Humble est ta tombe comme humble tu fus de ton vivant. Les lambris des palais ne t’ont jamais ébloui, sauf quand ils rivalisaient avec l’éclat des yeux pers de la si belle Colette ! J’ai acheté des fleurs pour toi, pour Colette, pour Philippe, pour vous trois qui reposez désormais ensemble.
Je suis resté longtemps, longtemps avec toi et puis je suis allé embrasser, pas loin de toi, à peine une coudée, Bruno Robert Louis Diatta -1948-2018-, Maurice Sonar Senghor, le mythique directeur du Théâtre Daniel Sorano -1926-2007-, Justin Charles Carrère Mbodj le poète de Gorée et de Lagnon -1928-2020-. J’ai remarqué que le légendaire chef du Protocole présidentiel était toujours à la tâche. En effet, la tombe de Bruno devance de deux pouces la tienne, comme s’il officiait toujours, t’ouvrant, comme jadis, le chemin dans ses habits étoilés du Grand Ordre Protocolaire.
Elle était belle la lumière, ce samedi 10 décembre, sur Bel-Air en cette matinée d’alizé sur Dakar. Le silence était d’ambre en ce lieu au parfum de paix. On se croirait loin, très loin de cette capitale infernale et presque tragique qu’est Dakar ! Cette paix ici en ce lieu bleu de ta tombe où tout se tait, me rappelle Joal et la mer, là où tu voulais te reposer et que l’on t’a refusé.
Mais ils ne savent pas comme l’on dit les sages de Joal, qu’il y a longtemps que tu as regagné ton Joal. Ils sont même allés plus loin ces vieillards si éblouissants : « Ouvrez donc la tombe de Senghor ! Vous ne l’y trouverez point ». Pour le pauvre d’esprit que je suis, je sens pourtant mon cher Sédar, là, debout en prières, que tu as refondé Bel-Air en ton Joal rêvé. Je sais maintenant que tu reposes entre les alizés, entre deux méridiens, flottant et chantant, car Joal est bien ton seul matelas dans cette terre que j’imagine si douce, si moelleuse aux côtés de la Normande aux yeux pers et du petit Tutsi, comme tu aimais appeler si tendrement ton Philippe Maguilen.
Tu avais dans ta douleur innommable, par suite de son accident tragique et dans un poème altier, bravé le Dieu Unique de t’avoir pris ton fils, avant de LUI demander pardon, pardon. Tout mort souhaiterait avoir ce que tu as : entendre la voix de Dieu cinq fois par jour ! En effet, une mosquée de l’autre côté du mur, décline le chant du muezzin. Quelle grâce, quel don du Seigneur que Sa Parole se pose cinq fois par jour sur ta tombe !
Je me suis senti heureux ici, près de et avec toi, ce samedi 10 décembre, alors que je devais être si triste. Ému, je me suis assis sur le marbre lisse de ta tombe et j’ai pensé et revu Issa, Jo Ouakam, Jo Ramangelissa Samb, quand venant te saluer avec tous les poètes du monde lors des rencontres poétiques internationales de Dakar, il s’asseyait à même le sol, près de toi, déclamant tes poèmes, toi le poète fondamental. Jo repose de l’autre côté de la ville, au cimetière de Ouakam, sous un arbre et j’espère que l’arbre y est encore debout. Il y repose dans la même miséricorde du Seigneur non loin de Birago Diop, le poète consacré.
Mon si cher poète, je l’ai toujours pensé et écrit : le souvenir nous venge toujours de la mort ! S’il est de notre devoir de nous souvenir de ceux que nous avons aimés, il est du devoir de ceux qui nous ont quittés, de nous revenir toujours par ce qu’ils nous ont laissé de beau et de grand ! Et cela se prépare ici, sur cette terre devenue si moche, si bête, si méchante. Et dire que la terre fut belle ! Mais il existe des morts qui nous la rendent toujours belle si nous prenons le temps de penser à eux, d’aller habiter ce qu’ils nous ont laissés : des œuvres de l’esprit, des œuvres de beauté, des œuvres de refuge, des vertus, quand l’homme a tout perdu.
Mon cher Sédar, tu nous as laissés un inégalable patrimoine de l’esprit et l’esprit ne meurt jamais ! L’évocation de ton seul nom, nous fige dans le respect et l’admiration. Par ordre alphabétique comme tu te déclinais toi-même : poète d’abord, professeur, soldat-tirailleur, homme d’État, ensuite. Dans chacun de ses titres, de ses habitats, qui te distinguaient, tu as porté le manteau de l’émerveillement et de la grandeur. Le Seigneur Seul, dans Sa Grâce infinie, peut donner un tel éblouissement !
Comme chaque année, je t’écris pour te dire que tu es là et que tu seras toujours là. Je t’écris aussi pour te porter les nouvelles de ton pays le Sénégal, de l’Afrique, du monde. Si un jour, je partais et je partirais bien un jour, à tes côtés nous réinventerons le Paradis, car le Paradis est le plus grand et le plus beau poème que le Seigneur a promis à ses humbles sujets. Pour le moment, Moustapha Niasse, le fidèle parmi les fidèles dont les larmes me foudroient le cœur à chaque fois qu’il t’évoque -ne pleure pas qui veut-, Maitre Boucounta Diallo, Amadou Ly, veillent, malgré l’âge au pas de course.
La Fondation Senghor ne va pas bien, mais elle résiste. Elle manque cruellement de ce que dont tu as manqué toute ta vie durant, poète comme chef d’État : de l’argent. Tu n’aimais pas l’argent. Il te faisait peur. Tu savais combien il pouvait corrompre et l’âme et l’esprit. Tu nous as appris à vivre sans faire de l’argent une quête. L’argent a remplacé Dieu pour les misérables d’esprit ! La grande leçon que tu nous as laissée et qui est une valeur haute et fortifiée, nous empêche jusqu’ici d’aller demander de quoi faire vivre et perpétuer la Fondation Senghor.
Moustapha Niasse nous rappelle toujours cette ligne rouge à ne pas franchir quoique cela coûte ! D’abord, ensuite et toujours, respecter l’esprit du maitre : ne jamais aller demander de l’argent ! Le président de la République, Macky Sall, veille pour qu’au moins nous ne fermions pas le sanctuaire. Nous le remercions de cette attention touchante. Mais le temps presse et les sentinelles déclinent. Puisse « Roog », puisse « Ndew » veiller sur ce patrimoine au service de l’esprit que tu nous as laissé !
Le Sénégal ? Il poursuit sa marche vers le développement, clopin-clopant, mais résolument. Ce qui a changé bien après toi, c’est l’appétit de culture. Un autre appétit, féroce et tenace, est venu tout remplacer : la soif de s’enrichir, quel qu’en soit le prix. La politique s’est mise au service de cette tragédie pour tout lui faciliter. Mais la vertu, la mesure et le sens de l’honneur ne se sont pas éteins chez tous les Sénégalais. Ce pays vaincra ceux qui l’humilieront face au monde.
Mais pour revenir à lui, le développement est-il, en vérité, du ressort de l’État seul ? Et les citoyens, alors ? A chacun sa partition. Il n’est pas question d’exonérer l’État. Son rôle est fondamental car pour garantir le développement, il faut garantir la discipline et la vertu par une autorité sans faille ! Quand tu as quitté le pouvoir pour le laisser à ton dauphin, tu m’as confié que ta seule crainte était que l’autorité ne se desserre. Tu pensais sans doute au jeune mais averti Abdou Diouf face aux « baobabs » du parti socialiste !
L’Afrique ? Ton continent lève de mieux en mieux la tête. Il a pris du temps, il en prendra encore, le temps d’une génération pour le moins, pour laver toutes les écuries d’Augias ! Il est encore des hommes d’État qui imposent leur volonté à leur peuple par la force, la ruse, la corruption, le détournement des suffrages, la surdité face aux règles universelles de la démocratie et de l’État de droit. Mais ils deviennent de moins en moins nombreux, moins vainqueurs.
Le monde ? Il reste le monde, c’est-à-dire complexe, fascinant, ambitieux, étonnant, boueux, boulimique en inventions, tragique. La Russie, pas la grande, mais celle qui est devenue petite en oubliant ses grands fils qui ont participé, par la pensée, l’écriture, la création, à façonner l’esprit humain, est en guerre contre l’Ukraine. Un contexte politique qui paralyse l’économie mondiale et met en danger l’avenir des peuples.
L’Europe devenue molle et sans poids réel, paie à prix fort cette guerre et nul ne peut prédire les conséquences qui, de jour en jour, s’aggravent. La France, en cet hiver 2022, aurait un calendrier de délestage, comme les plus démunis pays d’Afrique et d’Amérique latine. Bien repliés chez eux, loin, les États-Unis d’Amérique sont tout de même au cœur du conflit pour que la Russie capitule. Trop de morts déjà ! Des génocides que l’on croyait appartenir à un autre temps du monde. L’homme a muté en un animal monstrueux ! De grâce, et si tous ensemble nous ne tentions de refonder le monde en rendant la politique par autre chose de plus beau et de plus apaisant, de moins nécessaire pour conduire nos destinées ?
Mon cher Sédar, mieux vaut s’arrêter de te décrire notre terre. Il y a plus de morts que de vrais vivants ! Chaque jour, partout où le jour se lève ou que la nuit tombe, l’homme souffre et désespère. Nul doute que l’au-delà est meilleur qu’ici-bas.
Prie pour nous cher poète, prie. Je peux témoigner combien la prière sur terre était ton refuge ! En voyage, à tes côtés partout par le monde, tu me demandais après l’installation à l’hôtel, de me hâter de trouver une église où la messe était dite en latin. Je souriais toujours, car en latin, je ne garantissais rien et pourtant on finissait toujours de t’arranger ta messe en latin. Tu étais un émouvant croyant que la vie n’a pas épargnée avec la perte de tes deux enfants dans des conditions tragiques. Le seul qui te reste aujourd’hui, voyage dans sa propre nuit, mais il est là, vivant, et nous l’aimons et à travers lui, il y a toi. Tu nous disais toujours que le meilleur moyen de combattre la mort, était de se marier, d’avoir des enfants qui perpétuent votre vie. Mais, à la vérité, il est des pères qui perpétuent eux-mêmes leur vie en donnant à l’humanité, à leur peuple, le meilleur des souvenirs pour avoir grandi l’histoire de leur nation, de leur pays. Sédar, tu n’as pas que grandi le Sénégal. Tu l’as inventé et le chant sera long, très long à faire taire !
Repose et repose en paix mon cher poète. Embrasse Colette, Colette femme discrète et fascinante, une épouse aimée de tous et qui laisse dans nos mémoires un souvenir attendrissant. Rappelons ceci d’émouvant : née en novembre, Colette Senghor nous quitte en novembre et en la chantant mon cher Sédar, tu évoques le mois de novembre et écris ces vers étonnants et comme prémonitoires : « […] tes yeux en novembre comme la mer d’aurore autour du Castel de Gorée [Tu viendras et je t’attendrai à la fin de l’hivernage […] Je te ramènerai dans l’île de Tabors / Que tu connais : je serai la flûte de ma bergère ».
Dieu Seul sait mais toi aussi tu savais, mon cher poète !
Senghor restera Senghor, c’est-à-dire unique et sonore !
Amadou Lamine Sall, Poète, Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
Sud
Je suis resté longtemps, longtemps avec toi et puis je suis allé embrasser, pas loin de toi, à peine une coudée, Bruno Robert Louis Diatta -1948-2018-, Maurice Sonar Senghor, le mythique directeur du Théâtre Daniel Sorano -1926-2007-, Justin Charles Carrère Mbodj le poète de Gorée et de Lagnon -1928-2020-. J’ai remarqué que le légendaire chef du Protocole présidentiel était toujours à la tâche. En effet, la tombe de Bruno devance de deux pouces la tienne, comme s’il officiait toujours, t’ouvrant, comme jadis, le chemin dans ses habits étoilés du Grand Ordre Protocolaire.
Elle était belle la lumière, ce samedi 10 décembre, sur Bel-Air en cette matinée d’alizé sur Dakar. Le silence était d’ambre en ce lieu au parfum de paix. On se croirait loin, très loin de cette capitale infernale et presque tragique qu’est Dakar ! Cette paix ici en ce lieu bleu de ta tombe où tout se tait, me rappelle Joal et la mer, là où tu voulais te reposer et que l’on t’a refusé.
Mais ils ne savent pas comme l’on dit les sages de Joal, qu’il y a longtemps que tu as regagné ton Joal. Ils sont même allés plus loin ces vieillards si éblouissants : « Ouvrez donc la tombe de Senghor ! Vous ne l’y trouverez point ». Pour le pauvre d’esprit que je suis, je sens pourtant mon cher Sédar, là, debout en prières, que tu as refondé Bel-Air en ton Joal rêvé. Je sais maintenant que tu reposes entre les alizés, entre deux méridiens, flottant et chantant, car Joal est bien ton seul matelas dans cette terre que j’imagine si douce, si moelleuse aux côtés de la Normande aux yeux pers et du petit Tutsi, comme tu aimais appeler si tendrement ton Philippe Maguilen.
Tu avais dans ta douleur innommable, par suite de son accident tragique et dans un poème altier, bravé le Dieu Unique de t’avoir pris ton fils, avant de LUI demander pardon, pardon. Tout mort souhaiterait avoir ce que tu as : entendre la voix de Dieu cinq fois par jour ! En effet, une mosquée de l’autre côté du mur, décline le chant du muezzin. Quelle grâce, quel don du Seigneur que Sa Parole se pose cinq fois par jour sur ta tombe !
Je me suis senti heureux ici, près de et avec toi, ce samedi 10 décembre, alors que je devais être si triste. Ému, je me suis assis sur le marbre lisse de ta tombe et j’ai pensé et revu Issa, Jo Ouakam, Jo Ramangelissa Samb, quand venant te saluer avec tous les poètes du monde lors des rencontres poétiques internationales de Dakar, il s’asseyait à même le sol, près de toi, déclamant tes poèmes, toi le poète fondamental. Jo repose de l’autre côté de la ville, au cimetière de Ouakam, sous un arbre et j’espère que l’arbre y est encore debout. Il y repose dans la même miséricorde du Seigneur non loin de Birago Diop, le poète consacré.
Mon si cher poète, je l’ai toujours pensé et écrit : le souvenir nous venge toujours de la mort ! S’il est de notre devoir de nous souvenir de ceux que nous avons aimés, il est du devoir de ceux qui nous ont quittés, de nous revenir toujours par ce qu’ils nous ont laissé de beau et de grand ! Et cela se prépare ici, sur cette terre devenue si moche, si bête, si méchante. Et dire que la terre fut belle ! Mais il existe des morts qui nous la rendent toujours belle si nous prenons le temps de penser à eux, d’aller habiter ce qu’ils nous ont laissés : des œuvres de l’esprit, des œuvres de beauté, des œuvres de refuge, des vertus, quand l’homme a tout perdu.
Mon cher Sédar, tu nous as laissés un inégalable patrimoine de l’esprit et l’esprit ne meurt jamais ! L’évocation de ton seul nom, nous fige dans le respect et l’admiration. Par ordre alphabétique comme tu te déclinais toi-même : poète d’abord, professeur, soldat-tirailleur, homme d’État, ensuite. Dans chacun de ses titres, de ses habitats, qui te distinguaient, tu as porté le manteau de l’émerveillement et de la grandeur. Le Seigneur Seul, dans Sa Grâce infinie, peut donner un tel éblouissement !
Comme chaque année, je t’écris pour te dire que tu es là et que tu seras toujours là. Je t’écris aussi pour te porter les nouvelles de ton pays le Sénégal, de l’Afrique, du monde. Si un jour, je partais et je partirais bien un jour, à tes côtés nous réinventerons le Paradis, car le Paradis est le plus grand et le plus beau poème que le Seigneur a promis à ses humbles sujets. Pour le moment, Moustapha Niasse, le fidèle parmi les fidèles dont les larmes me foudroient le cœur à chaque fois qu’il t’évoque -ne pleure pas qui veut-, Maitre Boucounta Diallo, Amadou Ly, veillent, malgré l’âge au pas de course.
La Fondation Senghor ne va pas bien, mais elle résiste. Elle manque cruellement de ce que dont tu as manqué toute ta vie durant, poète comme chef d’État : de l’argent. Tu n’aimais pas l’argent. Il te faisait peur. Tu savais combien il pouvait corrompre et l’âme et l’esprit. Tu nous as appris à vivre sans faire de l’argent une quête. L’argent a remplacé Dieu pour les misérables d’esprit ! La grande leçon que tu nous as laissée et qui est une valeur haute et fortifiée, nous empêche jusqu’ici d’aller demander de quoi faire vivre et perpétuer la Fondation Senghor.
Moustapha Niasse nous rappelle toujours cette ligne rouge à ne pas franchir quoique cela coûte ! D’abord, ensuite et toujours, respecter l’esprit du maitre : ne jamais aller demander de l’argent ! Le président de la République, Macky Sall, veille pour qu’au moins nous ne fermions pas le sanctuaire. Nous le remercions de cette attention touchante. Mais le temps presse et les sentinelles déclinent. Puisse « Roog », puisse « Ndew » veiller sur ce patrimoine au service de l’esprit que tu nous as laissé !
Le Sénégal ? Il poursuit sa marche vers le développement, clopin-clopant, mais résolument. Ce qui a changé bien après toi, c’est l’appétit de culture. Un autre appétit, féroce et tenace, est venu tout remplacer : la soif de s’enrichir, quel qu’en soit le prix. La politique s’est mise au service de cette tragédie pour tout lui faciliter. Mais la vertu, la mesure et le sens de l’honneur ne se sont pas éteins chez tous les Sénégalais. Ce pays vaincra ceux qui l’humilieront face au monde.
Mais pour revenir à lui, le développement est-il, en vérité, du ressort de l’État seul ? Et les citoyens, alors ? A chacun sa partition. Il n’est pas question d’exonérer l’État. Son rôle est fondamental car pour garantir le développement, il faut garantir la discipline et la vertu par une autorité sans faille ! Quand tu as quitté le pouvoir pour le laisser à ton dauphin, tu m’as confié que ta seule crainte était que l’autorité ne se desserre. Tu pensais sans doute au jeune mais averti Abdou Diouf face aux « baobabs » du parti socialiste !
L’Afrique ? Ton continent lève de mieux en mieux la tête. Il a pris du temps, il en prendra encore, le temps d’une génération pour le moins, pour laver toutes les écuries d’Augias ! Il est encore des hommes d’État qui imposent leur volonté à leur peuple par la force, la ruse, la corruption, le détournement des suffrages, la surdité face aux règles universelles de la démocratie et de l’État de droit. Mais ils deviennent de moins en moins nombreux, moins vainqueurs.
Le monde ? Il reste le monde, c’est-à-dire complexe, fascinant, ambitieux, étonnant, boueux, boulimique en inventions, tragique. La Russie, pas la grande, mais celle qui est devenue petite en oubliant ses grands fils qui ont participé, par la pensée, l’écriture, la création, à façonner l’esprit humain, est en guerre contre l’Ukraine. Un contexte politique qui paralyse l’économie mondiale et met en danger l’avenir des peuples.
L’Europe devenue molle et sans poids réel, paie à prix fort cette guerre et nul ne peut prédire les conséquences qui, de jour en jour, s’aggravent. La France, en cet hiver 2022, aurait un calendrier de délestage, comme les plus démunis pays d’Afrique et d’Amérique latine. Bien repliés chez eux, loin, les États-Unis d’Amérique sont tout de même au cœur du conflit pour que la Russie capitule. Trop de morts déjà ! Des génocides que l’on croyait appartenir à un autre temps du monde. L’homme a muté en un animal monstrueux ! De grâce, et si tous ensemble nous ne tentions de refonder le monde en rendant la politique par autre chose de plus beau et de plus apaisant, de moins nécessaire pour conduire nos destinées ?
Mon cher Sédar, mieux vaut s’arrêter de te décrire notre terre. Il y a plus de morts que de vrais vivants ! Chaque jour, partout où le jour se lève ou que la nuit tombe, l’homme souffre et désespère. Nul doute que l’au-delà est meilleur qu’ici-bas.
Prie pour nous cher poète, prie. Je peux témoigner combien la prière sur terre était ton refuge ! En voyage, à tes côtés partout par le monde, tu me demandais après l’installation à l’hôtel, de me hâter de trouver une église où la messe était dite en latin. Je souriais toujours, car en latin, je ne garantissais rien et pourtant on finissait toujours de t’arranger ta messe en latin. Tu étais un émouvant croyant que la vie n’a pas épargnée avec la perte de tes deux enfants dans des conditions tragiques. Le seul qui te reste aujourd’hui, voyage dans sa propre nuit, mais il est là, vivant, et nous l’aimons et à travers lui, il y a toi. Tu nous disais toujours que le meilleur moyen de combattre la mort, était de se marier, d’avoir des enfants qui perpétuent votre vie. Mais, à la vérité, il est des pères qui perpétuent eux-mêmes leur vie en donnant à l’humanité, à leur peuple, le meilleur des souvenirs pour avoir grandi l’histoire de leur nation, de leur pays. Sédar, tu n’as pas que grandi le Sénégal. Tu l’as inventé et le chant sera long, très long à faire taire !
Repose et repose en paix mon cher poète. Embrasse Colette, Colette femme discrète et fascinante, une épouse aimée de tous et qui laisse dans nos mémoires un souvenir attendrissant. Rappelons ceci d’émouvant : née en novembre, Colette Senghor nous quitte en novembre et en la chantant mon cher Sédar, tu évoques le mois de novembre et écris ces vers étonnants et comme prémonitoires : « […] tes yeux en novembre comme la mer d’aurore autour du Castel de Gorée [Tu viendras et je t’attendrai à la fin de l’hivernage […] Je te ramènerai dans l’île de Tabors / Que tu connais : je serai la flûte de ma bergère ».
Dieu Seul sait mais toi aussi tu savais, mon cher poète !
Senghor restera Senghor, c’est-à-dire unique et sonore !
Amadou Lamine Sall, Poète, Lauréat des Grands Prix de l’Académie française
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