La libération prochaine de trois prisonniers détenus depuis près de vingt ans à Guantanamo a relancé les spéculations sur la possibilité que Joe Biden ferme la tristement célèbre prison militaire américaine.
Une commission de la Maison Blanche a approuvé le 17 mai la libération de trois détenus dont l’homme d’affaires pakistanais Saifullah Paracha, 73 ans et doyen des prisonniers.
Arrêtés et transférés à la prison entre 2001 et 2003, ils n’ont jamais été inculpés, comme la plupart de leurs co-détenus.
Guantanamo a été ouvert en 2002 en territoire américain à Cuba pour détenir des membres d’Al-Qaïda et complices présumés des auteurs des attaques du 11 Septembre 2001. La prison est devenue une épine dans le pied de Washington, accusé de détention illégale, de violations des droits humains et de torture.
Elle a compté jusqu’à près de 800 “prisonniers de guerre”, la plupart incarcérés malgré des preuves fragiles sur leur implication.
Beaucoup ont été torturés dans des sites secrets de la CIA avant leur transfèrement.
Seuls une dizaine d’entre eux ont vu les soupçons américains confirmés.
Engagement présidentiel
Joe Biden était vice-président quand Barack Obama a ordonné la fermeture de Guantanamo, en janvier 2009, dans l’idée de faire juger les prisonniers par des tribunaux civils. Mais la décision, très impopulaire, a été bloquée au Congrès.
Sous ses deux mandats, Barack Obama a préféré faire libérer en catimini des centaines de détenus dont la sortie avait été approuvée par la Commission de révision (PRB) de la présidence. Ces libérations ont été interrompues sous le mandat de Donald Trump.
Et alors que les Etats-Unis préparent leur retrait d’Afghanistan pour le 20e anniversaire des attentats, elle abrite encore 40 détenus.
Le président “reste engagé” dans la fermeture de Guantanamo, a assuré en avril la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki.
“J’ai confiance dans le fait que l’administration Biden va vider Guantanamo dans la mesure du possible”, a déclaré l’avocat de Saifullah Paracha, Shelby Sullivan-Bennis.
Les organisations de défense de droits humains demandent un acte fort de Joe Biden.
Il “ne peut pas avoir de vraie crédibilité en appelant les autres pays à respecter les droits humains sans donner la priorité à la fermeture de Guantanamo”, affirme Daphne Eviatar d’Amnesty International.
Sur les 40 hommes encore détenus, neuf ont déjà reçu leur bon de sortie.
Douze, dont Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre, attendent d’être jugés par une commission militaire, qui n’a émis que deux condamnations en deux décennies.
Les 19 autres sont dans les limbes judiciaires, détenus sans inculpation et pas blanchis par la PRB.
Shayana Kadidal, du Center for Constitutional Rights qui défend plusieurs détenus, estime que Joe Biden évitera la faute politique d’une annonce publique et pourrait, comme Barack Obama, laisser faire la PRB.
L’avocat salue un “changement d’attitude” de la commission avec ses dernières décisions, suggérant qu’elle est désormais prête à entendre les cas les plus difficiles: ces détenus souffrant de troubles psychiatriques et ayant été torturés par la CIA.
Mais il y a d’autres obstacles, comme la nomination d’un émissaire américain pour négocier les rapatriements des détenus dans leur pays de destination, un poste supprimé par Donald Trump.
L’autre défi est le sort des 12 prisonniers encore dans le système judiciaire militaire avec six d’entre eux, dont Khalid Sheikh Mohammed, encourant la peine de mort.
Leurs cas avancent lentement, au gré des questions de procédure et des changements de juges ou d’avocats.
La perspective de les voir jugés par des tribunaux civils reste un risque politique pour Joe Biden, estime Shayana Kadidal.
Ces procès pourraient révéler les tortures et les violations des droits subis par les prisonniers, et leur valoir la sympathie des juges et des jurés.
Au Pentagone, l’idée circule aussi que Guantanamo pourrait servir dans les conflits futurs, dit le juriste.
Les avocats des détenus s’inquiètent, eux, des peines capitales que pourraient prononcer ces tribunaux civils.
“Ils ont de meilleures conditions (de détention) que dans une prison de haute sécurité et pourraient mourir de causes naturelles” à Guantanamo, explique M. Kadidal.
Pour lui, “être à Guantanamo sans procès est, dans une certaine mesure, préférable à ce qu’ils pourraient vivre ailleurs”.