Le 30 mai 2016, l’ancien Président tchadien Hissène Habré a été condamné à perpétuité, par la Chambre africaine extraordinaire siégeant à Dakar.
Me Abdoulaye TINE, Avocat au Barreau de Paris et par ailleurs Professeur de droit pénal international à l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar a, dans cet entretien, tenu à décrypter ce verdict.
D’abord quels sont les chefs d’accusation pour lesquels la culpabilité de M.HABRE a été retenue ?
M. Habré a été reconnu coupable « de crimes contre l'humanité, de viol, d'esclavage forcé, d'homicide volontaire, de pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de tortures et d'actes inhumains».
Quels ont été les éléments de preuves ayant servi à asseoir et à justifier cette condamnation ?
Ces éléments sont multiples et variés on peut citer à titre d’exemple : -les accusations de viol, en effet des femmes et des (2) filles à l’époque des faits âgées seulement de 11 et 13 ans survivantes ont affirmé à la barre avoir été utilisées comme esclaves sexuelles pour l’armée de Hissène Habré et que des soldats avaient violé à plusieurs reprises.
Une autre du nom de Khadidja Hassan Zeydane a déclaré avoir été violée par Hissène Habré lui-même et cela à 4 reprises. Elle a eu à déclarer que: « pour la 3eme torture ils m’ont amené à la présidence et ont voulu me forcer à avoir des rapports sexuels avec HH. Devant mon refus, HH m’a poignardé au sexe avec un stylo et sur les deux jambes. Du sang coulé en abondance, il a dû renoncer à son acte ».
-les accusations de tortures : des survivants ont décrit les principales formes de torture alors employées, parmi lesquelles « l’arbatachar », qui implique d’attacher ensemble les bras et les jambes du prisonnier dans son dos afin d’interrompre le flux sanguin, ce qui conduit rapidement à une paralysie.
Faut ajouter par ailleurs que la torture était systématique et au titre de la responsabilité d’Habré il arrivait qu’il participe lui-même à ses actes de torture soit de par sa présence sur les lieux ou par talkie-walkie.
- les accusations de violation du droit international humanitaire (DIH), c'est-à -dire des lois et coutumes de la guerre à l’occasion de campagnes militaires menées sous les ordres d’Habré.
Selon le Tribunal, quel est l’étendu de responsabilité d’Habré dans ces crimes ? Comment cela a pu être démontré ?
La juridiction a fait application d’un principe bien établi en droit pénal international et qui a été consacré depuis le procès de Nuremberg, c’est celui de « la responsabilité hiérarchique ».
Selon ce principe, « les dirigeants » sont responsables pénalement de tous les actes accomplis par leurs subordonnées, c’est à dire des personnes qui sont placées sous leur contrôle.
C’est le principe du commandement responsable.
En l’espèce, M. Habré a été considéré comme étant le responsable hiérarchique de la police politique, c'est-à -dire de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) qui commettait la plus part des crimes en cause. Et qui bien étant informé de l’agissement de ses subordonnés n’a pris aucune mesure pour les arrêter dans leurs actes mais bien au contraire leurs assuraient une immunité leur octroyant tout droit d’exercice.
En effets, un des anciens responsables de la DDS, du nom de BANGJIM DANDOUM a même livré un témoignage sur leurs méthodes.
Selon ce dernier, les rapports sur les détenus envoyés à la présidence revenaient avec des annotations : E pour « exécution », L pour « libération », ou V pour « vu».
Selon ses déclarations, seul M ; Habré pouvait ordonner une libération. Il résulte qu’Habré avait un pouvoir de direction et de contrôle sur les agissements de ses subordonnés de la DDS.
En outre, l’expertise d’un graphologue nommé par la juridiction a permis de montrer que des annotations sur des documents auraient pu avoir été écrites par l’accusé.
Ce que l’accusé lui même n’a pas contesté, vu qu’il avait opté pour une stratégie consistant à garder le silence devant ses juges.
Justement, Habré écope de la peine maximale, donc une lourde peine, paie-t-il ainsi sa stratégie du silence et sa posture de non coopération avec le Tribunal ?
On peut raisonnablement l’interpréter ainsi, vu qu’aucune circonstance atténuante n’a été accordée à M. Habré. Et de surcroît, la peine maximale lui a été infligée, c’est à dire la condamnation à perpétuité qui veut dire la prison à vie.
Les victimes peuvent-elles ainsi bénéficier de réparations ?
Oui, c’est là où réside l’une des particularités et des innovations du montage juridique de ce « Tribunal », ceci en comparaison aux précédents contentieux internationaux de droit de l’Homme de même envergure et de même acabit.
Oubliées jusqu'à présent par la justice internationale (en dehors de la CPI), les victimes ont obtenu enfin dans le statut de la juridiction une place qui leur revient et qui ne leur était pas reconnue, par exemple dans les statuts du Tribunal Pénal pour le Rwanda (TPIR) ou celui de l’Ex Yougoslavie (TPIY).
En effet, dans l’affaire Habré, les victimes ont eu le droit de participer à tous les stades de la procédure et en cela il s’agit d’une grande avancée procédurale.
Un fond spécifique d’indemnisation est même institué.
A ce propos, il n’est pas inutile de préciser que selon le droit pénal international, la responsabilité du Tchad d’apporter réparation aux victimes de violations flagrantes de droits humains est distincte des réparations incombant à M. Habré, pour qui la juridiction a également ordonné à titre de peine complémentaire la confiscation de tous ses biens saisis au profit de l’indemnisation des victimes.
En plus de cela, pour l’indemnisation des victimes, des contributions volontaires de l’Union Africaine (UA) et d’autres Etats notamment de l’Union européenne sont attendues.
Maintenant qu’Habré est reconnu coupable, une deuxième série d’audiences devraient être mises en place pour statuer sur les dommages et intérêts des parties civiles, sous réserve bien entendu qu’aucun appel ne soit enregistré dans les délais légaux.
Déjà en juillet 2013, après l’arrestation de Hissène Habré, le Tchad avait déclaré que : « le Gouvernement tchadien indemniserait les survivants et les familles des victimes décédées ».
Une décision judiciaire tchadienne a même ordonné au Gouvernement d’indemniser les victimes à hauteur d’un montant de 125 millions de dollars.
Les indemnités provenant du fonds pourront être attribuées aux victimes individuellement ou collectivement, qu’elles aient ou non participé au procès de Hissène Habré.
Après ce verdict un appel est-il possible pour Habré ?
Même si Habré ne reconnait pas l’autorité du Tribunal, il est possible pour ses avocats commis d’office de faire appel en son nom.
En cas d’appel, une Chambre Extraordinaire Africaine d’assises d’appel charger d'y statuer devra voir le jour. En clair un nouveau procès Habré pourrait se tenir.
Pour cela, les Conseils de M. Habré disposent d'un délai de 15 jours à compter du prononcé du verdict (à savoir le 30 mai 2016) pour faire leur déclaration d’appel.
Que représente ce procès dans la marche de la justice internationale ?
Les critiques à l’encontre de cette juridiction africaine, ne doivent pas avoir raison de l’apport essentiel de cette décision dans l’évolution des droits de l’Homme en Afrique, ni du précédent qu’il constitue.
En effet, ce jugement a une valeur historique dans la mesure où Hissène Habré était le premier ancien Chef d'État à être jugé par une juridiction africaine pour des violations graves des droits de l’homme, grâce à la mise en œuvre de la technique juridique de la compétence universelle et nous devons nous en féliciter.
Cela n’a pas été le cas pour Charles Taylor (ancien Président du Libéria) ou encore Laurent Gbagbo (ancien Président ivoirien), tous jugés à la Haye.
Oui, on est conscient que le procès lui-même est loin d’être parfait, car des imperfections et d’incohérences ont été çà et là relevées, mais il faut également s’avouer que Justice n’est parfaite nulle part.
Et ceci d’autant plus qu’il s’agit d’une première expérience, dans le cadre de cette dynamique nouvelle de justice transnationale, en gestation et en balbutiement.
Une justice, certes imparfaite, mais sans doute perfectible !
C’est pourquoi, en dépit de toutes ces imperfections constatées, nous devons continuer à soutenir et à œuvrer pour que sur le continent africain, « ce qui est juste soit fort et ce qui est fort soit juste ».
En vérité, aucun esprit non partisan ne peut valablement nier que des crimes graves, atroces aient été commis entre 1982 et 1990 au Tchad. Plus de 40.000 victimes, dont 4.000 persones dénommées.
Il fallait donc que la justice passe pour ces crimes commis ! Et comme disait Hegel : « Que justice soit faite ou le monde périra !».
Plus qu’une avancée du droit, nous devons y voir un recul des frontières de l’impunité en Afrique.
Tout ce processus de maturation institutionnelle, qui est en train de se dérouler sous nos yeux, devra, à terme, nous conduire vers l’émergence d’un Nouvel Ordre Judiciaire Africain et pourquoi pas même à la création d’une Cour Criminelle Africaine ?
Mais quoi qu’il en soit, le constat est plus que saisissant car ce verdict ouvre déjà la voie à une nouvelle ère de responsabilité pénale des Chefs d’Etats africains, celle où l’Afrique juge enfin ses propres dirigeants.
Me Abdoulaye TINE, Avocat au Barreau de Paris et par ailleurs Professeur de droit pénal international à l’Institut des Droits de l’Homme et de la Paix (IDHP) de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar a, dans cet entretien, tenu à décrypter ce verdict.
D’abord quels sont les chefs d’accusation pour lesquels la culpabilité de M.HABRE a été retenue ?
M. Habré a été reconnu coupable « de crimes contre l'humanité, de viol, d'esclavage forcé, d'homicide volontaire, de pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvement de personnes suivi de leur disparition, de tortures et d'actes inhumains».
Quels ont été les éléments de preuves ayant servi à asseoir et à justifier cette condamnation ?
Ces éléments sont multiples et variés on peut citer à titre d’exemple : -les accusations de viol, en effet des femmes et des (2) filles à l’époque des faits âgées seulement de 11 et 13 ans survivantes ont affirmé à la barre avoir été utilisées comme esclaves sexuelles pour l’armée de Hissène Habré et que des soldats avaient violé à plusieurs reprises.
Une autre du nom de Khadidja Hassan Zeydane a déclaré avoir été violée par Hissène Habré lui-même et cela à 4 reprises. Elle a eu à déclarer que: « pour la 3eme torture ils m’ont amené à la présidence et ont voulu me forcer à avoir des rapports sexuels avec HH. Devant mon refus, HH m’a poignardé au sexe avec un stylo et sur les deux jambes. Du sang coulé en abondance, il a dû renoncer à son acte ».
-les accusations de tortures : des survivants ont décrit les principales formes de torture alors employées, parmi lesquelles « l’arbatachar », qui implique d’attacher ensemble les bras et les jambes du prisonnier dans son dos afin d’interrompre le flux sanguin, ce qui conduit rapidement à une paralysie.
Faut ajouter par ailleurs que la torture était systématique et au titre de la responsabilité d’Habré il arrivait qu’il participe lui-même à ses actes de torture soit de par sa présence sur les lieux ou par talkie-walkie.
- les accusations de violation du droit international humanitaire (DIH), c'est-à -dire des lois et coutumes de la guerre à l’occasion de campagnes militaires menées sous les ordres d’Habré.
Selon le Tribunal, quel est l’étendu de responsabilité d’Habré dans ces crimes ? Comment cela a pu être démontré ?
La juridiction a fait application d’un principe bien établi en droit pénal international et qui a été consacré depuis le procès de Nuremberg, c’est celui de « la responsabilité hiérarchique ».
Selon ce principe, « les dirigeants » sont responsables pénalement de tous les actes accomplis par leurs subordonnées, c’est à dire des personnes qui sont placées sous leur contrôle.
C’est le principe du commandement responsable.
En l’espèce, M. Habré a été considéré comme étant le responsable hiérarchique de la police politique, c'est-à -dire de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) qui commettait la plus part des crimes en cause. Et qui bien étant informé de l’agissement de ses subordonnés n’a pris aucune mesure pour les arrêter dans leurs actes mais bien au contraire leurs assuraient une immunité leur octroyant tout droit d’exercice.
En effets, un des anciens responsables de la DDS, du nom de BANGJIM DANDOUM a même livré un témoignage sur leurs méthodes.
Selon ce dernier, les rapports sur les détenus envoyés à la présidence revenaient avec des annotations : E pour « exécution », L pour « libération », ou V pour « vu».
Selon ses déclarations, seul M ; Habré pouvait ordonner une libération. Il résulte qu’Habré avait un pouvoir de direction et de contrôle sur les agissements de ses subordonnés de la DDS.
En outre, l’expertise d’un graphologue nommé par la juridiction a permis de montrer que des annotations sur des documents auraient pu avoir été écrites par l’accusé.
Ce que l’accusé lui même n’a pas contesté, vu qu’il avait opté pour une stratégie consistant à garder le silence devant ses juges.
Justement, Habré écope de la peine maximale, donc une lourde peine, paie-t-il ainsi sa stratégie du silence et sa posture de non coopération avec le Tribunal ?
On peut raisonnablement l’interpréter ainsi, vu qu’aucune circonstance atténuante n’a été accordée à M. Habré. Et de surcroît, la peine maximale lui a été infligée, c’est à dire la condamnation à perpétuité qui veut dire la prison à vie.
Les victimes peuvent-elles ainsi bénéficier de réparations ?
Oui, c’est là où réside l’une des particularités et des innovations du montage juridique de ce « Tribunal », ceci en comparaison aux précédents contentieux internationaux de droit de l’Homme de même envergure et de même acabit.
Oubliées jusqu'à présent par la justice internationale (en dehors de la CPI), les victimes ont obtenu enfin dans le statut de la juridiction une place qui leur revient et qui ne leur était pas reconnue, par exemple dans les statuts du Tribunal Pénal pour le Rwanda (TPIR) ou celui de l’Ex Yougoslavie (TPIY).
En effet, dans l’affaire Habré, les victimes ont eu le droit de participer à tous les stades de la procédure et en cela il s’agit d’une grande avancée procédurale.
Un fond spécifique d’indemnisation est même institué.
A ce propos, il n’est pas inutile de préciser que selon le droit pénal international, la responsabilité du Tchad d’apporter réparation aux victimes de violations flagrantes de droits humains est distincte des réparations incombant à M. Habré, pour qui la juridiction a également ordonné à titre de peine complémentaire la confiscation de tous ses biens saisis au profit de l’indemnisation des victimes.
En plus de cela, pour l’indemnisation des victimes, des contributions volontaires de l’Union Africaine (UA) et d’autres Etats notamment de l’Union européenne sont attendues.
Maintenant qu’Habré est reconnu coupable, une deuxième série d’audiences devraient être mises en place pour statuer sur les dommages et intérêts des parties civiles, sous réserve bien entendu qu’aucun appel ne soit enregistré dans les délais légaux.
Déjà en juillet 2013, après l’arrestation de Hissène Habré, le Tchad avait déclaré que : « le Gouvernement tchadien indemniserait les survivants et les familles des victimes décédées ».
Une décision judiciaire tchadienne a même ordonné au Gouvernement d’indemniser les victimes à hauteur d’un montant de 125 millions de dollars.
Les indemnités provenant du fonds pourront être attribuées aux victimes individuellement ou collectivement, qu’elles aient ou non participé au procès de Hissène Habré.
Après ce verdict un appel est-il possible pour Habré ?
Même si Habré ne reconnait pas l’autorité du Tribunal, il est possible pour ses avocats commis d’office de faire appel en son nom.
En cas d’appel, une Chambre Extraordinaire Africaine d’assises d’appel charger d'y statuer devra voir le jour. En clair un nouveau procès Habré pourrait se tenir.
Pour cela, les Conseils de M. Habré disposent d'un délai de 15 jours à compter du prononcé du verdict (à savoir le 30 mai 2016) pour faire leur déclaration d’appel.
Que représente ce procès dans la marche de la justice internationale ?
Les critiques à l’encontre de cette juridiction africaine, ne doivent pas avoir raison de l’apport essentiel de cette décision dans l’évolution des droits de l’Homme en Afrique, ni du précédent qu’il constitue.
En effet, ce jugement a une valeur historique dans la mesure où Hissène Habré était le premier ancien Chef d'État à être jugé par une juridiction africaine pour des violations graves des droits de l’homme, grâce à la mise en œuvre de la technique juridique de la compétence universelle et nous devons nous en féliciter.
Cela n’a pas été le cas pour Charles Taylor (ancien Président du Libéria) ou encore Laurent Gbagbo (ancien Président ivoirien), tous jugés à la Haye.
Oui, on est conscient que le procès lui-même est loin d’être parfait, car des imperfections et d’incohérences ont été çà et là relevées, mais il faut également s’avouer que Justice n’est parfaite nulle part.
Et ceci d’autant plus qu’il s’agit d’une première expérience, dans le cadre de cette dynamique nouvelle de justice transnationale, en gestation et en balbutiement.
Une justice, certes imparfaite, mais sans doute perfectible !
C’est pourquoi, en dépit de toutes ces imperfections constatées, nous devons continuer à soutenir et à œuvrer pour que sur le continent africain, « ce qui est juste soit fort et ce qui est fort soit juste ».
En vérité, aucun esprit non partisan ne peut valablement nier que des crimes graves, atroces aient été commis entre 1982 et 1990 au Tchad. Plus de 40.000 victimes, dont 4.000 persones dénommées.
Il fallait donc que la justice passe pour ces crimes commis ! Et comme disait Hegel : « Que justice soit faite ou le monde périra !».
Plus qu’une avancée du droit, nous devons y voir un recul des frontières de l’impunité en Afrique.
Tout ce processus de maturation institutionnelle, qui est en train de se dérouler sous nos yeux, devra, à terme, nous conduire vers l’émergence d’un Nouvel Ordre Judiciaire Africain et pourquoi pas même à la création d’une Cour Criminelle Africaine ?
Mais quoi qu’il en soit, le constat est plus que saisissant car ce verdict ouvre déjà la voie à une nouvelle ère de responsabilité pénale des Chefs d’Etats africains, celle où l’Afrique juge enfin ses propres dirigeants.