On a peut-être tendance à l’oublier mais la longue silhouette de l’homme fort de Banjul, sempiternellement vêtu de son boubou blanc immaculé, était autrefois celle d’un jeune lieutenant arborant fièrement son treillis délavé des forces armées gambiennes. Car Yahya Jammeh, l’autocrate ubuesque bien connu aujourd’hui pour ses frasques et son égocentrisme, est parvenu au pouvoir il y a 22 ans par un coup d’État qu’il justifia à l’époque par la corruption et la gabegie galopante de son pays.
Un coup d’État silencieux
Le 22 juillet 1994, c’est à la tête d’un groupe de quatre officiers seulement que le jeune militaire de 29 ans renverse Dawda Jawara, le père de l’indépendance du plus petit État d’Afrique continentale, en 1965. Le coup d’État se fait sans aucune effusion de sang et dans un calme plutôt impressionnant pour un événement d’une telle importance. Le président déchu embarque paisiblement avec plusieurs membres de sa famille et des proches sur un navire de guerre américain qui faisait une escale technique à Banjul pour ensuite se rendre à Dakar. Jammeh propose même à Jawara de rester en Gambie s’il renonce à la politique, ce que ce dernier refuse.
Le putschiste hérite d’un pays stable économiquement, qui passe pour un modèle politique dans la sous-région, notamment grâce au multipartisme en vigueur depuis l’indépendance. À la tête de la la junte nommée Conseil provisoire de gouvernement des forces armées, Yahya Jammeh s’engage à rendre le pouvoir aux civils en 1998. Néanmoins, la pression internationale, le tarissement de l’aide extérieure et le fort ralentissement du secteur touristique le poussent à engager un scrutin présidentiel dès 1996. Ainsi décide-t-il unilatéralement de dissoudre la junte puis de créer son propre parti politique : l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC) et de se faire proclamer président de la République après un scrutin plus que douteux, le 26 septembre 1996.
Un pays dans le ventre du Sénégal
L’histoire contemporaine de la Gambie est indissociable de celle du Sénégal. Le territoire gambien incarne sans doute l’absurdité des découpages territoriaux issus de la colonisation et du partage de l’Afrique entre Européens. Petite colonie britannique enclavée dans le Sénégal, la Gambie accède à l’indépendance en 1965, puis devient une République en 1970. Les deux pays dont les populations partagent les mêmes références culturelles, entretiennent des relations soutenues. À la suite d’une précédente tentative de coup d’État, le 30 juillet 1981 – toujours contre contre Dawda Jawara qui sera sauvé in extremis par les troupes sénégalaises -, le président Abdou Diouf et son homologue gambien mettent en oeuvre un vieux projet d’union : la Confédération sénégambienne, qui sera finalement dissoute en 1989 en raison de fortes divergences politiques.
L’accès au pouvoir de Yahya Jammeh constituera un tournant dans les relations séné-gambiennes, qui dériveront de plus en plus vers le « je t’aime moi non plus »
L’accès au pouvoir de Yahya Jammeh constituera un tournant dans les relations séné-gambiennes, qui dériveront de plus en plus vers le « je t’aime moi non plus ». Des tensions qui se caractérisent par la bienveillance sénégalaise à l’égard de certains opposants gambiens et à la proximité de Banjul vis à vis des sécessionnistes de Casamance. On ne compte plus les fermetures intempestives de la frontière entre les deux pays initiées par Jammeh, lesquelles ébranlent sérieusement les échanges économiques.
Une longue descente aux enfers
À partir de 1996 ce n’est donc pas un régime militaire qui se met en place. Yahya Jammeh, qui ne se sépare plus de son Coran, de son chapelet et de son sceptre, fonde un système politique personnel basé sur le mysticisme et le culte de sa propre personne, accompagné comme il se doit de la répression des libertés fondamentales de son peuple. Il s’emploie à déconstruire minutieusement l’opposition. Il circonscrit d’abord l’arène politique aux trois partis les plus importants : le Parti progressiste du peuple (PPP), le Parti de la convention nationale (PCN) et le Parti du peuple gambien (PPG). Le multipartisme survit donc en apparence mais les arrestations et disparitions de figures et militants de l’opposition sont légion. La mort récente de Solo Sandeng, haut responsable du Parti démocratique uni (UDP), arrêté en marge d’une manifestation pacifique à Banjul, le 14 avril 2016, illustre bien la situation. Et Jammeh de commenter cyniquement cette situation dans une récente interview à Jeune Afrique : « Où est le problème ? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c’est très commun. »
Homophobie décomplexée, chasse aux journalistes, changement de la langue officielle du pays de l’anglais à l’arabe, instauration d’une république islamique… Les décisions politiques dictées par l’humeur de Jammeh sont proclamées de manière unilatérale, tout en relevant la plupart du temps de l’absurde. Guérisseur autoproclamé à la fois du sida et de l’infertilité grâce à une potion d’herbes médicinales concoctée par ses soins, le président savant veut être perçu par ses compatriotes comme une personnalité omnisciente et omnipotente. Et aime à se faire appeler « Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya A.J.J. Jammeh » – bien qu’il ne possède pour tout diplôme que le baccalauréat.
En route vers un cinquième mandat !
Face à ce fantasque mais redoutable président, la société civile gambienne tente de résister, à ses risques et périls. Quant à l’opposition, profitant du peu de marges de manœuvres qui lui reste, elle se mobilise courageusement quitte à se confronter aux services de sûreté gambiens – la National Intelligence Agency -, à la torture et aux geôles du régime. Pour encore combien de temps ? Yahya Jammeh, réélu successivement en 2001, 2006 et 2011 à l’issue de scrutins à un tour, se prépare déjà à la prochaine présidentielle, prévue le 1er décembre 2016.
Jeuneafrique.com
Un coup d’État silencieux
Le 22 juillet 1994, c’est à la tête d’un groupe de quatre officiers seulement que le jeune militaire de 29 ans renverse Dawda Jawara, le père de l’indépendance du plus petit État d’Afrique continentale, en 1965. Le coup d’État se fait sans aucune effusion de sang et dans un calme plutôt impressionnant pour un événement d’une telle importance. Le président déchu embarque paisiblement avec plusieurs membres de sa famille et des proches sur un navire de guerre américain qui faisait une escale technique à Banjul pour ensuite se rendre à Dakar. Jammeh propose même à Jawara de rester en Gambie s’il renonce à la politique, ce que ce dernier refuse.
Le putschiste hérite d’un pays stable économiquement, qui passe pour un modèle politique dans la sous-région, notamment grâce au multipartisme en vigueur depuis l’indépendance. À la tête de la la junte nommée Conseil provisoire de gouvernement des forces armées, Yahya Jammeh s’engage à rendre le pouvoir aux civils en 1998. Néanmoins, la pression internationale, le tarissement de l’aide extérieure et le fort ralentissement du secteur touristique le poussent à engager un scrutin présidentiel dès 1996. Ainsi décide-t-il unilatéralement de dissoudre la junte puis de créer son propre parti politique : l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC) et de se faire proclamer président de la République après un scrutin plus que douteux, le 26 septembre 1996.
Un pays dans le ventre du Sénégal
L’histoire contemporaine de la Gambie est indissociable de celle du Sénégal. Le territoire gambien incarne sans doute l’absurdité des découpages territoriaux issus de la colonisation et du partage de l’Afrique entre Européens. Petite colonie britannique enclavée dans le Sénégal, la Gambie accède à l’indépendance en 1965, puis devient une République en 1970. Les deux pays dont les populations partagent les mêmes références culturelles, entretiennent des relations soutenues. À la suite d’une précédente tentative de coup d’État, le 30 juillet 1981 – toujours contre contre Dawda Jawara qui sera sauvé in extremis par les troupes sénégalaises -, le président Abdou Diouf et son homologue gambien mettent en oeuvre un vieux projet d’union : la Confédération sénégambienne, qui sera finalement dissoute en 1989 en raison de fortes divergences politiques.
L’accès au pouvoir de Yahya Jammeh constituera un tournant dans les relations séné-gambiennes, qui dériveront de plus en plus vers le « je t’aime moi non plus »
L’accès au pouvoir de Yahya Jammeh constituera un tournant dans les relations séné-gambiennes, qui dériveront de plus en plus vers le « je t’aime moi non plus ». Des tensions qui se caractérisent par la bienveillance sénégalaise à l’égard de certains opposants gambiens et à la proximité de Banjul vis à vis des sécessionnistes de Casamance. On ne compte plus les fermetures intempestives de la frontière entre les deux pays initiées par Jammeh, lesquelles ébranlent sérieusement les échanges économiques.
Une longue descente aux enfers
À partir de 1996 ce n’est donc pas un régime militaire qui se met en place. Yahya Jammeh, qui ne se sépare plus de son Coran, de son chapelet et de son sceptre, fonde un système politique personnel basé sur le mysticisme et le culte de sa propre personne, accompagné comme il se doit de la répression des libertés fondamentales de son peuple. Il s’emploie à déconstruire minutieusement l’opposition. Il circonscrit d’abord l’arène politique aux trois partis les plus importants : le Parti progressiste du peuple (PPP), le Parti de la convention nationale (PCN) et le Parti du peuple gambien (PPG). Le multipartisme survit donc en apparence mais les arrestations et disparitions de figures et militants de l’opposition sont légion. La mort récente de Solo Sandeng, haut responsable du Parti démocratique uni (UDP), arrêté en marge d’une manifestation pacifique à Banjul, le 14 avril 2016, illustre bien la situation. Et Jammeh de commenter cyniquement cette situation dans une récente interview à Jeune Afrique : « Où est le problème ? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c’est très commun. »
Homophobie décomplexée, chasse aux journalistes, changement de la langue officielle du pays de l’anglais à l’arabe, instauration d’une république islamique… Les décisions politiques dictées par l’humeur de Jammeh sont proclamées de manière unilatérale, tout en relevant la plupart du temps de l’absurde. Guérisseur autoproclamé à la fois du sida et de l’infertilité grâce à une potion d’herbes médicinales concoctée par ses soins, le président savant veut être perçu par ses compatriotes comme une personnalité omnisciente et omnipotente. Et aime à se faire appeler « Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur Yahya A.J.J. Jammeh » – bien qu’il ne possède pour tout diplôme que le baccalauréat.
En route vers un cinquième mandat !
Face à ce fantasque mais redoutable président, la société civile gambienne tente de résister, à ses risques et périls. Quant à l’opposition, profitant du peu de marges de manœuvres qui lui reste, elle se mobilise courageusement quitte à se confronter aux services de sûreté gambiens – la National Intelligence Agency -, à la torture et aux geôles du régime. Pour encore combien de temps ? Yahya Jammeh, réélu successivement en 2001, 2006 et 2011 à l’issue de scrutins à un tour, se prépare déjà à la prochaine présidentielle, prévue le 1er décembre 2016.
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