans la diversité de leurs parcours, de leurs histoires, nombre de jeunes peuvent se projeter.
"Rama Yade aurait pu se servir de son histoire pour transmettre l'idée qu'en France, la couleur de peau n'est pas un frein. Elle est la preuve que celle-ci ne barre pas l'accès aux postes et concours prestigieux de la République, ni à l'exercice du pouvoir."
Céline Pina
Certes il est paradoxal qu'il faille mettre en avant la couleur de peau d'une personne pour envoyer un message disant que celle-ci n'a guère d'importance et que nous sommes égaux dans nos aspirations et notre capacité à nous élever au-dessus de notre condition sociale d'origine, mais pour que l'égalité ne reste pas un concept abstrait, il faut qu'elle s'incarne dans des réalités individuelles aussi.
Rama Yade aurait pu se servir de son histoire pour transmettre l'idée qu'en France, la couleur de peau n'est pas un frein. Elle est la preuve que celle-ci ne barre pas l'accès aux postes et concours prestigieux de la République, ni à l'exercice du pouvoir. Elle aurait pu faire de son histoire un levier pour que nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes noirs se battent pour réaliser leurs ambitions, même s'ils n'ont pas les mêmes atouts sociaux et culturels qu'elle.
Emontrer que les entrepreneurs identitaires, qui capitalisent leur influence en faisant de l'accusation de racisme le moteur de leur réussite, sont avant tout des prédateurs : ceux-ci découragent et radicalisent toute une jeunesse parfois paumée en leur faisant croire qu'ils n'ont pas d'avenir et qu'il n'y a pas de place pour eux. Ils les envoient ainsi dans le mur au lieu de leur enjoindre de s'emparer de tous les outils qui peuvent en faire des acteurs de leur destinée et de leur réussite. À commencer par l'investissement dans l'école, mais aussi en leur montrant que la France essaie de les aider aussi socialement en prenant en charge le logement dans les quartiers HLM, en aidant les familles grâce aux allocations… Notre pays investit sur eux et plutôt que cultiver un ressentiment néfaste qui empêche toute une partie de la jeunesse de croire en son avenir, Rama Yade aurait pu être de ceux qui montrent que la couleur de peau n'est pas un obstacle, ou du moins que celui-ci est loin d'être indépassable.
Sauf qu'elle n'a pas choisi l'exemplarité mais la complaisance. Il n'est donc pas étonnant, à ce titre, que cette sortie outrancière et ridicule lui ait valu une volée de bois vert. Il ne s'agit pas de nier qu'il existe des discriminations, en France comme ailleurs. Mais le fait d'avoir bâti notre Nation sur un idéal égalitaire et universel fait que nous les combattons mieux ici qu'ailleurs. La France n'a pas un passé ségrégationniste comme les États-Unis, car elle a pensé très tôt l'égalité en droit au-delà du sexe, de la différence de couleur de peau, de la différence sociale ou religieuse. Elle a fait très tôt de l'esclavage un crime contre l'humanité. C'est ce qu'a rappelé d'ailleurs dans L'Express Sarah El Haïry, la secrétaire d'État chargée de la jeunesse, qui est toujours impeccable de fermeté et de courage sur ces questions-là et dont l'interview est remarquable : «Mais qui trahit la République et finalement tout ce qui a été reçu ? C'est elle ! Les républicains ce sont ceux qui se refusent à tomber dans cette culture du relativisme, qui se refusent fondamentalement à opposer les gens selon leur couleur de peau, leur nom de famille, leur lieu de naissance». On ne saurait mieux dire.
Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).
Dans une interview accordée à L'Express, Rama Yade explique vivre «comme une micro-agression» le fait qu'il y ait une statue de Colbert à Paris. Se faisant l'égérie du mouvement «woke», elle explique qu'en France le racisme est partout, dénonce le «privilège blanc» et explique qu'à cause de sa couleur de peau, «certaines portes (lui) sont fermées». Le problème est que son parcours témoigne exactement du contraire et rend sa complainte victimaire d'autant plus inaudible que celle qui tire à boulet rouge sur la France et voudrait déboulonner la statue de Colbert, ne voit aucun problème à vivre dans une ville qui porte le nom de Georges Washington, lequel posséda nombre d'esclaves.
Mais la victimisation ne s'embarrasse jamais de cohérence puisque l'essentiel n'est pas le rapport à la vérité et à l'histoire, mais la détermination à faire le procès des peuples et Nations que l'on choisit de cibler. Rama Yade déroule donc son catéchisme «woke» sans même se rendre compte qu'elle est l'exemple même du fait que les privilèges sociaux et non raciaux sont prépondérants dans les trajectoires. Elle en est l'illustration mais refuse de l'assumer et pour satisfaire son ego victimaire oublie même qu'au lieu d'alimenter la haine raciale, elle pourrait être au contraire l'exemple même d'une France où la couleur de peau n'est pas un obstacle aux ambitions individuelles.
"Rama Yade aurait pu être un modèle. Certes pas d'ascension sociale, elle est issue d'un milieu privilégié et a fait un parcours tout à fait représentatif de sa classe sociale."
Céline Pina
Car Rama Yade aurait pu être un modèle. Certes pas d'ascension sociale, elle est issue d'un milieu privilégié et a fait un parcours tout à fait représentatif de sa classe sociale. Fille de diplomate, elle a intégré Sciences Po puis réussit le concours prestigieux des administrateurs du Sénat. Elle est devenue ministre alors qu'elle était à peine trentenaire, puis a été nommée ambassadrice à l'Unesco avant de partir aux États-Unis, dans un de ces postes dorés où se recasent les privilégiés du pouvoir. Entre-temps elle aura même ambitionné de se présenter à la présidence de la République après avoir créé son propre parti. Bref un parcours marqué par la faveur et les avantages où on a peine à distinguer une quelconque violence raciale.
Ce serait même plutôt l'inverse. Au vu de sa jeunesse et de son très maigre bilan politique au moment de sa nomination, il est probable qu'elle a été choisie comme ministre justement par souci de montrer qu'en République, la couleur de peau ne limitait pas les ambitions, encore moins l'exercice de responsabilités au plus haut niveau. Il n'y a pas à lui en faire reproche, lorsqu'un ministre est choisi, il l'est autant parce qu'on parie sur un potentiel ou une expérience, que parce qu'il représente ou symbolise quelque chose qui le dépasse.
Tant de privilèges donnent des devoirs normalement, l'un des premiers est d'essayer de transformer des avantages personnels en opportunités pour ceux qui ne bénéficient pas des mêmes chances. C'est ainsi que l'on explique souvent que les personnes les plus défavorisées ont du mal à se projeter vers des parcours scolaires et professionnels ambitieux car elles manquent de modèles de réussite auxquels s'identifier. En leur temps, l'arrivée de femmes ministres dans les gouvernements a fait avancer la cause des femmes, simplement parce qu'elles démontraient dans les faits que c'était possible et que le chemin qu'elles avaient emprunté pouvait être suivi par d'autres.
Le fait de nommer des personnalités d'origine africaine, arabe ou des outremers au gouvernement est aussi une manière d'envoyer un message d'égalité et de rappeler que l'on ne juge pas un être humain sur sa couleur de peau mais sur ses capacités et ses mérites. Ce message-là est un des plus républicains qui soit. C'est ainsi que Léopold Sédar Senghor, dont le père de Rama Yade fut très proche ou Félix Houphouet Boigny ont été ministres de la IVe République, Gaston Monnerville fut président du Sénat entre 1946 et 1968, la liste de ministres noirs s'est étoffée sous la Ve République avec Roger Bambuck, Kofi Yamgnane, Sibeth N'diaye, Christiane Taubira, Hélène Geoffroy, Georges-Pau Langevin, Laura Flessel, Elisabeth Moreno… Dans la diversité de leurs parcours, de leurs histoires, nombre de jeunes peuvent se projeter.
"Rama Yade aurait pu se servir de son histoire pour transmettre l'idée qu'en France, la couleur de peau n'est pas un frein. Elle est la preuve que celle-ci ne barre pas l'accès aux postes et concours prestigieux de la République, ni à l'exercice du pouvoir."
Céline Pina
Certes il est paradoxal qu'il faille mettre en avant la couleur de peau d'une personne pour envoyer un message disant que celle-ci n'a guère d'importance et que nous sommes égaux dans nos aspirations et notre capacité à nous élever au-dessus de notre condition sociale d'origine, mais pour que l'égalité ne reste pas un concept abstrait, il faut qu'elle s'incarne dans des réalités individuelles aussi.
Rama Yade aurait pu se servir de son histoire pour transmettre l'idée qu'en France, la couleur de peau n'est pas un frein. Elle est la preuve que celle-ci ne barre pas l'accès aux postes et concours prestigieux de la République, ni à l'exercice du pouvoir. Elle aurait pu faire de son histoire un levier pour que nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes noirs se battent pour réaliser leurs ambitions, même s'ils n'ont pas les mêmes atouts sociaux et culturels qu'elle.
Emontrer que les entrepreneurs identitaires, qui capitalisent leur influence en faisant de l'accusation de racisme le moteur de leur réussite, sont avant tout des prédateurs : ceux-ci découragent et radicalisent toute une jeunesse parfois paumée en leur faisant croire qu'ils n'ont pas d'avenir et qu'il n'y a pas de place pour eux. Ils les envoient ainsi dans le mur au lieu de leur enjoindre de s'emparer de tous les outils qui peuvent en faire des acteurs de leur destinée et de leur réussite. À commencer par l'investissement dans l'école, mais aussi en leur montrant que la France essaie de les aider aussi socialement en prenant en charge le logement dans les quartiers HLM, en aidant les familles grâce aux allocations… Notre pays investit sur eux et plutôt que cultiver un ressentiment néfaste qui empêche toute une partie de la jeunesse de croire en son avenir, Rama Yade aurait pu être de ceux qui montrent que la couleur de peau n'est pas un obstacle, ou du moins que celui-ci est loin d'être indépassable.
Sauf qu'elle n'a pas choisi l'exemplarité mais la complaisance. Il n'est donc pas étonnant, à ce titre, que cette sortie outrancière et ridicule lui ait valu une volée de bois vert. Il ne s'agit pas de nier qu'il existe des discriminations, en France comme ailleurs. Mais le fait d'avoir bâti notre Nation sur un idéal égalitaire et universel fait que nous les combattons mieux ici qu'ailleurs. La France n'a pas un passé ségrégationniste comme les États-Unis, car elle a pensé très tôt l'égalité en droit au-delà du sexe, de la différence de couleur de peau, de la différence sociale ou religieuse. Elle a fait très tôt de l'esclavage un crime contre l'humanité. C'est ce qu'a rappelé d'ailleurs dans L'Express Sarah El Haïry, la secrétaire d'État chargée de la jeunesse, qui est toujours impeccable de fermeté et de courage sur ces questions-là et dont l'interview est remarquable : «Mais qui trahit la République et finalement tout ce qui a été reçu ? C'est elle ! Les républicains ce sont ceux qui se refusent à tomber dans cette culture du relativisme, qui se refusent fondamentalement à opposer les gens selon leur couleur de peau, leur nom de famille, leur lieu de naissance». On ne saurait mieux dire.