Al Hassane Niang, spécialiste en réforme institutionnelle et en gouvernance démocratique décortique, pour Seneweb, les enjeux et non-dits sur les sanctions décidées par la Cedeao contre le Mali. Dans ce document remis, que nous publions en trois parties, l'expert décortique l'échec des organisations sous-régionales et les motivations qui sous tendent l'une de ses décisions les plus controversées jamais prises au sein de l'instance communautaire.
Partie 1
Ils ont franchi le Rubicon !
Réunis en sommet extraordinaire à Accra le 9 janvier 2022 pour « évoquer » la situation politique au Mali (nombreux sont les africains qui diraient « réunis en sommet extraordinaire pour entériner un plan de liquidation contre le Mali), les dirigeants de la Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont plongé, à leurs dépens, l’Institution Ouest-africaine dans une impasse aux conséquences imprévisibles.
En adoptant des sanctions contre un pays membre déjà affaibli par une crise multidimensionnelle persistante aussi bien politique, économique, sociale que sécuritaire, les Etats Membres de l’espace sous-régional lui ont asséné un coup. La promptitude et la rigueur de ce dernier surprend par son inconsistance et son incohérence ; soulevant ainsi une multitude de questions sur les motivations d’une telle décision. Ces sanctions qui ressemblent à s’y méprendre à un coup de semonce sont à la fois iniques et cyniques vis-à -vis du Mali, de son peuple...mais aussi des populations de son espace.
Si elles choquent et soulèvent l’ire de l’opinion malienne et africaine, les sanctions contre le Mali fragilisent un peu plus une intégration qui peine à se matérialiser dans le quotidien des quelque trois-cent quatre-vingt-dix millions de citoyens de l’espace communautaire. Elles achèvent d’accréditer le sentiment d’inutilité et de nocivité de la CEDEAO aux yeux de l’opinion publique ouest-africaine et sonnent le glas d’une organisation dont la légitimité populaire est de plus en plus contestée par les Africains.
Affranchie de toute logique rationnelle ou intégratrice, la dernière sortie des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO est sidérante. Elle révolte par son caractère brutal et jette un discrédit à la fois moral et légal sur un organisme de plus en plus décrié au sein d’une zone dont il est censé servir l’intérêt général.
Radiographie des contradictions des institutions sous-régionales : celles de l’UEMOA et de la CEDEAO !
Reprochant au Gouvernement militaire dirigé par le Colonel Assimi Goita le non-respect des engagements pris par le Gouvernement malien d’organiser des élections permettant le retour des civils au pouvoir, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO n’ont rien trouvé dans leur besace que d’infliger à un Etat membre de la Communauté des sanctions d’une rigueur inédite, inopportune et dangereuse.
Qu’on ne s’y méprenne, si ces sanctions d’ordre économique et diplomatique constituent une trahison au peuple malien et, par voie de conséquence, aux peuples ouest-africains, elles portent un coup à l’idéal d’unité africaine que les Etats africains et les organisations sous-régionales ont fait le serment de réaliser. Des contradictions institutionnelles… illustratives du décalage entre l’aspiration des peuples de l’espace communautaire et les tenants de ces organisations sous-régionales.
Chronologie de la crise !
Un rappel de l’histoire politique contemporaine permet de noter que le Mali est en situation de guerre depuis le 17 janvier 2012 contre des rebelles Touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad mais aussi contre les djihadistes du mouvement Ansar Dine. L’objectif supposé clairement décliné de ce dernier mouvement est de faire sécession et « d’instaurer un khalifat » dans le Nord du pays. C’est dans un tel contexte que le Président Amadou Toumani Touré est renversé par un coup d’Etat dirigé par le capitaine Amadou Haya Sanogo ; ajoutant à la crise sécuritaire une crise politique et institutionnelle dont le pays continue de faire les frais.
En septembre 2013, l’avènement de l’élection du Président Ibrahim Boubacar Keïta (son rappel à Dieu ce jour rallonge un peu plus la série noire avec deux autres anciens présidents Moussa Traoré puis Amadou Toumani Touré et Soumaila Cissé en dix-huit mois) avait un temps suscité l’espoir d’un renouveau. Un renouveau renforcé par la présence de l’opération Serval de janvier 2013 à juillet 2014 puis à partir de 2014 de l’opération Barkhane ; toutes deux menées par l’Armée française. Si la première opération avait pour but « d'arrêter l'avancée en direction de Bamako des forces djihadistes, sécuriser la capitale et permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale », la seconde opération, dotée de plusieurs milliers de soldats (environ 5000), « s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie de forces européennes pré-positionnées dans la région, en partenariat avec les États de la zone » pour lutter contre des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda ou à l'État islamique. Notons que ce dispositif devait dans le même temps constituer un verrou contre la contamination et la dissémination des velléités djihadistes dans les autres pays de la Sous- région.
Toutefois, malgré l’importance des moyens financiers, matériels et militaires déployés dans le Nord du pays pour venir à bout de ce terrorisme venu d’ailleurs, la situation sécuritaire et sociale marquée par une gouvernance défectueuse ainsi qu’une corruption tous azimuts n’a eu de cesse de se détériorer. Elle finira par générer une colère populaire audible dans les rues de Bamako mais aussi à travers les médias du monde entier qui aboutit au renversement par l’armée malienne du Président Ibrahim Boubacar Keita le 18 août 2020.
A la tête de ce putsch, le colonel Assimi Goita met en place un Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) et en assure la présidence pour une durée de trois ans. Une transition que la CEDEAO souhaite circonscrire dans un délai plus court (un an) afin, selon la version officielle, de permettre le retour rapide des civils au pouvoir.
Les sanctions infligées au Mali trouveraient donc leur justification dans le refus des nouvelles autorités maliennes de se conformer aux injonctions des principes et règles en matière de gouvernance démocratique auxquels tous les Etats membres ont souscrit. Une argutie pour le moins curieuse dans un espace sous - régional marqué par des décennies de dérives et manquements démocratiques en tous genres sous le silence approbateur de la CEDEAO.
Cette partie du continent détient un triste record de tripatouillages constitutionnels avec des Chefs d’Etat coutumiers de légèreté, voire de ludisme jouant allègrement avec les normes légales de leur pays au gré des envies et joutes électorales, qui confondent les règles démocratiques à une boulimie insatiable de pouvoir et qui ne reconnaissent aucun droit de regard ou de réponse à cette CEDEAO dont ils se prévalent aujourd’hui pour sanctionner un des Etats - Membres. Les exemples sont nombreux parmi les décisions rendues par la Cour de Justice de la CEDEAO ou des Délibérations du Parlement de cette Communauté qui sont ignorées par les Etats – Membres.
Où était la CEDEAO quand le peuple malien faisait appel à son aide ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce réveil soudain de l’Institution ? Qu’a-t’elle fait pour aider à la résolution des problèmes multiformes auxquels sa Communauté demeure confrontée sans qu’aucune réponse communautaire ne soit apportée ? Qu’en-est-il des nombreux manquements des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO à leurs obligations vis-à -vis des peuples ? Autant de manquements notés dans une indifférence totalement assourdissante des tenants de la CEDEAO ?
Dès lors, quelle lecture donner à ces sanctions dont le caractère soudain et sévère semblent la gageure d’une obligation ? Pourquoi le Mali ? Pourquoi jeter aux gémonies un membre de la Communauté avec un tel empressement ? Quelles conséquences pour le Mali et la sous-région ? Une analyse de la crise et de ses prolongements géopolitiques tentera de mettre la lumière sur les enjeux de ce qu’il convient désormais d’appeler le suicide régional et africain.
Retour sur la CEDEAO !
On rappellera que la CEDEAO a été créée en 1977 dans l’optique de « favoriser la croissance économique et le développement des quinze Etats de l’Afrique de l’Ouest qui en sont membres ». Très vite, l’Institution se dote de nouvelles prérogatives diplomatiques et fait adopter un pacte de non-agression pour soutenir les efforts de paix au sein de la zone. Dans le sillage de la réforme de l’organisation sous - régionale en 1990, un groupe est mis sur pied pour assurer le contrôle de l’application des cessez-le-feu appelé Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG).
Dans un contexte alors de conflits multiformes et de guerres civiles au sein de l’espace communautaire, ce groupe va rapidement devenir le bras armé de la CEDEAO et sera déployé sur plusieurs théâtres d’opération militaires avec le concours notamment de contingents de plusieurs pays membres dont le Sénégal, le Nigeria, le Burkina, la Gambie, le Bénin, le Niger, la Sierra Leone, la Guinée et le Mali.
Soutenue financièrement par plusieurs partenaires techniques et financiers (PTF) pour son fonctionnement, l’Institution est dirigée depuis le 17 octobre 2020 par le Président ghanéen Nana Akufo ADDO dans le cadre de la présidence tournante. A l’instar de la quasi-totalité des Institutions africaines dont l’existence tient à la « générosité » des PTF, la CEDEAO peine de plus en plus à faire la preuve de son utilité aux yeux des citoyens. Cette situation pose la question de son indépendance tout comme d’ailleurs celle des organisations africaines vis-à -vis des puissances étrangères. Dans le cas du Mali, ces puissances étrangères sont perçues à tort ou à raison comme les instigatrices des sanctions qui lui ont été infligées.
La CEDEAO dispose d’un organe exécutif dirigé par l’ancien ministre ivoirien de l’industrie et des mines Jean Claude Kassi Brou qui occupe les fonctions de Président de la Commission. Il serait intéressant de voir la position de cet organe sur le troisième mandat du Président Alassane Ouattara pour se rendre compte du caractère partisan et biaisé des sanctions.
Une Cour de Justice basée à Abuja a également été instituée par un protocole en 1991 pour connaître des différends dont elle est saisie au sein de l’espace Communautaire par les Etats dans l’interprétation des dispositions du Traité révisé. Puisqu’elle peut émettre des avis consultatifs sur des questions juridiques, lorsqu’elle en est saisie par le Conseil des Ministres de la CEDEAO, le Mali ferait fort de la saisir afin de mettre en relief l’illégalité de la décision de la CEDEAO.
Notons enfin que la Cour de Justice de la CEDEAO est également compétente pour se prononcer sur les violations des principes fondamentaux des droits de l’homme. Sa saisine par les juristes maliens et africains permettrait sans nul doute au peuple malien dont les droits à une libre circulation au sein de l’espace se trouvent enfreints par les sanctions de les recouvrer.
A suivre...
Al Hassane NIANG,
Spécialiste en réforme institutionnelle et en gouvernance démocratique; Président de Jiitël Wareef – Le Devoir En Mouvement ! Sénégal