La Tribune Afrique - Depuis votre réélection en mars dernier, c'est votre troisième visite à Paris. Serait-ce le signe d'un réchauffement des relations entre Paris et Moroni ?
Azali Assoumani - S'il n'y avait aucun problème, cela signifierait qu'il y a de l'hypocrisie quelque part... Les tensions sont normales, mais l'important est de trouver des solutions. Par ailleurs, il y a une telle diaspora comorienne à Paris que ma présence est tout à fait naturelle [...] J'étais ici le 22 juillet à l'invitation du président Macron, tout comme je l'étais pour le Sommet de la Paix en novembre, et aujourd'hui je suis à Paris pour la levée de fonds qui représente un grand moment pour les Comoriens. J'espère repartir avec de très bons résultats.
Précisément, quel est le montant avec lequel vous souhaiteriez repartir à Moroni ?
Je suis ambitieux et je souhaite repartir avec 4,2 milliards d'euros pour financer des projets bancables, mais si nous obtenons 6 milliards, on ne les refusera pas ! Notre projet a été très bien préparé, avec le soutien de l'Agence française de Développement, le Programme des Nations unies pour le développement, la Banque mondiale et un certain nombre de partenaires.
De quelle manière ces fonds seront-ils répartis en priorité ?
Ils seront répartis en projets phares et en projets sectoriels, car nous voulons atteindre l'émergence des Comores d'ici 2030. Il faut insister sur plusieurs piliers très rapidement. Nous disposons de sites naturels très intéressants selon les experts et la priorité a été donnée au secteur du tourisme. Nous avons un capital à renforcer, car les Comores proposent un environnement sûr, où il fait bon vivre et où il est possible de circuler sans inquiétude (...) Le développement de ce secteur est source de création d'emplois. Il nous faut développer nos infrastructures routières et nos liaisons maritimes entre chaque île, mais également notre artisanat. Le tourisme est donc un moteur pour développer de nombreuses activités.
Quelle sera la place accordée au développement du secteur halieutique ?
Nous n'avons jamais exploité nos ressources halieutiques alors que notre espace maritime est immense. Madagascar qui a une superficie trois fois plus grande que celle de la France dispose du même territoire maritime que nous [en milles marins; ,ndlr] et nous sommes pratiquement dix fois moins grands en termes de superficie que Madagascar [...]Nous pratiquons encore la pêche artisanale et l'industrie de la pêche est l'un de nos principaux projets, mais nous voulons aussi développer notre agriculture, grâce à une pluviométrie favorable, de 6 mètres par an. Nous voulons renforcer nos cultures vivrières pour atteindre l'autosuffisance alimentaire, car actuellement, nous dépendons fortement des importations de riz. Nous souhaitons également développer nos exportations d'ylang-ylang, de vanille, de girofle, de cacao et de café, et transformer ces produits pour leur donner plus de valeur ajoutée, tout en créant de l'emploi pour la jeunesse qui cherche surtout à entrer dans l'administration aujourd'hui. On veut donc les inciter à l'entrepreneuriat.
Comment vous prémunissez-vous des risques de terrorisme régional ?
Nous sommes très vigilants afin d'éviter de devenir un pays de transit pour les groupes terroristes. Nous ne sommes pas une destination pour eux, mais nous pourrions être menacés de devenir un « tremplin » vers d'autres territoires. Les pays insulaires sont particulièrement ciblés et aujourd'hui, nous ne disposons pas des capacités suffisantes pour tout contrôler au large de nos côtes.
Vous avez participé au Sommet de Sotchi en octobre. Les Russes se sont-ils positionnés pour vous proposer assistance face aux risques sécuritaires ?
Non, pour le moment ils ne l'ont pas fait. Actuellement, nous travaillons surtout avec la sécurité française, les Emirats et les Etats-Unis. La compagnie Airbus sera d'ailleurs présente à la conférence de demain [entretien réalisé le 1er décembre, ndlr] et devrait nous aider en matière de sécurité maritime. Nous cherchons à préserver les Comores de ce risque et à protéger notre jeunesse contre toute incitation à ce type d'influence.
Les Russes ont-ils manifesté leur intérêt pour les ressources pétrolières offshore des Comores ?
Nous sommes toujours dans le cadre de la prospection [...] Nous voulons préparer notre jeunesse à exploiter cette ressource aux côtés des sociétés pétrolières internationales, le jour venu.
Dans certains pays d'Afrique où le pétrole est exploité par des compagnies étrangères, on voit bien le chantage politique qui s'exerce sur eux. Nous ne voulons pas tomber dans ce piège (...) Par ailleurs, nous voulons surtout préserver l'unité de notre pays et éviter que le pétrole soit à l'origine de divisions qui seraient exploitées par l'extérieur.
Le pétrole ne doit pas être à la base de notre développement. Nous sommes sortis des PMA [pays moins avancés, ndlr] pour devenir un pays à revenu intermédiaire avec un PIB par habitant de 1200 dollars selon la Banque mondiale. Aujourd'hui, nous voulons surtout nous appuyer sur le tourisme, l'agriculture et la pêche pour développer notre économie.
Que se passerait-il en cas de découverte de réserves pétrolières du côté de Mayotte ?
Mayotte est comorienne. Si cela arrivait, on n'aurait pas les moyens de prendre Mayotte par la force face à la France. On ferait une réclamation en espérant que le droit international primerait (...) J'espère que les dialogues engagés avec la France et les Mahorais finiront par démontrer que nous gagnerons plus ensemble que divisés.
Où en sont les discussions avec le président Macron au sujet des visas requis pour les Comoriens qui veulent se rendre à Mayotte ?
Les discussions avancent très bien. C'est un contentieux et nous sommes d'accord là -dessus. Chacun considère que c'est un problème et nous cherchons la solution. « Quelle forme d'unité allons-nous trouver ? », regrettait le président Mitterrand en 1990 à Moroni [...] Malgré tout, les relations entre la France et les Comores ont toujours été très bonnes, en dépit de ce contentieux. De plus, demain l'émergence de Moroni profiterait en premier lieu à la France si nous conservons de bonnes relations.
Où en êtes-vous de la reconstruction après le passage de l'ouragan Kenneth qui a causé la mort de 6 personnes et fait 200 blessés ?
Nous sommes dans une zone très exposée aux cyclones, en particulier en décembre, janvier et février pendant la période du kashkazi. Kenneth a fait beaucoup de dégâts et a affecté la croissance que l'on espérait proche de 4% avec la Banque mondiale et qui a été réduite à 2.8%. Finalement, le FMI, la France et les Emirats, ainsi que de nombreux partenaires nous ont soutenus dans nos travaux de reconstruction qui ont commencé grâce aux fonds reçus. Il faut maintenant prévenir de nouvelles catastrophes et que chacun s'implique sur la question climatique (...) Par ailleurs, les Comores sont à la fois menacées par les cyclones, mais aussi par la montée des eaux et par l'érosion de la montagne Karthala en raison des secousses maritimes.
Vous avez fait des gestes en matière de réconciliation nationale, en libérant plusieurs membres de l'opposition, mais qu'en est-il de la question de l'ancien président Sambi, malade et néanmoins maintenu en résidence surveillée ?
Ils n'étaient pas emprisonnés parce qu'ils étaient opposants, mais parce qu'ils avaient commis des actes répréhensibles. Ils ont attenté à la vie d'un gendarme, à la vie d'un vice-président et d'un président [...] Quant à Sambi, il n'est pas en prison, mais chez lui. Un médecin l'a ausculté et il en a conclu qu'il allait très mal tandis qu'un autre médecin a considéré que son état n'était pas si grave que cela. Je vous assure que si son état l'exige, il sera évacué pour recevoir les soins nécessaires. Pour l'instant, l'état qui nous a été présenté n'a pas donné lieu à une nécessité absolue pour une évacuation médicale.
Propos recueillais par Marie-France Réveillard