Déguerpie par la direction de Fortesa et installée à moins de 200 mètres, Aïssatou Sow vit sans eau ni électricité. Veuve depuis, elle a perdu le champ de son défunt époux et constate, impuissante, ses enfants abandonner l’école.
Des histoires avec Fortesa racontées à Ngadiaga, celle de Aïssatou Sow, 46 ans et veuve depuis une dizaine d’années, est des plus tristes au-delà des jardins repris moyennant quelles sommes dérisoires. En pleine séance de «Yébii», cette cérémonie familiale de partage des cadeaux après un mariage, elle a eu du mal à conter l’histoire. Son histoire à elle. Toutefois, sur insistance des sœurs de son défunt époux, le visage à peine dévoilé, elle plonge dans un récit qui glace le sang. « Notre concession se situait sur l’actuel site de la direction de Fortesa (elle fait un signe de main), commence-t-elle avec un trémolo à la gorge ». « Au début, mon époux n’avait pas accepté. Il était ferme et catégorique. Il ne voulait rien comprendre, ni savoir. C’était pour lui, un honneur et un privilège d’hériter des champs de son père et le site d’habitat de ce dernier. Mais… », se remémore-t-elle au milieu de cinq autres dames. « Nous avons été sommés de quitter. Nous n’avions pas voulu mais on nous a fait comprendre que le site occupé est un domaine national. Et que par ailleurs, si l’Etat en a besoin, on ne pouvait pas faire obstacle. Nous avons finalement accepté malgré tout », regrette la veuve, assise sur une natte à même le sol « Nous avons été dédommagés à hauteur d’1 million de Fcfa qui n’a servi qu’à construire une maison de deux pièces sans possibilité d’adduction en eau potable ni branchement électrique », se désole-t-elle les larmes presque aux yeux avant d’accuser : « Pourtant, nous sommes à 100 m de la direction de Fortesa qui ne manque pas de courant de jour comme de nuit ». Restée seule avec ses enfants dont les plus âgés ont (tous) abandonné l’école faute de moyens financiers, Aïssatou pleure toujours son défunt époux. « Nous n’avions pas assez de moyens certes mais nous vivions du fruit de notre labeur. Nos enfants étaient à l’école et nous avions un immense espoir quant à leur réussite. Hélas. Depuis la mort de leur papa, je n’ai plus les moyens ni la force de les éduquer au point de les obliger à rester à l’école. L’un après l’autre, ils ont fini par abandonner (dont celle qui s’est mariée lundi, veille de notre arrivée) les classes », a poursuivi Aïssatou Sow. Pour s’éclairer la nuit, Aïssatou Sow utilise un petit panneau solaire de couleur rouge payé à 6 000 Fcfa. A notre passage, il était posé sur un piquet sous le soleil à côté de la maison pour chargement. « C’est tout ce que j’ai pour au moins, chercher quelque chose la nuit dans la chambre », se résigne-t-elle. Auparavant, Aïssatou Sow révèle qu’elle avait un branchement électrique (55.000 Fcfa pour l’abonnement) pour une ampoule qui lui revenait, mensuellement, entre 2000 et 3000 Fcfa et un robinet (frais de branchement à 35.000 Fcfa). Mais à force d’accumuler les arriérés, le réseau électrique lui a été coupé tout comme le branchement d’eau. « Je ne pouvais plus payer. Je ne dépends que de moi. Mes activités économiques ne marchent plus et je n’ai plus les moyens pour débourser tous les mois 3000 Fcfa (électricité) et 1 500 Fcfa(eau) alors que mes enfants doivent manger », s’est-elle apitoyée sur son sort. Presqu’en sanglots, elle reprend son souffle. Mais la tristesse et la rancœur se lisent sur son front…Elle reprend son foulard et se couvre le visage, soutenue par les autres lui remontant le moral. « C’est Dieu qui t’a donnée un mari. C’est lui qui l’a repris. Crois en lui et prie pour tes enfants », lui conseillent-elles en puisant dans les versets des paroles saintes pour toucher sa foi. Mais la réalité prosaïque des faits est…là.
Source : Libération quotidien/dossier affaire Fortesa