CRISE À LA COUR SUPRÊME


Rédigé le Mercredi 27 Mai 2015 à 16:43 | Lu 153 fois | 0 commentaire(s)



Les contours de la crise qui secoue la Cour suprême deviennent de jour en jour plus clairs. Si c'est seulement maintenant qu'il se fait jour, le problème existe depuis Me Abdoulaye Wade, au moment même de la fusion du Conseil d'État et de la Cour de Cassation dans une seule et même institution appelée Cour Suprême. EnQuête essaie de reconstituer les pièces bien disparates du puzzle…


C'est au début de ce mois de mai que la crise au niveau de la Cour suprême a commencé à prendre forme. Tout semble partir de l'arrêté 754, remplaçant l'arrêté 717 du 20 novembre 2014. L'article 2 de l'arrêté donne la composition des Chambres. Fatou Habibatou Diallo qui présidait la Chambre Administrative devient la Présidente de la Chambre Civile et Commerciale (Voir Fac similé 1). Elle a six magistrats dans son équipe en qualité de conseillers.

C'est Mouhamadou Diawara, qui est à quelques mois de la retraite, qui la remplace au niveau de la Chambre administrative, lui-même épaulé par six autres magistrats. Abdourahmane Diouf et Jean Louis Paul Toupane présidant respectivement aux destinées des Chambres criminelle et sociale. Mais cela, c'est pour le moment que du papier puisque, comme nous l'évoquions déjà dans notre édition d'hier, Fatou Habibatou Diallo a pris la décision de "n'effectuer aucune passation de service", après la publication de l'arrêté la mutant à la Chambre civile et commerciale.

C'est dans une lettre bien musclée à elle adressée, que le tout nouveau président de la Cour Suprême Mamadou Badio Camara reprend avec les guillemets les propos de la magistrate en la mettant en garde. "Vous n'ignorez pas que la continuité du service doit être sauvegardée, sous ma responsabilité, en vertu des dispositions combinées des articles 11 et 17 de la loi organique sur la Cour suprême selon lesquelles le Premier Président de la Cour suprême est chargé de l'administration et de la discipline de la Cour et il assure la bonne marche de la juridiction, compte tenu des nécessités de service".

Le nouveau boss de la Cour suprême demande dans la même veine au magistrat Fatou Habibatou Diallo de lui faire parvenir, "dans un délai de 24 heures", les dossiers de la Chambre administrative qu'elle détient encore dans son cabinet et dont la liste accompagne la lettre en question. Le Président Camara évoque "l'article 25 de la loi organique sur la Cour suprême, qui permet au Premier président de présider, quand il le juge convenable, toute formation juridictionnelle de la Cour". En termes clairs, la loi l'autorise à se substituer à elle, pour diriger toute Chambre dont le fonctionnement normal ne peut être assuré. 

Aux origines d'une crise… 

La tonalité de cette lettre du Président Camara révèle bien la profondeur de la crise. Mais pourquoi donc le roussi ne se signale-t-il qu'au niveau de la Chambre administrative ? Selon nos investigations, elles sont surtout circonscrites à ce niveau, même si du reste, Mouhamadou Diawara, qui remplace Fatou Habibatou Diallo à la Chambre administrative, aurait bien aimé rester à la Chambre civile et commerciale, le temps de finir tranquillement (dans moins d'un an) sa carrière dans "un domaine qu'il maîtrise mieux", selon les termes d'un magistrat.

Mais Diawara, qui a la réputation d'être "sans problème" et "très compétent", n'est pas le genre de personnes qui va croiser le fer avec sa hiérarchie. Même frustré, le feu n'est pas parti de lui…. Le problème, qui n'est pas si neuf que cela, se concentre donc sur Mme Fatou Habibatou Diallo. 

Le premier bras de fer a eu lieu avec le Président sortant qui a atteint un point culminant avec la saisine du Président Macky Sall en août 2014 par Fatou Habibatou Diallo. Elle interpelle pour arbitrage le président de la République (en sa qualité de Président du Conseil supérieur de la magistrature), afin qu'il tranche son différend avec le Président de la Cour suprême qu'était Sakho (présentement Président du Conseil d'administration de la Société nationale de recouvrement SNR).

Le contentieux est né lorsque le Président Sakho a pris un arrêté pour la confirmer à la Chambre sociale. La dame lui écrit une lettre pour lui signifier qu'elle est "juge administratif". Que "depuis 15 ans", elle ne fait que cela, qu'elle "ne maîtrise pas assez le droit social". Un de nos interlocuteurs de rapporter des propos qui traduisaient bien son inquiétude : "Qu'est-ce que vous voulez ? Que je retourne à l'école ?" La dame qui a servi au tribunal régional en première instance, un an au tribunal départemental de Pikine, avant de revenir au tribunal régional ne se reconnaît pas dans cette décision. 

Mais en vérité, l'origine du problème remonte à 2008, alors que Me Abdoulaye Wade était président de la République. L'État décide de fusionner, dans le cadre de la Réforme de la Justice, le Conseil d'État et la Cour de cassation. Mamadou Badio Camara qui était alors Secrétaire général à la Cour de Cassation se retrouve dans la toute nouvelle juridiction en même temps que Habibatou Diallo.

Celle-ci était déjà Présidente de Section au moment où Badio était intérimaire. Et au moment où il devenait pleinement Président de Chambre, la dame avait déjà quatre ans d'expérience en tant que Présidente de Section. Dans ce milieu très hiérarchisé de la magistrature, cela compte. "C'est la seule spécialiste en la matière, en droit administratif. Depuis 15 ans, elle ne fait que cela", indique un magistrat. 

Le Président Sall saisi à deux reprises 

Unique femme dans la trentaine de magistrats de la Cour suprême, elle a du mal à s'adapter. Elle est pourtant très liée à l'ex-Premier Président Pape Oumar Sakho, au départ. Mais curieusement, leurs relations se détériorent avec une vitesse vertigineuse. "C'étaient des amis. Ils entretenaient d'excellentes relations. Elle a tout donné pour que Sakho réussisse. La seule chose qu'elle n'a pas faite, c'est de ne pas passer la nuit au bureau pour travailler", indique-t-on.

L'on raconte bien dans les couloirs de la Cour suprême qu'il leur arrivait de manger très souvent ensemble, en compagnie d'un greffier lié aux deux. Mais que s'est-il donc passé pour que leurs liens, si forts au début, se détériorent pour devenir hostiles. Un choc d'ambitions ? Sans doute. En tout cas, la première salve partira de Pape Oumar Sakho qui a voulu la muter, mais qui se verra opposer une résistance farouche.

Mme Fatou Habibatou Diallo écrit au Président Macky Sall. Les choses rentrent dans l'ordre. Mais la plaie n'est pas encore cicatrisée. Mamadou Badio Camara nommé à la place de Pape Oumar Sakho fait installer Cheikh Tidiane Coulibaly, et prend la même mesure que son prédécesseur. Mme Fatou Habibatou Diallo doit rejoindre la Chambre civile et commerciale. Même scénario, même crise.

La Présidente de la Chambre administrative refuse encore de quitter son poste. "L'ordre de préséance a été faussé depuis la nomination de Badio comme procureur général aggravé par sa nomination comme Président". Mais si le profil de Fatou Habibatou Diallo est mis en avant, tout le monde dans la magistrature ne rame pas dans la direction indiquée.

Ils sont en effet nombreux à penser que la dame "ne pouvait en aucune façon être nommée Procureur général, parce qu'elle n'a jamais fait le parquet, mais encore qu'elle n'a rien à gagner dans ce bras de fer qu'elle mène présentement". Le Président Macky Sall a en effet été saisi de la question, comme il l'a été sous Sakho, pour les mêmes raisons… 



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